Human Village - information autrement
 
L’odyssée d’un peuple en mouvement...
 

Ali Addeh ! Niché entre les collines rocheuses à l’extrémité de la région d’Ali Sabieh, c’est dans un paysage lunaire et désertique que le camp d’Ali Addeh est érigé. Ayant dépassé ses capacités maximales d’accueil, Ali Addeh reçoit néanmoins chaque jour des dizaines de déplacés et de réfugiés principalement en provenance de la Somalie, pays déchiré par un conflit fratricide depuis deux décennies. Le camp accueille également une minorité de réfugiées éthiopiens et érythréens, plus de la majorité de la population étant constituée de femmes et d’enfants. Nous sommes partis à la rencontre de ces laissés-pour-compte qui ont tout quitté : patrie, famille, travail, et rêves d’avenir, afin de fuir les horreurs et les exactions de la guerre. Nous avons tenté de recueillir leurs impressions, leurs sentiments, leurs attentes et les espoirs qu’ils placent dans les capacités de notre pays à améliorer leur sort. Voici le témoignage poignant et croisés de vies brisées !

Je m’appelle Nima Abdoulkader. Je viens de Hamar et cela fait trois mois que je me suis réfugiée à Ali Addeh avec mon mari et mes quatre enfants. On a effectué le voyage en famille de Mogadiscio à Djibouti, avec les cousins, les neveux, belles soeurs, et beaux frères, etc. Bref, toute la famille était du voyage. Nous avons tous fui parce que nous n’avions pas le choix. Ici chacun vit en portant son lot de malheurs sur les épaules. La guerre nous a tous durement frappés. Juste avant notre fuite, une de mes belle-sœurs a perdu son mari dans un attentat que le groupe islamiste Al-Shebaab avait exécuté dans un hôtel de Mogadiscio. Il était policier, il était là pour assurer la sécurité : il y a perdu sa vie, comme tant d’autres… Nous avons fui à cause de ces atrocités perpétrées par les Al-Shabaab.
Plus que la guerre elle-même, ce sont ces actes terroristes qui n’en finissent pas, qui incitent la population somalienne à la fuite. Il nous a fallu quinze jours pour arriver jusqu’à Ali Addeh. Jamais nous n’aurions pu venir jusqu’ici par nos propres moyens, heureusement des gens de la diaspora ont financé notre évacuation : 150 $ par famille à savoir un total de 450$ pour nos trois familles. Grâce à cette somme, nous avons pu quitter le pays en voiture.
En arrivant ici au centre d’Ali Addeh, l’espoir était tout ce qui nous animait, l’espoir d’être bien reçus, l’espoir d’être bien encadrés, l’espoir d’une vie meilleure, sans la crainte de vivre dans une terreur permanente. Nous sommes donc arrivés démunis, désorientés mais malheureusement nous n’avons pas reçu le soutien espéré.
Les denrées alimentaires fournies ne nous permettent pas de subvenir correctement aux besoins de nos foyers. Cette femme à mes côtés par exemple, elle a un enfant de 4 ans, cette autre femme, un bébé de 3 ans, et cette autre femme un petit nourrisson. Dites-moi, comment doivent-elles s’y prendre pour nourrir leurs enfants alors que le camp n’octroie pas de lait ? Il est vrai que nous disposons d’un pôle médical et que c’est vraiment important, mais quel intérêt d’être soigné si on n’a même pas de lait pour nourrir nos enfants ?

Je m’appelle Awa Aden, j’ai fuit Mogadiscio quand mon mari a péri dans l’attentat islamiste commandité par Al Shebaab dans l’hôtel Shamo (le 3 décembre 2009, ndrl). Il était policier. Cet attentat a fait 24 morts, beaucoup étaient des jeunes diplômés. A l’annonce de décès de mon mari j’ai décidé de fuir, je n’avais plus aucune raison de rester. Il fallait que je parte loin, loin de la folie meurtrière de cette ville. Cependant, comme un malheur n’arrive jamais seul, dans ma fuite éperdue, j’ai perdu l’enfant que je portais dans mon ventre. L’état de délabrement de la route et les nombreuses secousses de la voiture, ont sans doute été la cause de cette fausse couche. On m’a extrait le bébé mort seulement après mon arrivée au camp de réfugiés d’Ali Addeh.
Avec la perte de mon mari, et ma fausse couche, je vous laisse imaginer la douleur et la souffrance dans laquelle je vis aujourd’hui ici… Malgré tout il a fallu que je me ressaisisse, je n’ai nullement le choix car je dois me battre pour mes trois autres enfants qui sont à ma charge. Dans mon malheur, j’ai la chance d’être entourée et soutenue par ma belle famille. On essaie de se soutenir mutuellement malgré la maigre subsistance alimentaire octroyée par le camp. Ma belle famille m’épaule et me réconforte lorsque, sous le poids des difficultés quotidiennes, je suis tentée de baisser les bras. Cependant, quoiqu’il arrive, je ne veux en aucune manière retourner à Mogadiscio, après ce que j’ai vécu et perdu dans ce conflit : un mari, trois frères blessés dans les combats et un autre décédé des années plus tôt. Je veux rester ici dans la paix, la quiétude et prendre ce que Dieu aura pourvu pour moi. Mon pays, il est triste de le dire, mais il est fini, la sécurité n’y existe plus, si nous y retournons c’est pour y mourir, c’est inéluctable… Ici, à Ali Addeh, la plus belle chose au monde y règne : la paix. Certes, j’ai conscience que je ne suis pas chez moi. Je ne suis qu’une réfugiée parmi tant d’autres, sans attache ici, sans toit ni abri. Je vis dans la précarité, les denrées alimentaires y sont insuffisantes. Mais j’y ai retrouvé la paix, et la sérénité.

Je m’appelle Halimo Aden, j’ai 25 ans, je suis également réfugiée et je suis venue avec ma famille. Je m’insurge contre les hommes du campement qui ne font rien pour subvenir aux besoins de leur famille. Depuis qu’on est ici, ils traînent désœuvrés et ne font aucun effort pour trouver un quelconque emploi. Ils se rendent parfois à Ali Sabieh ou dans la capitale, mais la plupart du temps, ils restent aux alentours d’Ali Addeh et reviennent toujours la nuit tombée bredouilles. On dirait qu’ils sont là pour faire du tourisme.
Voyez, par exemple ces femmes au tour de vous, elles sont beaucoup plus fortes, plus courageuses… Elles s’efforcent de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour améliorer le sort de leur famille. Comme peut-on manger uniquement de la farine octroyée par le HCR ? Nous en faisons des galettes avec une partie que nous vendons ensuite aux gens de passage pour pouvoir acheter des légumes : des tomates, des pommes de terre ou bien encore du lait. Nous les achetons aux réfugiés éthiopiens du camp, dont certains ont ouverts des points de vente. Ils nous arrivent également de nous rendre à la montagne pour ramasser du bois mort que nous revendons aux Djiboutiens. C’est la seule façon que nous ayons d’améliorer un tant soit peu notre quotidien. Tout ceci pour vous expliquer que les femmes subviennent aux besoins de leurs enfants en faisant preuve d’inventivité, car la marmite malheureusement ne se remplit pas toute seule…
Je reconnais cependant que ce n’est pas entre quatre montagnes que nos hommes trouveront du travail ! Serait-il possible de transférer le camp à proximité de la capitale ? Nous trouverions plus aisément du travail, notre sort n’en serait que plus confortable en attendant qu’une solution plus pérenne puisse enfin voir le jour… Cette odyssée de souffrance n’est plus vivable, il faut que les gens qui ont la possibilité de changer notre vie d’une quelconque manière agissent et vite…

Je me nomme Choukri Mohamed Houssein, je vis ici avec mes sept enfants, depuis douze ans. Oui monsieur douze longues années ! Vous vous rendez compte ? Je suis arrivée dans ce camp, à l’époque où le président était encore feu Hadji Hassan Gouled Aptidon, autrement dit une éternité. Pourtant depuis cette date ma condition ne s’est aucunement améliorée : sans possibilité de travail, sans revenu et par conséquent sans argent cet endroit est devenu une prison où vous dépérissez à petit feu. Mon mari et moi sommes arrivés au camp ensemble mais après quelques années, ne pouvant plus supporter ce quotidien de misère, il est reparti à Mogadiscio, ville que nous avions pourtant fui à cause de la guerre.
Bien plus tard, j’ai eu vent de sa folie, puis de son arrestation. Je ne l’ai plus jamais revu et j’ignore avec exactitude ce qui lui est arrivé. Je me retrouve donc seule au monde avec mes enfants. Mais comme un malheur n’arrive jamais seul, j’ai perdu une de mes filles, il y a 5 mois seulement. Elle était âgée d’à peine 7 ans. Elle a succombé tout simplement de malnutrition. C’est une douleur incommensurable, mais que puis-je faire sinon de rester forte ? Il me reste encore 6 enfants et je ne peux pas baisser les bras car leur survie et leur avenir ne dépendent que de moi. Ce camp est tout ce qu’ils ont connu, j’en ai eu quatre ici. Je suis triste car ce n’est pas un endroit pour élever des enfants. Comment pourraient-ils s’épanouir et plus tard vivre de manière équilibrée ? Je m’inquiète pour eux.
Le camp est notre seul refuge j’en suis consciente, nous avons pour seul abri que cette tente isolée dans laquelle on s’entasse tous. On a deux couvertures pour huit personnes, on vit sans électricité. Nos enfants sont exposés à tous les dangers possibles. La seule chose qui ne cesse de me préoccuper quotidiennement : c’est de rien n’avoir à donner à mes enfants. De n’avoir rien à mettre sur le feu pour les nourrir. C’est ma plus grande crainte ! La seule pensée de savoir que vous ne pourrez manger à votre faim et que rien ne peut vous arracher à votre sort, est vraiment troublante. Vous ne faites plus la part des choses, vous perdez la notion des choses, vous sombrez peu à peu dans la dépression et la folie. C’est ce qui me guette je crois…Je ne sais plus quoi faire, c’est à s’en tirer les cheveux du matin au soir… De plus l’insécurité règne ici, malgré la peur qui est là, qui vous prend au ventre, on est tout de même obligés de nous éloigner du camp pour aller chercher du bois, de nous rendre dans la montagne : nous nous résignons tous les matins à y retourner jour après jour, c’est un cycle infernal. Il y a quelques jours ma fille a été agressée dans les environs du camp par un inconnu qui rodait dans les parages. Suite à cet incident, ma tente a été cambriolée pendant la nuit. On nous a dérobé le peu de réserves de farine dont nous disposions pour le restant du mois en cours ainsi que quelques vêtements. En dépit de nos plaintes à la Police, on nous a expliqué qu’il fallait identifier le suspect en question. Et là réside tout le problème : comment identifier une personne que l’on n’a pas vue ?
Par conséquent, l’homme court toujours. Notre situation est tellement pénible que même le bout de tissu que je porte m’a été offert par ma voisine du camp qui comme vous l’imaginez, est dans la même situation que la mienne. Toute cette misère m’a fait réfléchoir, j’en suis arrivée à une conclusion des plus malheureuses. Je me dis aujourd’hui, que je donnerai vraiment tout pour repartir chez moi en Somalie. Un retour à Mogadiscio serait salvateur !
Malgré la guerre, la violence, le meurtre, les attentats à la bombe, je donnerai n’importe quoi pour y retourner et ce ne sont pas des paroles en l’air, croyez-moi, je le pense sincèrement… C’est triste mais j’en suis réduite à penser de cette manière. Je sais en tout cas que là-bas je ne serais pas forcée de nourrir mes enfants de galettes sèches chaque jour que Dieu fait, ou à quémander pour trouver 20 francs de sucre du lever au coucher du soleil pour donner une tasse de thé pour le petit déjeuner à mes enfants. Regardez autour de vous, 12 ans dans cet enfer, c’est rude. J’ai l’impression d’avoir été condamnée à un crime que je n’ai pas commis. Ces années ici auront eu raison de ma patience, de moi et je ne suis plus capable de supporter davantage. Et si par miracle une personne acceptait de financer mon voyage retour, je repartirais sans hésitation à la seconde avec mes sept enfants à Mogadiscio. S’il vous plaît, porter ce message : aidez-moi ! aidez-moi à retourner à Mogadiscio. Je veux y retourner malgré la guerre. J’aimerais si possible me rendre même à Baidoa. Je souhaite retourner dans mon pays. Je vais survivre ou mourir là bas. Il n y a pas d’autre alternative mais je n’ai plus peur. La mort ne m’effraie plus, elle est inéluctable. Et de toute façon, je n’ai guère le choix. Ici, je ne peux pas travailler, il n’y a nulle part où aller et je ne peux pas quitter mes enfants. Je ne sais pas où quérir de l’aide et vers qui me tourner.
L’aide alimentaire qu’on m’octroie est insuffisante pour survivre. Alors je suis obligée de revendre une bonne moitié de ce que l’on me donne pour acheter des légumes pour la cuisine. Il m’arrive également parfois de troquer mes denrées alimentaires pour me procurer certains aliments de base, comme en vendant du savon pour acheter du sucre. Le strict minimum est devenu pour moi un luxe. Et les mois s’enchainent ainsi avec des soucis permanents, insolubles. Je n’en peux plus, je ne sais plus quoi faire. Cette pauvre vie ne vaut pas d’être vécue : les problèmes sont devenus un lot quotidien.
Cependant, je n’oublie nullement pas ce que Djibouti a fait pour moi, que Dieu la récompense pour ses bonnes oeuvres. C’est ma terre d’accueil, mon deuxième pays. Ici j’ai retrouvé un semblant de vie mais par-dessus tout, j’ai retrouvé la paix. Je ne peux oublier cela. Les habitants de la région sont des gens agréables et chaleureux, ça fait douze ans que je suis là et ils ne m’ont jamais posé aucun problème. Au contraire, ils ont compati à ma douleur et m’ont accueilli à bras ouverts. Je remercie également le président Ismaïl qui nous a chaleureusement accueillis.
Mais aujourd’hui mon souhait le plus cher est de changer de vie. Ma situation actuelle est très difficile. Je vis ici seule sous une tente avec mes 7 enfants. Alors je demande de l’aide, à qui le peut ! A tous ceux qui sont croyants, à tous ceux qui ont du coeur, je leur demande par la bonté de Dieu de me venir en aide. Je n’en peux plus de vivre sous une tente. J’ai constamment peur. Je suis une femme et je souffre terriblement du manque d’intimité. De plus, malgré le fait que nous soyons dans un camp de refugiés et que nous ne possédions pas grand chose, les vols sont fréquents. Il arrive parfois qu’en plein sommeil, on nous retire la couverture qui nous enveloppe parce qu’il n’y pas tout simplement rien d’autre à voler. Un haut représentant du HCR (Antonio Guterres, Haut commissaire aux réfugiés, ndlr), nous a rendus visite récemment mais malheureusement il était impossible pour nous de communiquer avec lui. Nous ne parlons pas sa langue. J’aurai tellement aimé lui demander quand est-ce qu’on aura une aide alimentaire plus conséquente et aussi un réchaud pour faire la cuisine. Cela nous manque cruellement. Mais il faut garder la foi, se rappeler que notre destinée est dans les mains de Dieu : je m’en remets à Lui. Je me dois de garder l’espoir et de toute façon je n’ai guère le choix…

Je me nomme Nagat Mohamed Ali, et j’ai 11 ans. Je ne connais rien de Mogadiscio, encore moins de mon pays, la Somalie. Je ne l’ai jamais vu. Djibouti est ma terre natale : c’est mon deuxième pays mais je ne souhaite pas rester ici sinon ma vie ne changera pas. Je veux partir vers une troisième contrée, je ne sais pas où cela sera, où Dieu le décidera ! L’essentiel est que je parte d’ici, ce n’est pas une vie. Parce que je suis née ici, on me dit que je suis Djiboutienne et pourtant je ne le sens pas. Je ne vais pas à l’école comme les autres parce que je n’ai pas de papiers. Je ne suis donc pas citoyenne. Je vais à l’école d’Ali Addeh, celui du camp des réfugiés où j’apprends l’anglais et la langue somali. Je suis en deuxième année.
Mais par-dessus tout, je ne veux pas rester parce que j’ai peur. Les montagnes me font peur, il y a des serpents, des bêtes nuisibles et j’ai peur de m’aventurer là-bas mais on n’a pas d’autre alternative, il n’y a nulle part où aller. Le pire est que nous souffrons aussi de malnutrition. Nos repas sont constitués principalement de flocons d’avoine, de fèves blanches et de blé souvent infesté de vers. Et vous imaginez, on n’a même pas de passoire pour nettoyer le blé.
Le seul moment où nous mangeons bien, c’est lorsque ma mère nous apporte des bonnes choses à son retour de Djibouti. Pour ce qui est de l’eau, je dois aller puiser dans un puits qui est situé près d’un arbre un peu plus loin, en bas de la rivière. Trois fois par jour, pour les besoins de toute ma famille, je transporte cette eau. J’attache le seau solidement sur ma tête avec un long tissu. Je trouve cette vie vraiment difficile et injuste. Je reconnais que Djibouti est mon pays natal. Ce pays fait de son mieux pour nous aider, pour nous rendre la vie plus agréable. Mais aujourd’hui, j’aspire à une autre vie. Mon vœu le plus cher est de pouvoir changer ma vie actuelle et pour cela je dois partir d’ici. Je dois quitter cette région de la Corne. Je rêve d’un avenir meilleur ailleurs. C’est la seule solution à mes yeux.

Mère de la jeune Nagat Mohamed Ali
Je suis arrivée à Djibouti en 1991, ça fait 20 ans que je vis dans ce pays. À mon arrivée, j’avais à peine 10 ans. J’ai donc presque grandi ici. Aujourd’hui j’ai quatre enfants. Ils sont tous nés à Djibouti. Quant à leur père, il m’a quitté et nous a tous abandonnés ici. Je les élève donc seule et pour y parvenir je dois travailler dur. Je ramasse du bois dans les montagnes. Il m’arrive que je doive confier parfois le soin de mes enfants à ma mère, qui vit également dans le camp, quand je pars chercher du travail à Djibouti. Là-bas je recherche à me faire recruter comme femme de ménage. Mais je ne tarde jamais là bas, tout au plus un mois et demi voire deux, le temps de gagner un peu d’argent pour améliorer un peu le quotidien de mes enfants.

Je me nomme Habiba Aden, je suis résidente au camp Ali Addeh depuis que j’ai quitté mon pays, la Somalie pour fuir le conflit et la famine qui sévissent là-bas. Cela fait un peu plus d’un an et demi maintenant. Je suis venue ici avec mes 2 enfants, ma fille est âgée de 20 ans et mon petit garçon a lui, 8 ans. Comme les milliers de déplacés ici, les conditions de vie sont extrêmement difficiles.
Heureusement nous avons au moins, la paix et la sécurité, qui sont deux choses vitales. Nous n’avons plus à nous inquiéter des attaques à la bombe, ou des fusillades meurtrières qui faisaient notre quotidien. La peur, l’horreur de la guerre sont heureusement des soucis qui sont loin derrière nous. Mais en tant que déplacés de guerre, nous avons tout laissé derrière nous. Depuis mon départ de Mogadiscio je n’ai aucune source de revenu, aucun travail qui puisse me permettre de subsister et de pourvoir à tous les besoins de mes enfants. La misère nous tient toujours. De plus ma fille souffre d’une grave maladie mentale, cela me rend la vie que plus difficile. Malheureusement, le camp ne dispose pas des moyens médicaux adéquats pour la soigner. Les infrastructures manquent et le personnel médical n’a pas les compétences nécessaires il faut le dire, c’est regrettable car le nombre de personnes qui ont des problèmes de santé dans le camp, notamment psychologiques sont fort nombreux. Pour avoir accès à des soins appropriés pour ma fille, j’ai fait une requête en demandant un transfert vers la capitale. Ma demande n’a pas eu de suite favorable et nous ne pouvons pas quitter le camp par nos propres moyens.
Vous savez le plus dur, c’est que nous manquons de nourriture en quantité suffisante. Nous recevons chaque mois, une ration alimentaire pour trois personnes. Mais elle finit toujours bien avant le mois. Mes enfants ont la priorité, ils passent avant tout. Je me sacrifie pour eux. Pour autant, cela ne change pas grand-chose. Et il m’est très difficile de voir ma fille et mon fils dans cet état. Il n’est pas rare que l’on saute des repas. Ma fille d’ailleurs ne pourrait même pas se soigner efficacement du fait que l’un des rares médecins que nous avons consultés au camp, lui a déconseillé de prendre les médicaments recommandés en ayant le ventre vide. C’est le comble de l’ironie je dirais. Quant à moi, sans travail ou une activité quelconque et ayant pour seule ressource l’aide alimentaire du PAM je ne vois pas comment je pourrais résoudre ce problème. C’est vraiment épuisant !
Hormis cela, je voudrais que mes propos soient bien clairs, Djibouti est vraiment une terre d’accueil, un havre de paix pour nous. Dès mon arrivée, la population locale m’a bien accueillie. Les gens ici nous entourent, nous comprennent, compatissent à nos malheurs.
Je dois avouer que jusqu’à ce jour, je n’ai jamais été témoin d’une hostilité quelconque à notre égard. La paix est une chose si précieuse et si fragile que je conjure les Djiboutiens de ne pas suivre l’exemple de la Somalie et de continuer à préserver cette richesse…

Je m’appelle Dahabo Olow, j’ai 15 ans, je suis née à Mogadiscio.
Cela fait six mois que j’ai fuit la guerre et mon pays. Ma mère était partie travailler quand un missile a éclaté près de chez nous. Dans la panique qui a suivi, j’ai cherché mon père mais je n’ai pas réussi à le retrouver, alors je me suis enfui en prenant avec moi mon petit frère âgé de trois ans seulement. Mais il n’a pas survécu à l’exil, il est décédé peu après mon arrivée à Ali Addeh. En ce qui concerne mes parents, j’ignore ce qu’ils sont advenus. Sur le chemin pour venir ici, j’ai rencontré une autre fille, plus jeune que moi. Elle est devenue ma sœur. Nous nous soutenons et vivons ensemble, seules sous une même tente. Son histoire est similaire à la mienne. Nous n’avons ni mère ni père, ni tante, et ni oncle à nos côtés. Nous sommes orphelines et nous n’avons personne sur qui s’appuyer, sur qui compter. Il nous est très difficile de vivre ici. Même si on désire travailler, on n’en trouve pas. Il n’est pas possible ici de gagner son pain. Une fois, j’ai tenté de partir à Djibouti pour chercher un quelconque travail mais la police m’a raflée et m’a refoulée ici. Dans la tente qu’on nous a octroyée, nous dormons à même le sol sur du plastique. Nous n’avons même pas de natte de couchage ni même une couverture pour nous couvrir. Pour la nourriture, on nous donne chacune douze kilos de ration alimentaire mais nous revendons la ration de l’une d’entre nous, pour acheter des légumes et faire la cuisine. Bien que, la ration de 12 kg qui nous reste soit insuffisante pour couvrir nos besoins un mois durant. Aujourd’hui, je souhaite ardemment une autre vie, une vie mieux que celle-ci. Rester à Djibouti ou partir m’importe peu, je désire juste mener une vie normale, hors d’un camp.

Propos recueillis par Ahmed Abdourahman Cheik, Mouna Frumence, Nadine Idriss, et Mahdi A.
Ces entretiens de Human Village n° 15, ont été republiés dans le n° 18.

 
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