La salle Arthur Rimbaud de l’Institut français de Djibouti a été prise d’assaut dans la soirée de dimanche. Et pour cause ! Gilles Kepel, important politiste français, spécialiste de l’islam et du monde arabe contemporain, donnait une conférence sur l’histoire mouvementée du Proche-Orient et de la Méditerranée ces quarante dernières années.
Deux heures durant, le conflit israélo-arabe dans les années 70 et les jeux des alliances avec les puissances internationales, puis l’émergence d’un islamisme politique qui a donné naissance à des mouvements radicaux et terroristes ont nourri l’intervention du chercheur français.
Le professeur des universités et directeur de la chaire Moyen-Orient Méditerranée à l’École normale supérieure a fait montre de sa grande érudition. Debout devant son pupitre, il a montré, utilisant des cartes de Fabrice Balanche, géographe spécialiste de la Syrie, les acteurs, les dynamiques et les ressorts de cette histoire du début des années 70 jusqu’à nos jours. Une période relativement courte mais riche en rebondissement et en retournements de situations.
Gilles Kepel présentait les grandes lignes de son dernier ouvrage Sortir du chaos. Les crises en Méditerranée et au Moyen-Orient, publié aux éditions Gallimard en 2018. Dans ces 514 pages, il analyse une histoire en mouvement, à l’aide de nombreuses interviews, d’enquêtes sur le terrain, mais aussi des documents d’archive et d’autres sources.
Durant son intervention, l’orateur a commencé par dessiner les contours des convulsions qui agitent le Proche-Orient et la Méditerranée. Une série de crises qui commencent par la guerre du Kippour d’octobre 1973 et de sa conséquence la plus remarquable à savoir le premier choc pétrolier [1].
Gilles Kepel explique que c’est cette explosion des prix du pétrole, déclenchée par l’Arabie saoudite pour punir l’Occident de son soutien à Israël, qui fonde l’amplification de l’islamisme politique qui prend alors son essor. Mouvement complexe et en constante mutation, qui va se nourrir aussi des conflits opposant les deux grandes branches rivales de l’islam, le chiisme et le sunnisme. La montée du djihadisme dans le monde à partir 1973 atteint son paroxysme avec la proclamation d’un « califat » de l’Etat islamique en 2014, suivi de la chute militaire de Daech, en Irak et en Syrie [2].
Cette mise en échec de Daech ne met pas un terme au phénomène djihadiste, prévient Gilles Kepel, puisque ce sont des « loups solitaires » et des « cellules dormantes » qui sont recrutés en Occident pour commettre des attentats contre des cibles en Europe et aux États-unis. Le professeur Kepel aborde également les révolutions arabes de 2011, qui ont débouché sur des guerres civiles, comme en Syrie, au Yémen ou encore en Libye, ou au retour rapide de dictatures militaires, comme en Egypte.
L’intervention, rigoureuse et d’une extrême précision, a proposé également des solutions politiques pour sortir de la crise. Il s’appuie sur le cas de la Syrie où une solution politique à travers un consensus entre Russes et Occidentaux [3] peut garantir un processus de paix. C’est la voie pour parvenir « à une réinsertion vertueuse de toute la région du Moyen-Orient dans l’ordre mondial » soutient-il.
A l’issue de sa présentation, le professeur Kepel a eu un échange avec un public conquis. Comme cette jeune lycéenne, complètement hypnotisée, qui l’a interrogé sur sa passion pour le monde arabe. Question qui a amené le conférencier à retracer son parcours universitaire mais aussi ses allers et retours dans cette partie du monde qu’il étudie dans son ouvrage. Ses dernières années en Syrie, en Irak, en Libye et ailleurs, etc. Les échanges ont surtout tourné autour des tentacules islamistes dans le Levant qui couvre la Grande Syrie et l’Irak, mais aussi le conflit israélo-arabe et la question palestinienne.
Mohamed Ahmed Saleh
[1] Etienne Goetz, « Pétrole - Les cinq dates qui ont marqué l’histoire de l’OPEP », Les Echos, 30 novembre 2016.
[2] Yves Bourbillon, « Daech n’a plus que le terrorisme comme moyen d’action », Les Echos, 21 août 2107.
[3] Jacques Hubert-Rodier, « Syrie : les racines complexes d’une guerre sans fin », Les Echos, 3 novembre 2016.