Dhalinyaro, le film de la cinéaste djiboutienne Lula Ali Ismail, a été projeté jeudi dernier dans la salle Arthur Rimbaud de l’Institut français de Djibouti. Un public jeune a pris d’assaut les travées de la salle et s’est régalé de ce chef d’œuvre signé par la brillante cinéaste. Lula Ali Ismail signe son second succès cinématographique avec ce premier long métrage (1h30). Certainement portée par le succès de son court métrage Laan, projeté en 2011 et qui a reçu une critique très positive, allant même jusqu’à être projeté au Fespaco en 2013, au festival Vues d’Afrique de Montréal en 2012, à Lausanne, à l’île de la Réunion, etc.
Dhalinyaro, jeunesse en français, est une œuvre cinématographique de haute qualité qui, à travers le quotidien de trois lycéennes issues de différentes classes sociales, dépeint la jeunesse et plus généralement la société djiboutienne. A l’orée de leur dernière année de lycée, Asma, Deka et Hibo vivent une période délicate où elles doivent franchir la période de transition entre l’adolescence et l’âge adulte.
Au-delà de l’histoire des trois jeunes filles, une foule de thématiques sociales sont également abordées dans le film. La sexualité chez les jeunes, les pratiques déviantes comme le tabac et les produits stupéfiants, sont plus ou moins pudiquement traités.
Les trois jeunes personnages sont d’une formidable solidarité, à l’image du peuple des braves, bien que chacune caresse un rêve dans ses études supérieures à Djibouti ou ailleurs en Europe. Thématique qui renvoie immanquablement vers le voyage et plus largement la migration vers des cieux plus cléments où la vie quotidienne ne connaît pas certains défis quotidiens, comme les délestages électriques ou la misère ambiante dans les rues.
Il faut noter le brio des jeunes actrices, impressionnantes de professionnalisme et si captivantes. Le travail de la cinéaste transparait et rejailli dans cette belle histoire d’amitié, tournée avec des plans qui montrent notre capitale et ses charmes sous un jour nouveau. Les scènes ont été tournées à Djibouti : Quartier 4, Haramous, Gachamaleh, Einguela, le lycée d’Etat, le CDC de quartier 2, le Kempinski Palace, la plage Siesta, l’Escale, l’île Moucha, etc. Lula a décidément su mettre tous les ingrédients pour enchanter son public.
Tout au long du mélodrame, depuis le début qui implique l’une des protagonistes, le spectateur est transporté d’une humeur à l’autre, d’une émotion à son exact opposé. Durant l’heure et demi du film, l’on passe de la passion au dégoût, de l’admiration et de l’excitation à la colère voire la rage, après chacun des rebondissements qui font le charme du film.
Le film prend acte de la prise de pouvoir d’une jeunesse en pleine mutation et bien dans son temps. La modernité et tous ses challenges dans la libération des mœurs, les responsabilités sociétales et parentales qu’il faut repenser sont autant de leçons que l’on pourrait tirer de cette profonde remise en question que propose Lula Ali Ismaïl. D’autant plus que l’actrice et réalisatrice est une figure majeure de la lutte pour une plus grande liberté dans la création artistique pour libérer les potentiels de chacun et participer à cette dynamique de prise d’initiative que l’on veut stimuler chez la jeunesse.
C’est d’ailleurs cet aspect du débat public qui a fait l’essentiel de l’échange entre la cinéaste et son public. Lula Ali Ismaël a expliqué qu’elle souhaitait voir la scène culturelle djiboutienne se développer et s’ouvrir davantage. D’où l’intérêt de laisser toutes les formes d’expression artistiques s’épanouir et se diversifier. Le marché de l’art cinématographique qui est assez complexe voire encore difficile à conquérir n’est pas à exclure du champ des possibles dans un avenir plus ou moins lointain.
Lula Ali Ismaïl a déclaré son désir de voir la culture être un moteur du développement de notre pays. Le cinéma est l’une des expressions artistiques qui permettra, a-t-elle insisté, de créer des emplois et d’instaurer des mécanismes de production pour créer une industrie cinématographique. D’où la nécessité d’investir dans le cinéma djiboutien, réalisé et produit par des Djiboutiens, pour montrer notre potentiel, notre force et nos capacités créatives.
Lula a aussi rendu un bel hommage aux acteurs et actrices du film, en l’occurrence Mohamed Abdi Daher, Fahmi Guirré Alias Fa ou la défunte grande comédienne Roun Daher Aynan, plus connue sous le sobriquet de « Jeudi matin », Amina Mohamed Ali, Tousmo Mouhoumed Mohamed, Bilan Samir Moubus, Habon Doualeh Warsama, etc.
Elle a enfin remercié l’ensemble des partenaires qui ont permis ce film, avec l’appui financier de sponsors publics et privés djiboutiens. Samawada films, firme cinématographique djiboutienne l’a coproduit avec les Films d’en face et Maia Productions, en collaboration avec l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) et Canal+ Afrique.
Mohamed Ahmed Saleh