Le massif de Makarassou, dans le nord-ouest de la République de Djibouti, est une zone d’accès difficile et aucune route n’y mène. C’est un lieu très aride, découpé par la tectonique qui a soulevé d’une manière régulière les massifs basaltiques. Il en résulte de nombreux oueds, aujourd’hui à sec, et de vastes plaines. Des populations y ont néanmoins vécu dans un passé plus clément en laissant des images de leur environnement à travers le site rupestre le plus important actuellement connu dans le pays, mais aussi dans toute l’Afrique de l’Est : Abourma.
Ce site couvre 1500 m des falaises d’un petit oued. Large dans sa partie sud, où les gravures sont disposées sur des blocs côté ouest, cet oued se resserre dans sa partie nord pour former de petits réservoirs d’eau, lieux où les graveurs ont particulièrement exercé leur art sur tous les supports. Les 930 panneaux recensés forment l’ensemble le plus vaste du pays tout en offrant aussi le plus large panel de styles gravés. Cette profusion est tout à fait remarquable sur les panneaux à gravures superposées, parfois difficilement lisibles tant les superpositions sont nombreuses.
Abourma rassemble aussi tous les thèmes d’art rupestre connus en République de Djibouti mais aussi des scènes inédites. Le site propose des milliers de représentations d’animaux sauvages ou domestiques, exécutées à différentes périodes. Les antilopes sont majoritairement représentées et composent l’essentiel du bestiaire sauvage, avec deux espèces discernables grâce aux cornes : torsadées pour le koudou, longues et parallèles pour l’oryx. Les girafes, beaucoup moins nombreuses, sont de taille très variable, leurs images mesurant 30 cm à plus d’un mètre de hauteur. Les autruches sont parfois isolées mais le plus souvent forment des groupes d’un minimum de trois. Les babouins sont beaucoup plus rares mais très reconnaissables à leurs têtes rondes plus grosses que leur corps. Le bestiaire domestique est principalement composé de bovinés avec quelques dromadaires. Les vaches montrent trois styles bien distincts sans compter leurs copies. Le premier, le style « Dorra », serait le plus ancien et le plus réaliste ; le deuxième, « biconcave », en raison de la concavité inverse des traits du dos et du ventre ; le dernier, propre à Abourma, montre une vache au corps étroit et allongé. L’art rupestre d’Abourma ne se résume cependant pas à un art animalier puisque nous y trouvons également des scènes où l’homme s’est représenté en action, créant ainsi les premières histoires dessinées du pays. Cette intervention de l’homme en mouvement est suffisamment rare dans l’art rupestre pour classer Abourma parmi les sites importants du continent africain. Les hommes, en nombre, s’illustrent particulièrement dans les scènes de chasse, individuelles ou collectives. La scène la plus exceptionnelle reste celle représentée sur deux panneaux connexes qui racontent une chasse à la girafe. Le premier panneau montre une girafe courant, pattes écartées et cou tendu en avant. Face à elle, un seul archer. Il n’était peut-être pas seul à l’origine, mais l’effritement du bloc a totalement détruit ceux qui auraient pu se trouver derrière lui. Le panneau suivant livre la suite de l’action. La girafe à l’arrêt est entourée par 12 chasseurs, avec une corde partant de la tête de l’animal. Il indique que la chasse ne se termine pas par la mise à mort de l’animal mais par sa capture. Cet indice, unique dans les représentations de chasse, nous documente sur des techniques anciennes que l’étude des objets archéologiques ne peut nous révéler.
Les archers ne se sont pas seulement représentés dans des scènes de chasse mais aussi en position de duels ou de combat. La représentation garde la même dynamique, seul l’objectif change. Quatre scènes montrent l’affrontement de deux groupes, signalant, pour la première fois dans la région, que des conflits existaient, peut-être en raison de problème de territoire, de point d’eau ou d’animaux… Quatre dernières scènes complètent l’excellence du site d’Abourma. Il s’agit de panneaux mêlant l’homme et l’animal.
Nous entrons ici dans le monde du pastoralisme où les graveurs ont également mis le mouvement au service de l’action. La scène la plus emblématique livre un homme tenant un lasso qui ondule vers la tête d’une vache. Par cette représentation, le graveur a figuré une ondulation sur un plan, bien différente de tous les animaux figés sur la paroi. Cette scène prouve une nouvelle l’originalité du site d’Abourma. L’ensemble de ces gravures forment une succession d’images qui créée un véritable livre ouvert. Les scènes d’actions rappellent aux différentes populations qui ont fréquenté le massif de Makarrassou les faits marquants de toutes celles qui les y ont précédés.
En plus de nous montrer l’aptitude des graveurs à transcrire sur la paroi ces moments « vivants », ces scènes nous renseignent directement sur les comportements, les pratiques et l’environnement de chaque époque. Le relevé exhaustif que nous avons réalisé permettra aussi de comprendre l’organisation et l’évolution du site en établissant un catalogue de tous les thèmes et styles repérés.
Benoît Poisblaud , INRAP-CNRS, UMR 7041, Nanterre