Human Village - information autrement
 
Pas de base navale éthiopienne à Djibouti !
par Mahdi A., décembre 2019 (Human Village 37).
 

« Aucun accord n’est signé concernant une base navale éthiopienne à Djibouti », affirme Mohamed Idriss Farah [1]

Pour déminer une rumeur qui a pris des proportions considérables, notre ambassadeur plénipotentiaire à Addis Abeba, Mohamed Idriss Farah, a été obligé de démentir officiellement au micro de la BBC [2] une fake news, dont le contenu a été repris très largement par la presse internationale et considéré comme « argent comptant » par de nombreuses représentations diplomatiques installées en Éthiopie.
Il s’agissait pour le chef de notre représentation diplomatique à Addis Abeba, de clarifier la position de notre gouvernement sur la demande par l’Éthiopie d’une emprise navale militaire. Après avoir affirmé que la République de Djibouti n’a donné aucune autorisation, Mohamed Idriss Farah a confirmé que le gouvernement éthiopien avait formulé une requête dans ce sens auprès de notre gouvernement. Il faut dire aussi que l’Éthiopie, a formulé cette demande, à l’ensemble des pays de la Corne, mais que, ces derniers, se sont tous, montrés réticents à offrir l’hospitalité sur leur territoire aux contingents armées de la premiere puissance militaire de la région ! Pour rappel, historiquement, la marine éthiopienne a toujours été positionnée au port de Massawa. [3].
Aussi comment interpréter la diffusion d’une telle fake new par le média éthiopien Capital [4], pourtant considéré comme proche du pouvoir, d’autant plus que ce journal prétend avoir obtenu l’information d’une source anonyme proche du gouvernement éthiopien ?

Ismail Omar Guelleh a-t-il secrètement accordé une base navale à l’Éthiopie sans en informer sa population, qu’il sait vent debout contre ce qui serait considéré comme une trahison au serment de protéger la patrie ? Une telle décision serait funeste car attentatoire à la souveraineté et à l’intégrité du territoire djiboutien.
Ce serait une porte ouverte - pour le moins un coup de pouce -, aux désirs d’expansion décomplexés de l’Éthiopie, qui ne tiendrait pas compte des craintes fondées des populations somaliennes, érythréennes, soudanaises, kenyanes, et djiboutiennes ? Pour s’en convaincre une relecture du discours du Premier ministre éthiopien d’alors, Haile Mariam Dessalegn, prononcé depuis l’hémicycle du Parlement de Djibouti en février 2015, devrait suffire à mieux cerner certains enjeux sous jacents à ces ambitions navales. La lecture d’une tribune publiée dans les colonnes de The Reporter [5] par le chercheur Tesfaye Tadesse, ainsi que l’écoute attentive des propos tenus par le Premier ministre Abiy Ahmed aux rencontres de Davos en janvier dernier [6], sont fortement recommandées à tous les citoyens djiboutiens. C’est renversant : il y affiche à la face du monde une ambition hégémonique sous le faux-nez de la lutte contre la pauvreté : unifier « trois ou quatre pays de la région » sous un même gouvernement, une seule armée, et une même représentation diplomatique à l’étranger… Tout est dit : il s’agit d’anschluss ! Cette analyse est par ailleurs corroborée par Jean-Nicolas Bach, directeur du Centre d’études et de documentation économiques, juridiques et sociales (CEDEJ - Khartoum), qui s’exprimant lors de la conférence Djibouti dans le monde du XXIe siècle, avait souligné son étonnement face à une prétention d’une élite éthiopienne qui a décidé de faire son cheval de bataille de cette vieille antienne...

« Je suis souvent surpris par mes collègues universitaires éthiopiens qui appellent à la réunification de l’Éthiopie avec l’Érythrée et Djibouti. Je trouve cela un peu étrange. Ils n’arrivent pas à imaginer que l’Éthiopie puisse rester dans ses frontières.... Je pense que cela peut devenir véritablement problématique. Entre la pacification avec l’Érythrée et l’idée de réunification, il y a quand même un énorme fossé. Malheureusement, ce sont des discours que l’on entend émerger de plus en plus, et c’est un petit peu dangereux, avec des risques de provoquer des sources de tension dans la région.  »

Il faut garder à l’esprit que les Forces de défense nationale éthiopiennes (FDNE) sont présentes au nombre de 8242 soldats dans le cadre de trois missions onusiennes de paix dans les deux Soudan : à Abiyé avec la FISNUA, au Soudan du Sud avec la MINUSS et au Darfour avec la MINUAD. 4395 autres, sont déployés au sein du contingent de l’AMISOM, en Somalie.

Ces éléments mis bout à bout rendent peu vraisemblable l’hypothèse d’un accord avec le gouvernement djiboutien sur cette extravagance éthiopienne. Si ce n’était pas suffisant, des déclarations récentes du chef de l’État viennent conforter l’idée que Djibouti n’envisage pas d’accueillir une base navale éthiopienne sur ses côtes. Interrogé en avril dernier par François Soudan, dans les colonnes du magazine parisien dédié à l’Afrique, sur la possibilité d’héberger des navires de guerre de notre grand voisin, Ismail Omar Guelleh avait adressé une habile fin de non-recevoir diplomatique, renvoyant la patate chaude, au président érythréen, Issayas Afeworki. « Non, à Massawa, en Érythrée. C’est là où était ancrée la marine impériale à l’époque du négus. Pour l’Éthiopie, c’est une question de fierté nationale » [7]. En outre il n’avait pas manqué de s’étonner de cette demande éthiopienne. Comment les Éthiopiens pourraient-ils financer les coûts des équipements et de fonctionnement d’une marine, alors que les besoins de sa population sont si criants : « Mais une marine cela coûte très cher, beaucoup plus cher qu’une armée de l’air ». La réponse a été donnée peu après dans la presse : les ambitions navales de ce pays enclavé seront financées par un accord tripartite, les pétromonarchies saoudo-émiratis décaissant pour acheter des équipements militaires français et de la formation à destination des troupes éthiopiennes. Belle aubaine que ces généreux émirs. Grâce à eux, Emmanuel Macron s’apprête à rééditer le même type d’opération commerciale que François Hollande avec l’Égypte d’Abdel Fattah Sissi et le pays du Cèdre.

Comment expliquer cette générosité débordante des pétromonarchies saoudo-émiraties et les efforts diplomatiques conjugués américain et français pour aider le lion d’Abyssinie à trouver un pays qui veuille bien accepter d’accueillir à terme plusieurs dizaines de milliers d’hommes en armes sur son territoire. Comment accorder ne serait qu’une once de confiance aux autorités politiques éthiopiennes, qui affichent leurs objectifs obsessionnels visage découvert ? Ismail Omar Guelleh ne cache pas des craintes légitimes face à une poussée de fièvre militariste et expansionniste. Devant la fragilité de notre nation, il appelle à la prudence : « D’où notre obligation d’équilibre permanent entre des convoitises qui ne cessent jamais. L’exercice n’est pas facile, mais notre protection en tant qu’État indépendant est à ce prix. » Pour être sûr d’être entendu, il enfonce le clou, expliquant avoir déjà été contraint, faute de place, de décliner la proposition des forces navales russes. « Les bases sont importantes sur le plan financier et sécuritaire. Cela dit, la place finit par manquer et nous avons dû refuser la demande des Russes, lesquels voulaient en outre s’implanter à coté de l’installation américaine, ce qui n’était pas envisageable » [8]. Indéniablement, Ismail Omar Guelleh avait très nettement voulu faire passer un message : couper court à ces aspirations de concession navale éthiopienne sur le territoire djiboutien. L’effarement est partagé par l’autre bord politique, dans une tribune un responsable de l’opposition, Cassim Ahmed Dini, ne cache pas sa stupeur et son incompréhension derrière la dangerosité de ces desseins : ils répondraient à un agenda caché.

« Ainsi, l’Éthiopie serait le premier État contemporain au monde à posséder une marine de guerre opérant sur des eaux internationales ouvertes, à partir des eaux territoriales d’un autre État, par définition et supposément indépendant. Ce n’est pas peu mais mieux vaut en avoir clairement conscience à travers cette mise en perspective  ».

Cela donne de quoi réfléchir ? Mais pas qu’à nous ! Il ne fait guère de doute que ces inquiétantes ambitions navales ont été au cœur de l’entretien téléphonique du mercredi 4, entre Abdel Fattah Sissi et Ismail Omar Guelleh. Dans le même ordre d’idée, le choix de la réception, le lendemain, jeudi 5, par le chef de l’État, du nouveau secrétaire exécutif de l’Autorité intergouvernementale pour le Développement (IGAD) - dont le siège de l’organisation est à Djibouti -, et anciennement ministre des Affaires étrangeres de l’Éthiopie, Workneh Gebeyehu, n’est sans doute pas une circonstance fortuite. Il n’est pas impossible qu’une mise au point ait été adressée au Premier ministre éthiopien, à travers cette courroie d’information.

Maintenant comment démêler la pelote de laine et expliquer finalement la fake news ? Aurait-elle pu être téléguidée par le fringuant Premier ministre Abiy Ahmed dans le cadre d’une manœuvre pour donner de l’écho à ses difficultés pour faire accueillir ses futurs navires de guerre dans les pays de la Corne ? Ce qui nous laisse à penser qu’il s’agit d’une sorte de bouée de sauvetage, un signal de détresse avant un possible naufrage de cette lubie navale. Abiy Ahmed attendait-il des dirigeants des pays membres de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN), qui se réunissaient à Londres, le lendemain de la parution du fake news, les 3 et 4 décembre, qu’ils intensifient la pression sur les autorités nationales pour amener le gouvernement à céder contre l’avis de son peuple et les risques d’implosions sociales que cette décision risquerait de générer ? In fine, que faut-il comprendre ? Cette programmation navale est-elle, sponsorisée par OTAN, au moment où, celle-ci, s‘apprête à changer de paradigme et désigner son nouvel ennemi… la Chine ? Ce parrainage s’inscrit-il, dans le prolongement des ambitions de la future base navale européenne du ilot du Héron, que, de celles, identiques, visant à la transformation de l’infrastructure militaire américaine, du camp Lemonier, en une emprise navale, et pour laquelle, les États-Unis, ont débloqué en octobre 2018, 240 millions de dollars sur une ligne budgétaire programmée de 1,4 milliard de dollars ? Ces derniers vont probablement accélérer le pas pour finaliser leur projet naval dans le prolongement de la baie d’Haramous. C’est peu dire que les Américains ne sont pas prêts à plier bagages et comptent s’installer durablement, puisque l’administration Obama aurait négocié en 2012 la possibilité de renouveler le bail jusqu’en 2042 [9].
Enfin, reste à savoir, si le refus des peuples des pays de merde [10] de concéder une infrastructure navale à l’armée Éthiopienne, compte pour du beurre ? L’avenir nous le dira...
Mahdi A.


[3« Marine éthiopienne », Wikipedia.

[4Muluken Yewondwossen, « Djibouti to host Ethiopia’s Navy », Capitalethiopia, 2 decembre 2019.

[5« Importance instituting Ethiopia’s navy and military Djibouti », Reporter, 31 décembre 2016.

[6« A Conversation with Abiy Ahmed, Prime Minister of Ethiopia », WeForum, 23 janvier 2019.

[7François Soudan, « Ismail Omar Guelleh : « Nous n’avons rien à craindre du Big Bang régional » », Jeune Afrique, 10 avril 2019.

[8François Soudan, « Ismail Omar Guelleh : « Nous n’avons rien à craindre du Big Bang régional » », Jeune Afrique, 10 avril 2019.

[9« Could China squeeze US out only permanent military base africa », Washington Post, 14 décembre 2018.

 
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