Le Premier ministre éthiopien a effectué une visite à Djibouti au début de ce mois de février. A cette occasion, de nombreux accords de coopération ont été signés par les deux pays. En outre Haile Mariam Dessalegn a eu l’honneur d’être invité à s’exprimer devant l’ensemble de la représentation nationale réunie.
Dans son discours, le Premier ministre a rappelé l’importance des liens culturels et historiques qui unissent les deux pays et fait l’éloge de la réussite des projets économiques communs. Enfin, cerise sur le gâteau, il a demandé la main de Djibouti… « pour le pire et le meilleur ».
Il propose à la République de Djibouti d’intégrer une union politique renforcée (closer political integration), présenté comme un retour dans le giron éthiopien des frères et sœurs « séparés par des barrières artificielles ».
Quels que soient les mérites de cette proposition, la façon dont cette union politique est comprise et soutenue des deux côtés de la frontière pose de gros problèmes. Selon le Premier ministre éthiopien, cette relation exceptionnelle s’impose par la légitimité du poids économique et démographique et, surtout, la capacité des deux nations à s’entendre. Pour lui, l’Éthiopie et Djibouti partagent un projet commun pour leur deux pays proches et ont développé des pratiques communes de dialogue, d’écoute mutuelle et de partenariat qui ne demandent qu’à être intensifiés.
Attendu sur le succès des relations économiques, il n’y a pourtant consacré qu’un très court passage, se contentant de rappeler que « cette relation a donné naissance à la réalisation d’infrastructures de plus en plus sophistiquées et de plus en plus imbriquées entre nos deux pays ». Il a expliqué que l’intégration économiques entre les deux pays ne fait que commencer et va s’intensifier dans les années à venir : « nul besoin d’indiquer qu’il y a encore plus de projets en commun qui vont se réaliser à court terme : il n’y a aucune limite à notre coopération ».
Il a écarté d’un revers de main l’opinion des mauvaises langues qui expliquent que la proximité et les liens extrêmement forts entre les deux pays seraient dus à ce que Djibouti est indispensable à la croissance et au développement de l’économie éthiopienne. Il a estimé que cela serait extrêmement réducteur de réduire les liens à ce seul facteur : « De dire que c’est parce que nous sommes voisins serait sous-estimer énormément la situation. Pareillement prétendre que cette grande proximité de notre relation découlerait du rôle indispensable du port de Djibouti pour l’Éthiopie est vrai ; toutefois ce constat est vraiment trop réducteur, il ne permet pas de saisir l’essence même de la profondeur de nos relations ».
L’Éthiopie, un géant de près de cent millions d’habitants qui connaît une croissance économique à deux chiffres depuis quinze ans, a un talon d’Achille : son enclavement. Ce colosse doit, pour nourrir sa population et se pourvoir en équipements et matériels en tout genre, faire transiter par le port de Djibouti 85% de ses importations. Selon la dernière donnée disponible, en 2012 le port de Djibouti a manutentionné près de six millions de tonnes de marchandises à destination ou en provenance de l’Éthiopie. Il faut rappeler ce qu’Haile Mariam Dessalegn oublie, à savoir que le port d’Assab est fermé aux produits éthiopiens depuis 1998, et que l’autre grand port régional, celui de Berbera, est sous équipé, non conteneurisé et sans accès routiers adaptés au transport commercial.
Union politique
En s’adressant à la représentation nationale djiboutienne, le Premier ministre éthiopien entend faire connaître son sentiment sur la forme que devrait prendre la relation entre nos deux nations : « C’est pourquoi le fait de m’adresser à ce parlement, qui incarne l’engagement des frères et sœurs djiboutiens, représente une opportunité unique de partager avec vous mes sentiments et mes aspirations les plus profondes concernant notre futur commun qui, selon toutes les indications, devient de plus en plus lumineux comme le jour qui se lève ».
De quel futur s’agit-il ? Le volet économique est alors délaissé au profit du lien historique et culturel qui unirait nos deux peuples. Il lance un « appel à davantage d’actions pour répondre aux demandes récurrentes de nos deux peuples d’une coopération plus proche, d’une union économique et sociale plus importantes et, qui sait, même une intégration politique plus étroite, qui simplement et logiquement découle de notre croyance et de notre dévouement à l’accomplissement de notre destin historique commun. Je ne sais pas comment les analystes politiques appelleraient ce genre de relations beaucoup plus étroites, mais nous nous y dirigeons lentement mais sûrement car c’est ce que nos deux peuples désirent ardemment et ce que nos enfants méritent largement ».
Tout en proposant donc un destin commun, une union « politique », le Premier ministre éthiopien n’a pas précisé la forme qu’elle pourrait prendre. Il renvoie la balle « aux observateurs et analystes » à qui il appartiendrait « de nommer cette union ». On peut expliquer la prudence de sa démarche par sa volonté de voir comment cette offre d’union sera considérée, interprétée. A la défense de Haile Mariam Dessalegn son discours n’est pas nouveau, il continue une vieille antienne selon laquelle l’Éthiopie et Djibouti ont été séparés par la colonisation… « Pour reprendre les mots de mon illustre prédécesseur [Meles Zenawi] qui résonnent encore à ses frères et sœurs djiboutiens : nous savons très bien que nos destins sont liés pour le meilleur et pour le pire ».
La suite est à l’avenant : « nous sommes intimement liés et les circonstances historiques, géographique et démographiques nous créent le devoir de poursuivre le chemin de notre histoire commune. […] Je lance aujourd’hui un appel pour que nous engagions dans les combats de nos deux peuples pour un meilleur avenir. Il est de mon devoir de vous relayer le message de la disponibilité des Éthiopiens à prendre leur part de responsabilité afin d’atteindre ce noble objectif. J’espère que réciproquement nos frères et sœurs djiboutiens y sont également prêts ».
Comme il l’avait indiqué dans un élan rhétorique, « notre bien commun le plus précieux sont nos peuples qui partagent des langues et cultures similaires et un désir irrépressible de poursuivre des rêves et des aspirations communs, ainsi que des dirigeants qui ont démontré leur volonté politique de mettre en œuvre et concrétiser ces rêves et aspirations à une destinée commune ».
Cependant, on retiendra que dans le passé, en l’absence de menace durable et réelle, il est peu courant que les nations s’engagent dans une unification permanente. Or, de quelle menace pourrait nous protéger l’Éthiopie ?
Renégociation des accords de 2002
Concrètement, en justifiant son refus de renégocier à la hausse les tarifs portuaires très favorables dont bénéficie l’Éthiopie dans le cadre de l’accord commercial de 2002 sur l’utilisation du port de Djibouti et le transit des marchandises (25A-ETH du 13/04/02), Haile Mariam Dessalegn explique que nos intérêts communs sont plus importants que les enjeux immédiats d’un probable bras de fer entre les deux nations sœurs. Par ailleurs, il insiste sur le fait qu’il est important que les deux peuples s’épaulent et se soutiennent afin de permettre aux deux pays de croître ensemble et non l’un contre l’autre. Enfin il ajoute que le succès de l’Éthiopie sera aussi celui de Djibouti, car leur sort seraient liés : « Nous devons comprendre que nous devons sacrifier les bénéfices à court terme afin d’atteindre nos objectifs stratégiques à long terme. Notre destinée commune est bien plus importante que la somme totale de nos intérêts individuels. Soyez sûr qu’ensemble nous allons briller dans la région en tant que pilier d’intégration régionale ».
Pour souligner l’importance des liens qui unissent les deux pays, il rappelle insidieusement que l’Éthiopie fournit à bas prix l’énergie électrique consommée tous les jours à Djibouti, comme elle compte mettre gratuitement à disposition de Djibouti une denrée extrêmement rare chez nous et qui abonde en Éthiopie : l’eau. En effet, l’Ethiopie va fournir durant les trente prochaines années 100 000 m3/jour d’eau à Djibouti. Pour le Premier ministre, l’Ethiopie « attache une très grande importance aux relations fraternelles avec le peuple et le gouvernement de Djibouti pour des raisons multiples. […] Ce que nous avons également en commun se sont des peuples qui veulent bénéficier des atouts que disposent chaque pays en abondance ».
La question érythréenne
Il a haussé le ton lorsqu’il a précisé que le peuple éthiopien serait aux côtés des Djiboutiens si des ennemis cherchaient à porter atteinte à notre pays. Il a brandit une menace lourde de sens à l’encontre de l’Érythrée, et dépeint l’Éthiopie comme le garant de la sécurité et de l’intégrité territoriale de Djibouti. On peut se demander à quel titre. Nos deux pays seraient-ils liés par des accords secrets de défense, ou tout simplement est-il de l’intérêt stratégique de l’Éthiopie de sauvegarder à tout prix son principal débouché maritime vers le reste du monde ? Quoi qu’il en soit, avec cette posture le Lion d’Abyssinie se présente comme le "protecteur" de la République de Djibouti. Le Premier ministre a manifestement oublié que la sécurité et l’intégrité territoriale de Djibouti, au delà de nos forces armées, sont garantis par des accords militaires avec la France ? En outre il semble faire peu de cas de la présence de la seule base militaire américaine installée sur le continent africain ! Djibouti n’a nullement besoin du parapluie éthiopien, ni que l’Éthiopie nous garde de l’Érythrée.
« Pour nous c’est un article de foi que nous sommes prêts à entretenir et défendre à tout prix. Quiconque qui se mettra au travers du chemin de nos frères et sœurs djiboutiens dans leur quête à la prospérité, au nom de tel ou tel prétexte, ne gagnera que notre dédain, et qu’il soit bien clair pour tous que n’importe souffrance infligé à Djibouti sera doublement ressentie par nous. »
Ce discours qu’il a qualifié de moment unique où il pouvait s’adresser au peuple djiboutien, a été consacré pour l’essentiel à convaincre que l’Éthiopie a les meilleures intentions à l’égard de Djibouti… Après cet étrange épisode au Parlement, la balle est plus que jamais dans le camp des politiques pour clarifier notre position : Djibouti n’a pas l’intention de donner sa main à l’Éthiopie comme une jeune écervelée. Elle souhaite seulement consolider autant que possible nos liens commerciaux actuels.
L’Éthiopie n’avait jamais auparavant franchi aussi clairement le Rubicon. Pour la première fois, elle claironne ses intentions en invoquant des prétendus liens historiques où les deux nations n’en feraient qu’une. Un exemple inquiétant me vient à l’esprit : c’est la Crimée… Nous devons rester vigilants à l’égard d’objectifs aussi clairement définis par notre grand voisin.
Mahdi A.
Merçi pour votre article.
L’Ethiopie et Djibouti sont des 2 pays frères et frontaliers, unis par des liens dont les racines remontent à nos ancestres.
Les 2 dernières phrases de votre article me laissent perplexe mais, "l’Union Commerciale et Economique fait toujours la force" et Djibouti est et restera TOUJOURS SOUVERAINE en tant que NATION INDEPENDANTE !!!!
Après les affres du khat et les appâts offerts généreusement (parcelles de terrains a Addis Ababa et ses alentours) toujours aux mêmes haut dignitaires Djiboutiens. Nos charmant voisins réussissent de plus en plus a s’imposer dans les décisions concernant le contrôle du corridor routier entre les 2 capitales. Connaissant le sens aigu du patriotisme Ethiopien et leur légendaire habilités pour défendre leurs intérêts commun il est clair et limpide que l’Etat Ethiopien a un plan pour notre 23 700 km carré certains d’entre nous le savent déjà peut-etre...le temps nous le dira, pour tous autres locaux, rester vigilent car l’ssimilation a déjà commencé...elle prend différente forme, elle peux être numéraire (remarquer devant chaque villa du héron jusqu’a haramous au moins 3 gardiens d’origine horomo y montent la garde des hommes tres organiser, herarchiser et dicipliner, bref le parfait soldat prêt a recevoir l’ordre final.De nos celle-ci prend une forme plus sournoise, mais non moins dangereuse, l’assimilation par le lien du mariage...nos jeu es femmes sont devenue l’outil d’integration idéal et indélébile.
Je ne suis ni racisme ni rétrograde, mais ce qui m’apparaît comme une épine dans le pied, c’est que la réciproque ne nous ait pas facilement permise je vois cela comme un gouffre noir sans qui finira par engloutir le Djiboutien...si il existe vraiment...a bon entendeur !!!