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Témoignage
 

Tout comme la comtesse Dash, j’estimais que j’étais « peu de choses par moi-même » et qu’il était par conséquent inapproprié de m’épancher sur le sujet. Certaines situations peuvent venir brutalement ébranler cette affirmation lorsque nos repères, plus particulièrement ce qui peut constituer « la plus belle part de mon âme », sont touchés. Ce témoignage a surtout pour objectif de lever des tabous sur certaines maladies, témoigner des difficultés rencontrées afin de rechercher de quelle façon nous pouvons tenter d’y faire face.
Comme nous le rappelle un proverbe afar, « yab gitaleeh, qari afaleh » [1], au commencement furent les émotions déclenchées lors de l’écoute d’une chanson. Pour mon cas, « The Road » de Havasi, a toujours représenté le courage et le combat menés par une personne atteinte du cancer. Un combat dur, long et éreintant mais avec une fin positive par la victoire sur la maladie. Tout comme, il est primordial d’avoir foi en les enseignements du Coran :
 وَمَا تَشَآءُونَ إِلَّآ أَن يَشَآءَ ٱللَّهُ رَبُّ ٱلْعَٰلَمِينَ  [2]
Je ne comprenais pas les raisons qui m’amenaient à ressentir cette douleur, sans savoir que le mal rusait et attendait, tapit, son avènement. Vint l’heure de l’annonce du diagnostic. Comme tombe le couperet. Froid et tranchant. La plus importante personne de ma vie était atteinte du cancer, de ceux qui vous mange tout entier et de manière insidieuse. Comment se fait-il qu’aucun des tests effectués les années précédentes n’aient permis de déceler la lente avancée du « crabe » qui gagnait du terrain, année après année ? La maladie, on le sait, peut toucher n’importe qui, n’importe quand. Quand bien même serait-elle un symbole de piété et de bienveillance allié à une hygiène de vie exemplaire.
Même si, tel qu’il le pense, il faut savoir affronter son destin et accepter la volonté de Dieu, un constat s’impose. Il y a d’abord, à l’origine, un problème de diagnostic médical. Problème récurrent dans notre pays. Il n’y a pas de parcours de soin qui permette un diagnostic ou un dépistage précoce de ce genre de maladie. Même si on ne peut exiger un résultat garantit de la part des médecins, ils ont une obligation de moyen. Et leur responsabilité (tout comme celle de leur établissement) peut être engagée.
Pour que cette responsabilisation soit possible, il faut d’abord dépasser certaines attitudes de nos concitoyens. Ils ne parviennent pas à anticiper les problèmes surtout ceux touchant à la santé. Les remèdes religieux et traditionnels sont rarement les plus adéquats. Il faut éduquer nos concitoyens et souligner combien une alimentation saine est importante. C’est un fait : les villageois ne mangent peut-être pas tous les jours mais certainement mieux que les citadins.
Ensuite, l’absence de moyens alloués aux hôpitaux et à nos médecins ont des conséquences dramatiques pour les malades mais aussi pour la motivation et l’engagement des médecins. Ayant moi-même souffert d’une anomalie congénitale, je suis passée par plusieurs services, médecins et hôpitaux avant de trouver, loin de chez nous, la source du problème. Un seul hôpital, l’hôpital militaire dit soudanais, me parait digne d’être considéré comme tel. Les autres ne sont que des dortoirs pour malades qui témoignent du sous-effectif et du manque de formation du personnel soignant. C’est le cas de l’hôpital de la police, le seul endroit en capacité de soigner les personnes atteintes de cancer. Les personnes comme mon père qui ont choisi, vu la gravité de leur état et l’éventualité d’un départ définitif, de rester à Djibouti méritent une meilleure prise en charge. Ils méritent d’être soignés et/ou de mourir dignement.

Le seul oncologue djiboutien mérite plus de moyens et du personnel qualifié. Pourquoi ne pas créer un grand établissement public où seraient réunis tous les spécialistes, civils et militaires ? En effet, nous avons des médecins et des chirurgiens qualifiés et de bonnes volontés, comme MM. Ismail Abdillahi Iltireh, Idriss et Awaleh, pour ne citer qu’eux. Ne les poussons pas à abandonner. Le système tient en grande partie grâce à eux. Ayons toujours à l’esprit que n’importe qui peut se retrouver dans cette situation d’urgence. Pour certains, la prise en charge doit être rapide et ne peut attendre une hypothétique évacuation. C’est un fait, les cas de cancer sont en augmentation à Djibouti, comme dans de nombreux pays d’ailleurs.
Enfin, il convient de souligner l’inégalité des chances chez les patients. Ceux qui ont de l’influence ou des appuis sont mieux pris en charge. Les autres, souvent par manque de moyens, doivent renoncer aux soins. Je remercie sincèrement les politiques, à l’instar du Premier ministre M. Abdoulakder Kamil, le ministre de l’environnement M. Mohamed Abdoulkader ainsi que le président Dileita Mohamed, qui loin de s’en tenir à nos divergences, ont offert leur soutien et ont fait preuve de bienveillance tout au long de cette épreuve. Je ne saurai oublier les membres de la population djiboutienne (de toutes les ethnies, les tabliqs, les membres de la mosquée Ihsan du FNP, le corps médical, les gens connus sur les RS, la famille, les amis, la SG de l’UNFD, certains membres de GDD…) qui ont veillé et veillent encore sur mon papa.

Pendant que nous traversions cette épreuve, des moins que rien racontaient ici et là que mon silence était dû à un rapprochement avec le régime quand ils ne portaient pas atteinte à ma vie privée tout simplement. Contrairement à eux, qui se complaisent dans une binarité inutile et dans une batardisation du néant, il me semble qu’il ne suffit plus de dénoncer ni de rappeler l’urgence. Il ne suffit plus de se contenter du conformisme d’un autre temps avec lequel il est impossible de construire un pays. Les défaillances n’incombent pas qu’au gouvernement, nous avons tous notre part de responsabilité. Par conséquent, refusons les endoctrinements d’où qu’ils viennent et constituons des ponts afin de trouver des solutions susceptibles de nous mener vers la voie du salut.

En conclusion, je terminerai avec cette leçon d’Abwaan Gaariye
« Hadaan guga ku kordha
Gabow mooyee ku tarin
Garaad iyo waayo arag
Ileyn wax ma dhaantid geed » [3]

 Aïcha-Inès Ahmed Youssouf Steinmetz 


[1« Il existe un chemin pour accéder à la parole tout comme on entre à l’intérieur d’une maison par une porte ».

[2Verset de la sourate At-takwir, « Vous ne pouvez vouloir que si Dieu le veut, le seigneur de l’univers ».

[3« Si toute année qui passe,
Ne se traduit qu’en vieillesse,
Et ne t’élève pas en expérience et en sagesse,
Alors tu ne peux prétendre mieux qu’un arbre »
(Traduction de l’auteur)

 
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