Human Village - information autrement
 
Abiy Ahmed Ali prix Nobel… Why not ?
par Mahdi A., juillet 2018 (Human Village 33).
 

Il aura fallu un discours d’un genre rarement prononcé sur le continent par un chef de gouvernement en exercice, avec une conviction réelle où chaque mot prononcé n’était pas là futilement pour remplir le blanc de la feuille, mais bien parce qu’il renseignait sur le nouveau chemin que s’apprête à prendre une nation unie. L’orateur en devenait l’incarnation, le symbole d’espoirs immenses. Cette allocution retransmise en direct a été une délivrance, la promesse d’un changement du tout au tout… C’est sans doute la raison qui explique l’extraordinaire engouement qu’Abiy Ahmed suscite auprès des siens. Il semble avoir touché quelque chose de très profond dans le cœur de ses compatriotes.

La main tendue à l’Érythrée
Il brise un tabou et n’a pas eu peur de l’annoncer dans son discours de politique générale le 2 avril 2018 : il se dit prêt à céder Badme si cela doit être le prix de la réconciliation avec l’Érythrée. La logique stratégique incite les deux pays à travailler plus étroitement.
La délégation érythréenne, composée du ministre des Affaires étrangères Osman Saleh, et du conseiller spécial du président Aferworki, Yemane Gebreab, a été accueillie au pied de l’avion par le Premier ministre éthiopien, avec les traditionnelles couronnes de fleurs. En foulant le sol éthiopien ce mardi 26 juin 2018, elle amorce la fin d’une anormalité qui a duré près de vingt années, c’est dire que l’instant est magique [1].
Abiy Ahmed Ali propose de restituer la ville de Badme, conformément à la décision rendue le 13 avril 2002 par la Cour d’arbitrage de La Haye, pour rétablir des liens d’amitié et de voisinage cordiaux avec son meilleur ennemi, l’Érythrée. Ce que propose Abiy Ahmed Ali est de revenir à la primauté du droit, si cela peut ramener la paix et la prospérité dans les deux pays.
L’Éthiopie avait auparavant refusé cette décision et continué d’occuper le terrain, contrevenant à l’accord signé trois mois après le cessez le feu du 18 septembre 2000 entre les deux armées, le 12 décembre 2000. Ce conflit causa la mort de près de cent mille personnes et provoqua plus d’un million de déplacés. Le conflit avait provoqué une fracture bien au-delà de la sphère politique. La séparation de fait entre les deux nations avait dessiné une frontière à l’intérieur de familles, dont certaines ont été déchirées, qui doivent probablement vivre ce moment comme une bénédiction.
Cette décision va avoir de nombreuses répercussions sur l’environnement régional. L’Érythrée va récupérer le territoire contesté, mais surtout pouvoir sortir de son isolement, s’ouvrir enfin au reste du monde et faire repartir son économie.

Photo montage

Dans une tribune récente du New York Times, Michela Wrong estimait que la situation inique de l’Érythrée et l’impunité dont jouissait l’Éthiopie malgré son refus d’appliquer le droit international était du à la realpolitik. Le rôle de l’Éthiopie dans la guerre contre les Shebbabs en Somalie, et son poids démographique n’y était pas pour rien. Finalement la morale de cette histoire est que si l’on a les bons amis rien n’est impossible, à l’image d’Israël ou de l’Arabie saoudite.
« Sur le plan juridique, l’Éthiopie était manifestement en infraction, puisqu’elle s’était engagée dans l’accord de paix de 2000, comme l’Érythrée, à respecter toute décision prise par la commission des frontières. Les Nations-unies, l’Union européenne, l’Organisation de l’unité africaine (maintenant Union africaine) et les Etats-unis s’étaient engagés à agir comme garants, et ils ont aussi failli. […] Mais devant le choix entre un allié traditionnel important dirigé par un Premier ministre éloquent, et un minuscule nouveau-né avec un président notoirement agressif, les grandes puissances occidentales ont choisi de se ranger du côté du plus grand joueur – et d’autant plus facilement qu’il s’est imposé comme un allié dans la lutte contre le terrorisme islamiste » [2].

Réunifie son peuple pour mettre fin aux meurtriers conflits identitaires
Il n’hésite pas à exalter la fibre nationaliste et utilise le roman national comme un outil politique pour réunifier son peuple et mettre fin aux meurtriers conflits identitaires qui ont durablement et profondément impactés le pays, engendrant un chassé croisé de plus d’un million d’habitants. Une situation qui a fait craindre que le pays ne s’effondre en une multitude de petits États… C’est la raison pour laquelle il a tenu à effectuer son premier déplacement le samedi 7 avril à Jijiga, capitale de la région Somali. Pour rétablir la confiance, et surtout rassurer sur ses intentions, dans un contexte où les Somalis voient d’un mauvais œil l’arrivée d’un Oromo à la Primature. Cette démarche est révélatrice des fortes tensions et des craintes que peuvent susciter pour certaines communautés la prise du pouvoir par un représentant de la plus importante communauté d’Éthiopie.
Les violences meurtrières qui ont opposé ces derniers mois les communautés somalie et oromo (deux régions qui partagent une frontière de plus de mille kilomètres) avaient entraîné le déplacement massif de centaines de milliers de personnes. Ces régions se sont enflammées à la suite d’évènements survenus dans le district Salahad, en région Somali, le 7 septembre 2017. La suite est connue et rappelle de tristes souvenirs : les deux régions ont été plongées dans des violences quotidiennes avec des assassinats, des blessés graves et de nombreuses arrestations. Par son geste, Abiy Ahmed, s’est indéniablement posé en réconciliateur.

Traitement de choc pour un vent nouveau
Ce qui surprend le plus dans son action c’est le rythme effréné des réformes tous azimuts. Qu’est ce qui explique une telle énergie ? Il sait qu’il n’a pas le droit à l’erreur et que le temps presse, puisque le système économique porte en lui les germes des maux actuels de l’Éthiopie. Il ne peut décevoir. Il n’y a pas de plan B en cas d’échec, l’explosion du géant ne serait plus inéluctable. C’est la raison pour laquelle il met méthodiquement en musique les promesses de son discours de politique générale. Il soumet le pays à un traitement de choc pour faire émerger un monde nouveau. Faire ce que l’on dit et dire ce que l’on fait, voilà un principe que Abiy met en pratique. Un cap a été fixé pour répondre aux aspirations démocratiques et, avec l’aide de ses colistiers de la Lemma Team, il le maintiendra. Comment mieux expliquer cette ligne politique qu’en la comparant à un coup de pied dans la fourmilière… Libération des prisonniers politiques, liberté de la presse [3], liberté d’opinion, rétablissement d’internet dans les régions, pourparlers avec des mouvements armés d’opposition, instauration d’une instance de dialogue pour modifier les conditions d’enregistrement des partis politiques, le système électoral, réforme du Parlement qui implique une révision de la Constitution, suppression de l’état d’urgence, ouverture partielle de pans entiers de l’économie au privé, lutte contre la corruption et le transfert illégal de devises, font partie des nombreuses mesures annoncées et qui font l’objet d’un début de mise en œuvre. Il n’hésite pas non plus à dénoncer les actes de tortures perpétrés par l’État [4], et affirme sa volonté d’établir une relation pacifiée avec l’Érythré, mais aussi avec l’Égypte [5], alors que les deux pays étaient au bord de l’affrontement armé à propos du partage des eaux du Nil après la construction du barrage de la renaissance par l’Éthiopie.

Il ne veut pas diviser son pays et prône la réconciliation, l’amour du prochain et le pardon dans son discours d’investiture du 2 avril dernier : « A partir de maintenant, l’Éthiopie sera animé par l’amour et le pardon. Nous voulons que notre pays soit un pays de justice, de paix et de liberté et que ses citoyens soient interconnectés avec l’humanité et la fraternité. Ce rêve ne sera une réalité que si nous nous réveillons de notre sommeil et travaillons avec diligence. C ‘est bon d’avoir de grands espoirs et de bons souhaits. Cependant, nos espoirs et nos souhaits ne suffisent pas à eux seuls. Ils nous incombent de travailler dur, d’être diligent et de mener une lutte acharnée. […]
Nous devons purifier nos pensées de la haine ; la diversité d’opinions politiques et religieuse sont nos bénédictions, nous devons être du côté de la justice plutôt que de l’injustice et corriger nos lentilles morales.
Je demande pardon du fond du cœur aux nombreux défenseurs de la liberté et de la justice et aux politiciens et aux nombreux jeunes en quête de changement et dont les vies ont été brisées avant qu’ils puissent jouir de la vie […] de même, je voudrais exprimer ma plus grande admiration et mon plus grand respect pour les membres des forces de sécurité dont la vie a été perdue pour maintenir la paix et dans l’exercice de leurs fonctions constitutionnelles ? Je voudrais profiter de cette occasion pour promettre à notre peuple que nous trouverons des solutions aux problèmes qui ont provoqué ces crises et dédommagé notre peuple » [6].

Dans l’imbroglio éthiopien, les problèmes ne semblaient pas près d’être résolus, la situation inquiétait les partenaires commerciaux. Depuis la prise de fonction d’Abiy Ahmed, l’espoir renait en Éthiopie. Il a su se montrer rassembleur et jeter les bases d’une nouvelle espérance démocratique. Il incarne l’image d’un renouveau, d’une nouvelle politique. Il se fait le chantre du respect des libertés individuelles. En ne cherchant pas à traduire devant la justice les responsables de la torture il opte pour la réconciliation et le pardon : une loi d’amnistie a été adoptée par le Parlement ce jeudi 28 juin [7].
Malgré la controverse concernant la rétrocession de Badme, il a décidé de poursuivre dans cette voie contre vents et marées. Une nouvelle page s’ouvrira définitivement après sa visite attendue dans les jours prochains à Asmara. Sans nul doute elle revêtira une importance particulière, pour ne pas dire historique, car elle interviendra après deux décennies de joutes verbales et d’affrontements meurtriers entre les deux pays.
L’initiative du gouvernement qui adopte les revendications du peuple est remarquable, inimaginable il y a encore quelques mois. La promesse de changement est claire. Le recours à la force comme moyen de dialogue avec la population est révolu. La démocratie ce n’est pas le far West semble convenir Abiy Ahmed.

Abiy Ahmed Ali lauréat du prix Nobel de la paix… Why not ?
L’institut Nobel norvégien indique avoir une liste de 330 candidats en lice pour le prix du Nobel, dont 216 sont des personnalités et 114 des organisations. La liste complète des candidatures n’est jamais dévoilée et reste secrète pendant cinquante ans. Ce prix sera décerné début octobre prochain. Un nom est pourtant très évoqué dans la presse pour ce prestigieux prix, c’est celui de Donald Trump… Non non c’est pas une farce ! Et ce malgré que ce dernier se prépare à un affrontement armé avec l’Iran au détriment du respect du droit international et pour contenter certains royaumes des pays du Golfe, plus importants clients de l’industrie militaire de son pays ainsi que, l’État d’Israel. Rassurons-nous les chances que le choix du Nobel se porte sur le magnat de l’immobilier sont quasi nuls. Pour le plaisir d’en rire l’éditorialiste du Washington Post Dana Milbank s’est amusé à imaginer le discours d’acceptation de Trump le 10 décembre 2018 à Oslo.

« Ceux qui me détestent et qui mentent disent que je ne mérite pas cette récompense. […] Faux ! J’ai été vraiment très intelligent quand j’ai fait la paix avec Rocket man. En le traitant de petit et gros et en disant que je le détruirais complètement par le feu et la colère avec mon gros bouton nucléaire je l’ai forcé à négocier » [8].

Abiy Ahmed Ali… Why not ? Cela serait un choix judicieux qui ne manque pas d’attraits, au delà du fait que cela serait un signe d’espérance pour tout un continent.

Mahdi A.

NB  : La couverture du Time est un photomage.


[2Michela Wrong, « When Peace Is a Problem », New York Times, 8 juin 2018.

[3« Le gouvernement éthiopien débloque 264 blogs et sites internet », Reporters Sans Frontières, 25 juin 2018.

[4« Ethiopia PM says era of state sanctioned torture is over », Ecad forum, 19 juin 2018.

[7« https://addisstandard.com/news-ethi... », Addis Standard, 28 juin 2018.

[8« President Trump nobel peace prize acceptance speech », Washington Post, 1 mai 2018.

 
Commenter cet article
Les commentaires sont validés par le modérateur du site avant d'être publiés.
Les adresses courriel ne sont pas affichées.
 
modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

 
Les entraves à l’aide humanitaire au Tigré sont un crime de guerre
 
Requiem pour la liberté d’expression à Djibouti ?
 
La Rue, nouveau titre dans le paysage de la presse djiboutienne
 
Un battement d’ailes de papillon peut provoquer un ouragan dans le système bancaire djiboutien
 
Djibouti inquiet de la tension somalo-éthiopienne
 
Sahle-Work Zewde au Parlement djiboutien
 
| Flux RSS | Contacts | Crédits |