Le projet de réforme a été soumis aux autorités djiboutiennes par la ministre des transports éthiopienne Dagmawit Moges lors de la 27e réunion du comité conjoint djibouto-éthiopien qui s’est tenue le 7 septembre dernier à Arta ville. Une des principales demandes de la partie éthiopienne concernait l’enregistrement de cinq nouvelles entités éthiopiennes sur le territoire national, en plus d’ESLSE, afin qu’elles puissent disposer du régime avantageux que celui accordé à l’entreprise nationale, notamment auprès de la douane djiboutienne.
Addis fortune confirme la teneur des échanges et en dit plus sur les intentions du gouvernement éthiopien : « Le monopole de l’État sur le secteur de la logistique prendra bientôt fin, les autorités fédérales autorisant jusqu’à cinq opérateurs privés à s’impliquer dans le transport des expéditions de fret selon les conditions d’expédition franco à bord (FoB). Approuvée par le Conseil national de la logistique, la décision abrogera la disposition séculaire dans le secteur de la logistique selon laquelle les importateurs étaient limités à l’utilisation de l’entreprise publique Ethiopian Shipping & Logistics Services Enterprise (ESLSE) dans le cadre de conditions d’expédition franco à bord (FOB). Cependant, les experts voient ce mouvement non pas comme une libéralisation complète mais comme un élargissement du nombre d’acteurs de l’hégémonie. » [1] ».
Quid des garanties relatives aux règlements des prestataires logistiques nationaux, puisque ESLSE bénéficiait de la garantie de l’État éthiopien. Si l’on se fie au procès-verbal de la réunion entre les hauts fonctionnaires éthiopiens et djiboutiens qui s’est tenue au Kempinski les 17 et 18 novembre 2021, la question ne semble pas avoir été résolue et reste en suspens.
Les deux gouvernements avaient signé le 9 novembre 2008 un mémorandum d’entente, qui prévoyait entre autres la mise en place d’un système de « connaissement direct » pour la partie conteneurisée des marchandises en transit pour l’Éthiopie. Pour la communauté du transit et de la logistique djiboutienne, c’était clair comme de l’eau de roche. Ils voulaient participer aux négociations afin de défendre les intérêts de leur corporation. Finalement, allant dans leur sens, les deux gouvernements s’étaient mis d’accord pour que le volet « connaissement direct » puisse être discuté entre les professionnels djiboutiens et l’Ethiopian Shipping Lines (ESL). C’est à ce moment-là que la constitution de l’Association des transitaires de Djibouti sous le régime juridique du groupement d’intérêt économique (GIE ) a été décidée. En agissant ainsi, leur objectif était de peser dans le débat et la négociation avec l’Éthiopie, que les transitaires soient consultés sur les questions qui concernent leur profession, et fassent entendre leur voix pour leurs intérêts soient défendus. Mais il a fallu un certain temps avant que le système du connaissement direct en multimodal soit effectif, alors même que les parlements des deux pays avaient ratifié l’accord. Cet accord stipule que l’ESL et le groupement des transitaires sont les interlocuteurs mandatés par les deux pays pour le connaissement direct.
L’activité a réellement démarré à la fin de l’année 2011. Puis, 2012 a démarré elle aussi très doucement. En 2013 et 2014, l’activité a pris sa vitesse de croisière. Aujourd’hui, les résultats sont très satisfaits si l’on se fie aux commentaires des deux parties, puisque c’est un secret de polichinelle que la direction de l’ESLSE voit d’un très mauvais œil la réforme en court, comme certains dirigeants de la filiale installée à Djibouti l’ont confié aux opérateurs djiboutiens. Ils ont du mal à accepter cette réforme alors que l’entreprise nationale dispose sur ses livrets bancaires de milliards de birrs en dépôt… Mais faute de pouvoir les convertir du fait de la pénurie de devises, aggravée par l’économie de guerre proclamée le 3 novembre, se retrouve incapable d’assumer sa mission efficacement.
Dans ce contexte singulier, la question qui taraude la communauté des transitaires djiboutiens est la suivante : puisque le gouvernement éthiopien a l’intention d’élargir l’accord signé avec ESLSE aux cinq nouvelles entités éthiopiennes sur le conteneurisé, comment se répartiront les parts de marché sur le dédouanement des conteneurs. D’autant plus que pour l’heure ESLSE bénéficie de la part du lion, avec près de 55% du marché ? Concernant les garanties de sécurité pour les nouvelles entités, les transitaires considèrent fondamental qu’elles soient couchées sur le papier et aient un caractère juridique pour assurer notamment les modalités de règlement des factures, à l’instar de celles les liant à ESLSE, puisque cette dernière bénéficie de la garantie de l’État éthiopien. A défaut l’autre piste envisagée serait pour que les règlements se fassent en amont, dès l’établissement de la demande de service, ou dans la foulée de la livraison des documents de dédouanement aux cinq nouveaux clients des deux groupements djiboutiens de transitaires (ATD - RTA). A cet effet ces deux groupements ont décidé, pour s’adapter à l’évolution de la logistique en Éthiopie et améliorer l’efficacité de leurs services, de mettre sur pieds un comité conjoint pour assurer un dispatching transparent et coordonné des bons d’enlèvements de la clientèle.
Indéniablement la nouvelle donne en Éthiopie rebat les cartes, les opérateurs djiboutiens surveillent l’évolution avec une attention teintée d’inquiétude et s’interrogent notamment sur la capacité des nouvelles sociétés à s’acquitter en devises des opérations logistiques qu’elles seront amenées à réaliser, d’autant plus lorsque l’on connait les difficultés récurrentes déjà rencontrées par la société nationale ESLSE à s’approvisionner en devises.
Enfin, ambitieux sur la forme, le big bang logistique en Éthiopie ne se fera pas du jour au lendemain. Les opérateurs djiboutiens souhaitent que leurs craintes soient prises en compte… L’avenir nous dira s’il en sera ainsi !
Mahdi A.
[1] « Ministry ends age old monopoly partially », Addis Fortune, 19 octobre 2021.