Quand il devient difficile pour la presse de traiter « la chose » étatique dans un pays en plein marasme institutionnel, quand il devient encore plus difficile pour le quatrième pouvoir de critiquer les résultats d’une administration défaillante, quand il devient impossible de dire mot sur l’omniprésence des « tambours » de la minorité bien pensante du moment… Il ne reste aux médias rien d’autre que la médisance sensationnelle, celle qui exacerbe les instincts les plus viles… ceux des haineux et revanchards.
Un cas bien éloquent, tant cousu de fil noir, pourrait résumer ce climat populiste délétère : l’affaire du phosphate de Meknassi.
Appel d’offre concernant la mine de phosphate de Meknassi, un homme d’affaires et député remporte le marché en 2012, blocages syndicaux et socio-politiques jusqu’en 2018, l’homme d’affaires demande la réévaluation du montant du marché à cause de la chute du dinar, la hausse des salaires, du fret et transport international et de la hausse des prix entre 2012 et 2018. Il demande le double, une commission nationale composée d’une quinzaine de hauts responsables lui accorde beaucoup moins : une hausse de un million de dollars est acceptée par la commission.
Un million de dollars de plus d’investissement pour la création de plus de 200 emplois dans une région défavorisée et la production de 600 000 tonnes de phosphate en plus, ce qui aurait généré 90 millions de dollars de revenus annuels supplémentaires pour la compagnie nationale de phosphate et donc pour l’État. Pour ce million, vingt familles ont été traînées dans la boue pendant des années dans le cadre d’une interminable instruction.
In fine, l’instruction décide en appel (chambre d’accusation) de ne pas poursuivre le PDG, Abdellatif H, reconnaissant ainsi, que le haut de la pyramide politico-administrative est hors de cause dans le cadre de cette affaire.
Cette reconnaissance est donc, et de facto actée pour le ministre de tutelle de l’époque, Slim Feriani, mais celui-ci ayant fait le choix de refuser d’être auditionné par ces temps d’inquisition médiatique surréaliste, la chambre d’accusation n’a eu, techniquement, d’autre choix que de l’inclure dans le cortège des personnes à juger.
Certains médias se sont emmêlés les pinceaux en avançant qu’un mandat de dépôt était émis contre le ministre mais toute personne éclairée ne manquera pas de noter que la justice de notre pays n’émet pas de mandat de dépôt contre les personnes à l’étranger mais des mandats d’amener, Il ne peut, de ce fait, y avoir de mandat de dépôt contre lui.
Est-ce une erreur en cascade ? Son nom aurait-il été malencontreusement collé aux autres ? Ou bien est-ce prémédité car plus vendeur ?
Ce ministre occupe actuellement un poste dans une institution financière prestigieuse dans un pays qui respecte la présomption d’innocence, tout comme Sarkozy continuait d’occuper certains postes délicats et à donner ses conférences pendant l’affaire Bettencourt et tout comme Juppé continuait à donner des cours universitaires au Canada lors de l’instruction de l’affaire de la Mairie de Paris.
Mais si le ministre se trouve actuellement dans un État de droit faisant fi des élucubrations populistes des médias d’un pays tiers, qu’aurait-il pu advenir s’il se trouvait dans un pays cloisonné dans la boue populiste et vindicative ? Nos médias ont-ils pensé à ce cas de figure ? Combien de citoyens innocents jusqu’à preuve du contraire pourraient perdre leurs emplois et pire encore, être pris à partie à l’étranger, par des gens ne faisant pas la différence entre l’ouverture d’une enquête, d’une instruction, et d’un Arrêt ayant l’autorité de la chose jugée ? À ce jour l’affaire n’est même pas encore en phase de jugement en première instance.
Jadis ce type d’article était l’apanage de journalistes spécialisés dans les chroniques judiciaires, les mots, phrases et formules rédactionnels étaient proportionnels aux faits, respectueux de la présomption d’innocence et discrets concernant les noms, nous y lisions E.D était soupçonné de ceci, L.B aurait perpétré cela, A.H aurait commis cela … et les vrais noms n’étaient « jetés en pâture » qu’après jugement.
Certains iront à blâmer l’autorité politique de cet état de « dénonciation calomnieuse et diffamatoire médiatique généralisée » pour des causes pré-électorales et populistes, ceci aurait été confirmé s’il s’agissait uniquement de médias étatiques ou pro-gouvernementaux ; mais force est de constater que des médias assez détachés de la machine étatique ont, eux aussi, copié-collé les mêmes inepties colportées par des pages facebookiennes aussi médiocres que la médisance elle-même.
Cela serait-il explicable - mais injustifiable - par la rareté des sujets journalistiques acceptables au vu du décret-loi 54 et notamment son article 24 ? Ou bien serait-ce un excès généralisé de conformisme institutionnel médiatique ? Est-ce « vendeur » aujourd’hui d’induire en erreur et de diffamer et, à minima de jeter des noms à la vindicte du populus ? Quid de leurs familles ? Quid de leur dignité ? Quid de la dignité du « journaliste » qui aurait terni le nom et la réputation d’une personne, surtout respectée mondialement, quand il découvrira qu’il fut innocenté par la justice ? Est-ce courageux de diffamer des absents ? Les absents ont-ils toujours tort ?
N. Ammar, article publié dans La une du web tunisien