Human Village - information autrement
 
Mohamed Ahmed Awaleh, un pragmatisme inventif
par Mahdi A., mars 2009 (Human Village 5).
 

Mohamed Ahmed Awaleh, secrétaire d’État à la Solidarité nationale est en charge de la priorité des priorités de ce quinquennat, la lutte contre la pauvreté. Nous avons souhaité le questionner sur la politique qui sera la sienne afin de répondre au mieux aux attentes légitimes de la population à cette occasion nous avons rencontré un homme passionné, curieux de toutes choses, doté d’un pragmatisme inventif : il aime à faire bouger les lignes.
Mais ce dynamisme sera t-il suffisant ? Une course contre la montre est engagée, tant les besoins à satisfaire sont nombreux, et en si peu de temps que cela donne presque le vertige ! Quoi qu’il en soit, il semble déterminé à réussir, convaincu que la feuille de route que lui a confiée le chef de l’État est la meilleure solution pour sortir le pays de la pauvreté.

Monsieur le secrétaire d’État à la Solidarité, le président de la République vous a confié la coordination du principal chantier de son mandat : la lutte contre la pauvreté. La tâche semble ardue et les attentes de la population tellement grandes : cette mission n’est pas aisée. Pensez-vous avoir les épaules suffisamment larges pour mener à bien ce vaste programme ?

La mission n’est pas évidente, je le concède bien volontiers. Je ne voudrai pas être présomptueux et vous annoncer ici que nous avons toutes les solutions aux différents problèmes auxquels nous sommes confrontés. Je ne veux pas présager de l’avenir : je peux juste vous assurer que j’ai pleinement conscience de la lourde responsabilité qui est la mienne aujourd’hui. Pour mener à bien ma mission, j’ai à ma disposition une feuille de route, une sorte de tableau de bord qui m’a été assigné par le chef de l’État. Mes objectifs y sont clairement définis… Personnellement je mettrai toute mon énergie, toute ma détermination, toute mon expérience pour faire en sorte que cet ambitieux programme puisse être couronné de succès. Je crois sincèrement que nous pouvons y arriver, je suis convaincu que si nous nous mobilisons nous pourrons éloigner la pauvreté, ou du moins fortement la réduire. Mais cela demande un investissement et des efforts de l’ensemble de notre communauté. L’État tout seul ne peut rien. Attendre tout de l’État serait s’illusionner. L’État apportera sa contribution à travers la mise en œuvre de I’INDS, mais la société civile, le secteur privé doivent également jouer leurs rôles : le succès de l’INDS en dépend.

La nature même de votre mission ne vous contraint-elle pas à empiéter sur les domaines de compétences de vos collègues ? N’est-ce pas de nature à créer des frictions, voire même à engendrer des lenteurs dans la mise en œuvre de vos programmes ?
Si vous me le permettez, je répondrais à votre interrogation par une métaphore. Je voudrais que vous puissiez imaginer juste deux petites minutes que notre processus de développement à la forme d’une longue locomotive qui se composerait de vingt-deux wagons. Ces wagons auraient pour mission de transporter toute la population vers une destination commune : celle d’un avenir meilleur.
Cette locomotive a aux commandes le président de la République, il serait en quelque sorte le conducteur en chef du train. Egalement essayez d’imaginer que I’INDS serait selon le même schéma, le circuit ferroviaire à suivre pour arriver à la station terminus. Le deuxième wagon, est occupé par le Premier ministre qui jouerais le rôle de chef de train. De par sa fonction de coordinateur de l’action gouvernementale, il est régulièrement consulté par le conducteur du train. Il est en contact permanent avec les vingt wagons suivants que sont les vingt départements ministériels centraux et/ou sectoriels. Dans le même ordre d’esprit ces vingt départements ministériels ont chacun leur mission et rôles spécifiques au service de la population dans son ensemble, et ce afin de répondre au mieux aux attentes de la population tout au long de cette traversée.
Il y a huit principales stations dans ce circuit ferroviaire que l’on peut considérer comme les huit objectifs du millénaire pour le développement. Certaines stations secondaires existent également sur ce circuit et ils sont desservis en cas de besoin, ou si le conducteur, ou le chef du train, le décident… À la gare d’embarquement ou tout au long du trajet, et compte tenu des différences sociales inhérentes à la vie ou à la nature humaine, certains Djiboutiens n’ont pas, au départ, les moyens nécessaires pour s’acheter le ticket du train, même le plus abordable ; d’autres, n’ont pas assez de force pour monter dans les wagons, quand bien même ils auraient le ticket, tellement ils sont affaiblis par les maladies et les problèmes sociaux. C’est là que le secrétariat d’État à la Solidarité nationale intervient, non pas en se substituant aux tâches des départements ministériels centraux et sectoriels, mais pour offrir aux laissés pour compte et aux défavorisés une chance de rejoindre les autres en cours de voyage, à bord du wagon spécial numéro 22, et dans lequel leurs conditions spécifiques sont examinées et prises en compte. En concertation avec les responsables des wagons et ce afin de les épauler à prendre le train en route. Mon rôle est de veiller à ce que personne ne soit laissée sur le quai. Il faut savoir que cette population vulnérable est composée pour sa grande majorité de filles-mères, d’enfants de rue, de femmes seules et démunies, d’handicapés, de personnes âgées sans soutien, de jeunes déscolarisés, d’apprentis et depuis peu de jeunes diplômés sans emploi… Autrement dit, le secrétariat d’État à la Solidarité nationale est une structure transversale, voilà sa vocation, compléter l’action des ministères sectoriels et centraux, sans aucune prétention à se substituer à leur mission et prérogatives classiques. Avec mes collègues nous poursuivons les mêmes objectifs, nous nous serrons les coudes, nous sommes solidaires les uns envers les autres : l’action gouvernementale ne peut pas se concevoir autrement !

Vous souhaitez accélérer le développement vivrier dans les zones de montagne car l’eau y est plus abondante et de bonne qualité et parce que ces régions sont économiquement particulièrement défavorisées. Comment pouvez-vous gagner ce challenge ? Qu’escomptez-vous d’une telle mesure ?
Nous y arriverons très facilement parce que les populations des zones montagneuses (Godda, Mabla, Ali Sabieh, Arta) ont manifesté leur soutien à notre projet d’installation d’une pépinière pour les plantes fruitières, fourragères et légumières. Non seulement cette pépinière sera le lieu privilégié pour l’approvisionnement en jeunes plants de qualité mais ce sera aussi une pépinière d’entreprises car c’est par elle que nous diffuserons des plantes nouvelles ou de nouvelles variétés adaptées à nos régions. L’équipe mise en place sur cette pépinière assurera son fonctionnement mais également le suivi des cultures et surtout la formation des formateurs. La diffusion des connaissances sur site par les formateurs et l’appui technique sont les souhaits les plus fréquemment entendus dans nos campagnes !
C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de fournir aux agriculteurs et néo-agriculteurs des documents abondamment illustrés et rédigés en somali, afar, et français pour les cultures majeures (fruits, légumes, fourrages) mais aussi pour toutes les opérations culturales importantes, actuellement mal ou peu maîtrisées (multiplication et élevage des plantes herbacées et ligneuses, protection et amendement des sols, identification des ennemis des cultures, lutte phytosanitaire, etc.). Une première série de neuf livrets consacrés aux palmiers dattiers, aux manguiers et aux agrumes a été mise à disposition des agriculteurs en janvier dernier par l’ADDS ; c’était un premier essai et nos services tiendront compte de leur impact et des remarques recueillies pour améliorer les éditions prochaines.
Nous pouvons appliquer le même raisonnement mnémotechnique pour les traitements phytosanitaires pour lequel un livret est en cours d’élaboration. Les purins, infusions et décoctions de datura, de feuilles de tomates, d’oignons, d’aulx, de ricins, de tabacs, de neems sont de très bons insecticides si on les prépare et on les utilise correctement ! Le lait et le bicarbonate de potassium peuvent donner de très bons résultats si on les utilise comme fongicides ! Ces solutions naturelles actuellement mal utilisées seront expérimentées dans les zones de montagnes. Nous espérons qu’elles seront des alternatives aux produits phytosanitaires d’importation.

Comptez-vous soutenir d’une manière ou d’une autre l’accessibilité à la propriété privée des catégories exclues des crédits immobiliers traditionnels, ce qui représente tout de même une frange importante de notre population : celle qui ne peut se permettre de consacrer plus de 15 000 Fdj par mois à un loyer ? Peuvent-ils espérer devenir un jour propriétaire ?

Pour ne rien vous cacher, nous travaillons cette question très activement au sein de mon secrétariat d’État. Nous n’aurons pas peur d’explorer différentes pistes, différentes expériences réussies ailleurs. Je crois à la conjugaison des efforts de chacun, tout le monde doit mettre de sa pierre, c’est la seule voie possible si l’on souhaite résoudre d’une manière durable le problème du logement à caractère social. De nombreuses ONG sont très avancées sur ce sujet, nous ferons appel à tous ceux qui veulent contribuer au développement durable. A ce propos, je voudrai dès à présent vous annoncer que nous réaliserons dans le courant de l’année 2009 une dizaine de logements témoins en milieu rural et ce en partenariat avec le Fonds de l’habitat. Je reste confiant, des solutions alternatives existent, nous nous efforcerons de les promouvoir.

Le micro-crédit semble être l’un des fers de lance de votre politique de lutte contre la pauvreté. Le secrétariat d’État à la Solidarité compte même deux réseaux totalement distincts : la Caisse populaire de crédit et d’épargne et la Caisse d’épargne nationale et de crédit. Mais n-y a-t-il pas une certaine incohérence à disposer de deux organismes de micro-crédit, ce qui sous entend deux logiciels, deux comptabilités... N’est ce pas disproportionné par rapport à nos besoins ? N’y aurait il pas une synergie à fusionner les deux structures en une seule ? Et enfin ne pensez vous pas que le taux de crédit de 17% que pratiquent ces deux organes de micro-crédit peut être un sérieux handicap pour ces personnes que vous souhaitez sortir de la paupérisation ?
Je voudrais juste rappeler, si vous le permettez, que la naissance du mouvement de la micro-finance à Djibouti date de moins d’une dizaine années. Ce mouvement a créé un engouement populaire et démontré que le Djiboutien moyen, même pauvre, a une capacité d’épargne réelle, si minime soit-elle. Pour le moment, ce mouvement est en pleine expansion mais chacune des deux caisses couvre des domaines géographiques distincts lui permettant d’évoluer sans perturber la deuxième. À plus long terme, la question se posera avec plus d’acuité. C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de procéder à la fusion de ces deux organismes : les modalités pratiques pouvant permettre cette fusion sont à l’étude en collaboration avec le cabinet canadien Desjardins. Nous croyons également qu’une véritable synergie peut naître de cette fusion, aussi bien en termes d’économies d’échelle, qu’en termes d’efficacité. Il est inutile de diluer nos forces et nos moyens ! La fusion interviendra dès que les conditions de sa mise en œuvre seront mûres, rassurez-vous, ce sera dans un horizon raisonnable et réaliste.
Pour ce qui est du handicap que constituerait le taux pratiqué par ces deux caisses, laissez-moi vous dire que ce taux est déjà inférieur au taux de 2% par mois (donc 24% l’an) en vigueur dans les caisses d’autres pays. Mais nous ne voulons pas nous arrêter en si bon chemin, je peux d’ores et déjà vous annoncer que des mesures pour alléger ce taux sont à l’étude pour le réduire à sa plus simple expression. Notamment par le bais de bonification ou de divers autres mécanismes destinés à prendre en compte ces caractéristiques socio-économiques de la clientèle cible.

L’ADDS a lancé en décembre 2008 « Le projet pilote d’électrification par énergie solaire des ménages de PK12 ». Cette initiative peut-elle être considérée comme la base de programmes plus vastes dans ce domaine, voire même d’une stratégie en la matière ?
Il est vrai que nos efforts en matière de programmes d’énergie solaire vont croissants. Il faut rappeler que l’accès à l’énergie pour les populations les plus démunies répond aux objectifs de l’axe 2 de I’INDS, à savoir la promotion de l’accès aux services sociaux de base. L’électrification par énergie solaire est un procédé qui convient parfaitement aux zones non desservies par I’EDD. Au PK12, l’idée de départ est qu’il y a une corrélation entre l’échec scolaire et l’absence d’électricité. Par conséquent, l’un des objectifs du projet est de donner la possibilité aux enfants de pouvoir faire correctement leurs devoirs le soir grâce à l’électricité. Actuellement, près d’une centaine de ménages bénéficie d’un système solaire autonome sous forme de kit, incluant une prise, des lampes, un ventilateur et une télévision. Les ménages bénéficiaires cotisent chaque mois un montant permettant d’assurer la maintenance et l’entretien des équipements. Les résultats sont satisfaisants puisque la demande de kit solaire est en constante évolution. Les leçons tirées de ce projet pilote, financé par le Fonds de solidarité nationale, devraient permettre une extension vers d’autres zones périurbaines.
Le contexte est par contre différent en milieu rural. L’accès à l’énergie doit être considéré dans sa globalité. En effet, dans les villages, il n’y a pas d’électricité au niveau des équipements collectifs, par exemple les écoles, mais aussi dans les maisons et où l’éclairage public est inexistant. Surtout, les réseaux d’adduction d’eau potable dans ces villages souffrent de graves difficultés : en effet, chaque réseau fonctionne avec un système de pompe thermique, alimenté par un groupe électrogène. Ce système assure un approvisionnement en eau irrégulier, qui dépend des dotations de l’État en carburant ou des capacités des habitants à payer le carburant nécessaire. Pour remédier à ces problèmes communs à tous les villages, I’ADDS a initié, en partenariat avec I’ONG française Electriciens sans frontières, le projet pilote intégré d’électrification par énergie solaire du village de Holl Holl. Comme pour PK12, ce projet est également financé par le Fonds de solidarité nationale (FSN). L’étude de faisabilité technique a été réalisée dès décembre 2008 et l’enquête sociale pour déterminer les besoins énergétiques des ménages en janvier 2009. Les premières activités du projet devraient démarrer au courant de ce mois de mars 2009. Egalement sur la base de ce projet pilote d’électrification rurale, I’ADDS est en train de monter un programme ambitieux d’électrification par énergie solaire d’une dizaine de villages situés dans le pays. Ce programme reprendra les principales activités mise en œuvre à Holl Holl. Au total, c’est une véritable stratégie qui va être mise en place sur la base d’expériences pilotes tant en milieu rural qu’en milieu périurbain.

Pouvez-vous nous parler brièvement de la prochaine réunion des bailleurs de fonds qui doit se réunir à Paris et ayant pour objectif de trouver des ressources financières afin d’appuyer la mise en œuvre de I’INDS ?

Avant tout il est important de signaler que le document de I’INDS a déjà fait l’objet d’un avis favorable aussi bien des services de la Banque mondiale que du Fonds monétaire, c’était un préalable nécessaire, et qui est ma foi de bon augure. Enfin nous pourrons le présenter officiellement à la communauté internationale, au cours d’une réunion des bailleurs de fonds prévue vers la fin de l’année 2009. Cette réunion qui doit effectivement se dérouler, comme vous l’avez mentionné, à Paris, sera l’occasion pour notre pays, d’exposer à nos partenaires, les priorités nationales de notre pays : les choix stratégiques retenus, les mesures envisagées pour l’amélioration de la gouvernance, les ressources nationales affectées aux différents projets et programmes, et les besoins de financement qui en résultent et pour lesquels l’assistance de la communauté internationale est sollicitée. Je ne dirai pas que l’avenir de notre pays ce jouera à ce moment précis, mais c’est un rendez vous important dans l’agenda du gouvernement. Nous avons un bon document entre les mains, je crois que nous n’avons pas trop à nous faire de mauvais sang.

Pour finir pouvez-vous nous donner votre appréciation sur la qualité de la coopération que vous entretenez avec le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) : nous les savons très impliqués à vos côtés dans la lutte contre la pauvreté ?
Il est important de rappeler que le Programme des Nations unies pour le développement apporte au gouvernement de Djibouti une assistance technique très appréciée sous forme d’appui-conseils et sous formes de projets opérationnels dans divers secteurs jugés stratégiques par les autorités nationales et entrant dans le champ de ses axes d’intervention. Ainsi, seul ou en partenariat avec d’autres donateurs, le PNUD appuie le gouvernement de Djibouti à travers des programmes opérationnels en matière de micro-finance, de gouvernance, de décentralisation, d’habilitation de la femme et, d’une manière générale, en matière d’élaboration, de mise en œuvre, de suivi et d’évaluation des stratégies et politiques efficaces de lutte contre la pauvreté. Il convient par exemple de noter la contribution déterminante de l’assistance du PNUD au secrétariat d’État dans la finalisation du document de I’INDS et la préparation de la réunion des bailleurs évoquée plus tôt. Mais, au-delà de la nature et du volume des projets opérationnels, le PNUD joue également un rôle important au niveau de la coordination des agences du système des Nations unies sur le terrain. Ce rôle est d’autant plus important que l’adhésion de Djibouti aux principes de la déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide incite à une meilleure coordination de l’aide et une rationalisation des interventions de l’ensemble des partenaires afin de maximiser l’impact des effets positifs des projets et programmes de développement mis en œuvre dans le cadre de la lutte commune contre la pauvreté.

Propos recueillis par Mahdi A.

 
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