Régis Barriac : « Être actionnaire associé de manière passive, cela n’apporte que des embêtements, autant s’abstenir ».
De nombreux commerçants seraient inscrits sur le registre des clients douteux de la Banque centrale (BCD), sans en être informés ni avoir connaissance du motif de cette décision. Ils apprennent, souvent à l’occasion de la demande d’un prêt bancaire parfois plusieurs années plus tard, qu’ils ont été mis à l’index et interdit de tout concours financier, à titre personnel mais aussi, en application de la notion de « contagion », que le traitement est étendu à toutes les entreprises dans lesquelles ces clients dits « douteux » ont des participations y compris minoritaires. Certains perçoivent cette mesure comme injuste, les entraînant à des réactions qui peuvent paraitre disproportionnées, comme s’extraire des sociétés et organiser leur insolvabilité.
Nous avons voulu savoir ce qu’il en était de ce sujet qui devient central dans le monde des affaires, mieux comprendre en quoi consiste ce fichier « clients douteux ». Nous nous sommes notamment interrogés sur les règles qui amènent des institutions financières à les déclarer comme tels, sur les conséquences de cette inscription et les recours possibles. L’impression domine que toute latitude a été laissée aux banques et que la Banque centrale ne joue pas pleinement son jeu de régulateur, se contentant d’une instruction générale édictée en 2019 [1].
Pour en savoir plus, nous avons rencontré Régis Barriac, directeur général de la BCIMR et président de l’association professionnelle des entreprises de crédit (APEC), pour évoquer les pratiques des banques djiboutiennes, notamment en matière de gestion des clients « douteux ».
Comment se fait-il qu’un associé minoritaire d’une SARL, et non gestionnaire de l’activité, puisse en cas de faillite de celle-ci être inscrit dans le fichier des clients douteux ?
Lorsque l’on contribue à développer une activité, on en est responsable de sa gestion. Oui, il y a un gestionnaire, mais les associés doivent contrôler l’activité.
Co-responsables, mais à hauteur des sommes investies ?
Il est illusoire de penser limiter sa responsabilité au capital initial si on laisse partir l’activité en déshérence, ou en douteux. La responsabilité sur le passif est certes limitée à son apport en capital mais il y a bien d’autres responsabilités et conséquences.
Mais peut-être qu’ils ne sont pas dans le territoire, travaillent ailleurs, ou se considèrent comme investisseurs mineurs ?
Quand vous êtes actionnaire ou porteur de parts d’une société, vous ne pouvez pas dire que vous n’êtes pas concerné : à moins que vous soyez qu’un investisseur dormant, que vous ne perceviez rien, pas de dividendes, sans participation à la gestion de l’entreprise ni au conseil d’administration, ou sur le conseil de gérance, etc. Être associé à une société, cela veut dire regarder et s’intéresser à sa gestion. Dans une société anonyme (SA), cela se fait via un conseil d’administration et l’assemblée générale des actionnaires. Au niveau des SARL, vous avez d’autres instances de gouvernance comme le conseil de gérance - sauf pour les EURL ou l’associé est unique par nature. Il faut quand même qu’à un moment ou un autre les actionnaires regardent la gestion de l’entreprise. Et si jamais celui à qui ils ont confié la gestion de la société n’est pas à la hauteur de la tâche, c’est leur responsabilité de le remplacer, de veiller à ce que la gestion soit bien faite.
Comment les associés peuvent-ils être inscrits de facto sur le fichier des clients douteux sans qu’ils n’en soient informés en cas de faillite de l’entreprise ?
Lorsque vous avez une entreprise qui part en déshérence, l’ensemble des dispositions règlementaires doivent être respectées, dont l’information sur l’enregistrement des douteux comme le permettent les articles 17 à 20 de l’instruction 2018-01 de la banque centrale [2].
Sur le principe les associés d’une SARL, selon ses statuts juridiques, ne sont-ils pas engagés qu’à hauteur du capital investi dans la société ? Votre définition semble extrêmement extensive.
Oui, en cas de malus, de faillite ou liquidation, votre responsabilité est engagée et limitée à votre apport en capital. Mais êtes associé, c’est aussi une responsabilité juridique, commerciale. Après effectivement, la responsabilité est limitée financièrement, et il y a un aussi risque réputationnel pour le présent et le futur : qui s’associera à quelqu’un ayant laissé coulé une ou plusieurs sociétés ? Alors, tous les associés de la SARL incriminée vont supporter et partager le risque. Vous ne pouvez pas vous dédouaner du risque réputationnel de non-conformité, d’évasion fiscale, de tout cela vous êtes responsable pénalement, quel que soit le montant que vous avez investi dans la SARL. Lorsque la SARL contrevient à la lutte contre financement le terrorisme, à la lutte anti-blanchissement, ou participe à l’évasion fiscale, vous pensez que vous allez être limité à votre apport ? Vous êtes indéfiniment responsable et pénalement co-responsable. Moi, en qualité de banquier, je ne suis dans aucune SARL, mais je suis pénalement responsable d’avoir facilité l’évasion fiscale, le blanchissement et le financement du terrorisme si un de mes clients agit de manière délictuelle via son compte courant BCIMR. Je suis responsable à titre personnel pénalement en tant que mandataire de banque alors que pourtant je n’ai pas un franc de participation dans le ou la SARL délictuelle qui serait cliente de la BCIMR. Je ne peux pas avoir moins de responsabilité que l’associé d’une SARL. Cela serait quand même extraordinaire que la personne qui exerce l’activité ou à déléguer cet exercice à une gérant ait moins de responsabilités que moi.
Ce n’est pas du même ordre, il arrive que des banques participent au détournement de fonds publics, et blanchiment d’argent, voire à la dissimulation au fisc, par exemple, des avoirs de leurs clients de manière frauduleuse.
Exact, mais, là encore, on parle d’actes de complicité aggravée et cette complicité doit se partager avec les associés. Je suis donc à minima au même plan de responsabilité que l’associé. Je ne veux pas que l’associé puisse penser que parce qu’il a mis 50 000 FDJ dans une SARL, que quoi qu’il arrive, il n’est responsable qu’à hauteur de 50 000, parce que c’est faux. Il est responsable si jamais il y a des dettes dans la SARL ; en cas de liquidation, il ne pourra pas être appelé, sauf s’il est caution solidaire et indéfinie, des concours qui ont été octroyés. Mais il y a bien d’autres domaines où sa responsabilité va bien au-delà du capital qu’il a investi. Cela serait trop facile s’il y a des actes de gestion délictueux de dire « j’ai un gérant », qui parfois peut être un gérant de fait, qui est en réalité mis en avant, inscrit sur les registres, mais sans réel pouvoir décisionnel, ne nous leurrons pas, cela existe ! Dans ce cas de figure, bien évidemment, les actionnaires on va aller les chercher en responsabilité. Ils doivent contrôler l’exécution opérationnelle du gérant qu’ils ont mis en place. C’est exactement pareil pour une S.A. L’actionnaire doit faire face aux responsabilités qu’il a pris en souscrivant une participation à un capital social, il en est responsable devant et avec son conseil d’administration.
Si je comprends bien, vous ne voyez rien qui devrait être modifié sur l’instruction 2019/03 relative à la classification des créances et au provisionnement des créances en souffrance.
On ne peut pas dire à un associé, qu’on l’exempte de faire sa part de travail d’associé. Il a une responsabilité économique, légale, sociale, ce sont des choses que l’actionnaire ou l’associé doit appréhender. Après, protéger son patrimoine personnel, c’est une autre chose, c’est pour cela qu’il y a une responsabilité limitée en termes de finances et des dettes de la société. Mais cela n’exonère pas de toutes les obligations légales qui sont autour. Aujourd’hui, entreprendre c’est beaucoup de responsabilités. L’instruction 2019-03 dans son article 9 est très précis et on doit l’appliquer
Ne voyez-vous pas une forme d’incohérence, cette pratique bancaire peut pénaliser des actionnaires minoritaires, par ailleurs, dirigeants de sociétés du fait de leur participation dans une SARL défaillante, et dont l’inscription au fichier douteux contraindrait le développement de leurs affaires ?
J’encourage tous les associés à être des associés actifs dans les SARL et des actionnaires actifs dans les SA où ils prennent des parts/actions de capital. Être actionnaire ou associé minoritaire et passif, n’exonère pas de ces responsabilités, autant s’abstenir si on veut pas les endosser. Lorsque l’on ne regarde pas l’activité de près, le jour où il y a des problèmes, on est en première ligne, notamment auprès de la justice.
Je comprends, cependant ce que vous venez d’expliquer ne figure nulle part sur l’instruction de la Banque centrale. Y aurait-il une différence entre la pratique constatée - en dehors des clous - et l’instruction 2019/03 de la Banque centrale.
Sinon, c’est trop facile si les associés ne sont pas impactés. Vous savez ce que cela va faire si l’on confirme que les associés ne sont pas impactés ? Nous, les banques on va prendre systématiquement des cautions personnelles, sinon on ne prêtera pas. L’instruction 2019/03 est précise, elle doit être connue des actionnaires et associés.
Prendre systématiquement des cautions personnelles, c’est une suggestion pertinente : elle a le mérite de clairement indiquer aux associés ce à quoi ils s’exposent. L’autre peut s’apparenter à de l’abus de position dominante.
Dans un texte de loi, il y a ce qui est écrit et ce qui n’est pas mentionné, c’est ce que l’on nomme la jurisprudence et la pratique de place car chaque établissement financier met en pratique la loi dans la lettre et dans l’esprit. Parce que, si l’instruction ne l’interdit pas, cela devient de la pratique de place. La loi est assez simple, elle dit ce qui est possible, et surtout, elle dit ce qui n’est pas possible. Ce qu’elle ne le mentionne pas précisément, cela devient de la jurisprudence, de la pratique de place.
Je comprends votre raisonnement : mais est-ce que vous accepteriez une interprétation aussi large des textes lorsqu’il s’agit d’un de vos clients, qui dénoncerait un contrat de prêt signé avec votre banque ?
Si tous les contrats étaient respectés à la lettre, il n’y aurait plus besoin d’avocats, les dossiers ne se plaidraient pas au tribunal. Cela fait vingt-cinq ans que je fais de la banque, chaque fois qu’il y a un problème, le contrat est attaqué. Le contrat n’engage que celui qui y croit fermement. Dès qu’il y a un problème sérieux, tous les avocats attaquent les contrats.
Avec votre lecture de l’instruction, les associés de la SARL peuvent avoir l’impression qu’ils font compte-joint avec l’entreprise !
Non je ne suis pas d’accord. Toutes les banques constituent en interne des groupes d’intérêts économiques. C’est-à-dire que lorsque nous avons un individu qui est sur plusieurs affaires, et qu’il a des intérêts à droite et à gauche, on constitue un groupe d’intérêts économiques. Et chaque banque a son système pour constituer le groupe d’intérêts économiques selon des critères qui lui sont propres. Mais, encore une fois, cela serait trop facile de dédouaner les associés. J’ai une affaire, je ne m’en occupe pas, je la laisse en déshérence, je ne paie pas la banque et il ne m’arrive rien parce que je suis un associé en responsabilité limitée.
Pour faire un prêt, une banque prend des garanties à hauteur du montant de la créance. Pourquoi la banque cherche-t-elle à lier davantage les associés au sort de l’entreprise, quitte à aller au-delà des textes stricto sensu ?
À un moment donné on s’est rendu compte qu’il y avait des gens qui pensaient que l’on n’était pas obligé de rembourser un prêt. Je ne suis pas à l’origine de la loi. Mais comme on publie nos résultats, vous avez sans doute noté qu’il y a quelques années 32% des crédits de la BCIMR étaient en douteux, est-ce que vous trouvez cela sérieux ? Un taux aussi élevé de contentieux en Europe la banque aurait fait faillite depuis très longtemps. C’est-à-dire que j’aurai licencié 260 personnes, qui font vivre 10 000 personnes avec leur famille pour quelques gros débiteurs qui avaient décidé de ne plus payer la banque parce qu’ils pensaient qu’ils étaient au-dessus de la loi. 32% c’est énorme, normalement la BCIMR sans le soutien de la BRED, sa maison mère en France, aurait été en faillite. Et comme la BCIMR est une banque systémique, c’est tout le système financier de Djibouti qui aurait été mis en grande difficulté. La BCIMR détient 35% des crédits de Djibouti et 30% des dépôts. On protège l’épargne et les dépôts des Djiboutiens. Demain si je suis en difficulté, qu’est-ce qui se passe ? Heureusement nous sommes en pleine santé grâce à la BRED et aussi l’État de Djibouti qui a facilité légalement le recouvrement ; l’État est aussi un actionnaire décisif de la BCIMR.
Il y a cinq ans, la BCIMR était en mauvaise santé. Grâce au soutien indéfectible de sa maison mère, la BRED, et de son directeur général, Olivier Klein, mon prédécesseur Nadhir Zouaghi a commencé à redresser la banque. Nous avons poursuivi et nous sommes aujourd’hui en pleine forme, sûr de nos forces et première banque incontestée du pays. Le taux de contentieux est inférieur 15% aujourd’hui, et nous allons le faire passer a moins de 10% l’an prochain. Le but, c’est comme toutes les banques saines d’avoir un taux entre 2 et 5 %. Et, nous, la BCIMR, nous déclarons nos clients douteux !
Je pensais que la déclaration au fichier de la Banque centrale était obligatoire et la non déclaration sévèrement sanctionnée ?
Oui, mais certaines banques ne les déclarent pas, bien qu’en théorie dans les textes ce manquement est sévèrement puni.
D’où l’importance de se préparer et se mettre à niveau pour passer le contrôle du Groupe d’Action financière (GAFI) ?
Le GAFI [3] est une institution qui fait une évaluation de la solidité, dans les comptes publics, dans les pratiques financières, mais aussi le crédit inter-entreprise, le fonctionnement de la justice par rapport à la mise en jeu des garanties, les dispositifs anti-blanchiment et de lutte contre le financement du terrorisme etc. Un groupe de travail a été mis en place piloté par la Banque centrale et coordonné par le ministère de la Justice, parce qu’il y a beaucoup d’implications juridiques et légales, ce qui nécessitera que de nombreux textes soient modifiés, justement, pour que l’on puisse être en conformité avec les attentes du GAFI. Si Djibouti veut avoir un rayonnement bancaire à l’international, il faut être en conformité avec la législation internationale. Donc il y a des textes qui sont un peu datés, de 2010, d’autres qui ont été revisités un peu plus tard, mais il y a beaucoup de travail à faire encore. La Banque centrale travaille beaucoup sur ces questions, dont notamment Abas Daher Djama et des fonctionnaires du ministère de la Justice. Ils sont à la manœuvre pour préparer cela dans les dix-huit mois qui restent avant la venue du GAFI. C’est un sujet extrêmement important !
Quel recours à l’associé qui a été mis par erreur dans la liste des clients douteux alors qu’il a été un associé passif ?
Je rappelle juste une chose : l’APEC, est une association. On se réunit, on discute des bonnes pratiques de place. Je n’interviens à aucun moment dans le système d’évaluation et d’information des risques des banques de la place. C’est la responsabilité de chaque banque d’appliquer la loi. Moi, en tant que président de l’APEC, je ne suis pas leur porte-parole sur leur politique des risques, du respect de l’instruction sur les déclarations en douteux et leurs pratiques bancaires.
Y a-t-il des possibilités de recours ?
Bien évidemment il y a des recours. À titre d’exemple, il y a une banque de la place que je ne citerai pas, qui a trente-deux plaintes déposées auprès de la Banque centrale pour déclaration abusive au fichier douteux. Moi, je laisse la Banque centrale travailler. La Banque centrale, c’est un régulateur, donc sa parole a force de loi. Cela veut dire qu’elle peut intervenir, qu’elle peut aller voir une banque et lui dire qu’une pratique est délictueuse, exiger qu’elle cesse et, en fonction de la gravité de l’infraction, lui mettre une amende ou suspendre sa licence. Si jamais la Banque centrale trouve qu’il y a des abus sur la place, c’est au régulateur d’intervenir. Moi, en tant que président de l’APEC, je n’ai rien à dire aux directives financières établies. Je ne vais pas aller voir CAC, EXIM ou BOA pour qu’ils me montrent leur système interne de contrôle des risques. L’APEC est une association de bonnes pratiques, elle n’a aucun pouvoir de supervision ni de régulation. Je ne m’insinue jamais dans la gestion et la déclaration des banques. Chaque banque prend ses responsabilités. Le seul gendarme de la place, c’est la Banque centrale. Si elle trouve qu’une pratique n’est pas bonne, c’est à elle d’intervenir. Si elle ne le fait pas, c’est qu’elle trouve que c’est en adéquation avec son règlement. Si ce n’est pas en adéquation avec son instruction, elle doit intervenir, interdire la pratique et sanctionner. Il est important de rappeler les rôles et responsabilités de chacun. L’association des banques (APEC) réunit les responsables des institutions financières qui se concertent pour améliorer les bonnes pratiques bancaires à Djibouti.
La seule instance de contrôle des banques, avec un pouvoir de sanction, c’est la Banque centrale.
Que pensez-vous de la possibilité de mettre en place un système de médiateur bancaire ?
Oui, cela existe en France. On a un médiateur du crédit. La saisine est compliquée et souvent longue. Cela ajoute souvent une couche au mille-feuilles des administrations centrales. Et surtout, le risque d’un médiateur, c’est qu’il soit submergé de demandes. Il suffit que je refuse un crédit car le niveau d’endettement est déjà très élevé pour qu’immédiatement le client mécontent saisisse le médiateur. Ce n’est pas une personne qu’il va falloir, mais 10, 20 ou 50 si le médiateur est saisi chaque fois qu’un crédit est refusé à un client. Je tiens à rappeler que dans le droit du contrat, on est deux à contracter, et que la banque comme le client peut refuser de signer l’octroi d’un crédit.
En France il existe un médiateur du crédit et qui veille à la protection du consommateur, les conditions, les taux d’usure, le surendettement, les refus injustifiés, etc. Les saisines sont souvent très longues.
Cette pratique de la contagion étendue aux entreprises dans lesquelles des associés dits douteux auraient des participations y compris minoritaires que vous mentionnez n’existe pas dans les textes. Elle ne figure pas dans l’instruction de la Banque centrale ?
La Banque centrale a le pouvoir de faire de la jurisprudence de place, en disant qu’elle ne veut pas que l’ensemble des associés, ou que les associés à partir de 33% uniquement, voire 10% - c’est le seuil d’identification des bénéficiaires effectifs choisi par la Banque centrale de Djibouti -. soient inscrits, parce que à ce niveau on a un pouvoir bloquant. Quand on est associé à plus de 33%, on peut exercer un pouvoir de blocage, un contrôle effectif sur la gestion et donc il appartient à la la Banque centrale de définir le seuil à partir duquel on considère qu’un associé ou actionnaire est actif dans la société et que son rôle sur la vérification de la gestion va au-delà du capital investi. Encore une fois, une loi dit ce qu’on peut faire et aussi ce qu’on ne peut pas faire. Mais quand la loi ne précise pas, c’est le champ de la jurisprudence. C’est-à-dire que c’est le juge ou le régulateur qui disent ou précisent s’il faut plutôt faire comme ceci ou comme cela.
Les gens disent souvent qu’ils apprennent qu’ils sont inscrits dans le fichier des clients douteux depuis deux, voire trois ans, au moment où ils vont dans une banque pour solliciter un prêt, et que le dossier, bien que finalisé, n’est finalement pas autorisé par l’autorité de régulation.
Personnellement, j’ai fait refaire les modèles de lettre très récemment. On fait une lettre de débitant numéro 1, 2 et 3 mais quand il n’y a pas de réaction, on fait la déclaration à la BCD. C’est aussi une question de recevoir courrier aux bonnes adresses.
Donc vos clients sont informés ?
Oui, dans la majorité des cas. C’est un processus que l’on a revu récemment pour qu’on soit bien en conformité, avec la pratique de Djibouti et aussi avec ce que nous faisons en France, parce qu’il y a une volonté du groupe d’avoir cette transparence dans l’information règlementaire.
Donc la BCI informe ses clients depuis les nouvelles pratiques que vous avez mises en place ?
Oui. Nous faisons tout d’abord une lettre de débiteur 1. C’est-à-dire que grosso modo à 45 jours de dépassement, on informe le client. Puis une 2e fois à 60 jours, c’est à dire deux mois : La notion de client douteux à la BCD, c’est réglementaire et c’est 90 jours de dépassement par rapport à son autorisation ou à hauteur de trois échéances d’impayés sur la durée du prêt. Nous, on écrit la lettre débitrice pour ceux qui sont en dépassement au bout de 41 jours et non 30 jours parce qu’on se dit qu’avec le salaire mensuel, ce sera régularisé. On en fait une deuxième au bout de 60 jours et à 90 Jours, on le déclasse en douteux et on informe la banque centrale. Et c’est pareil pour les échéances impayées ; au bout de la 3e échéance impayée - ce qui correspond aussi à 3 mois pour les crédits qui généralement ont un amortissement mensuel.
Et donc le client est aussi informé qu’il est inscrit dans le fichier client douteux de la BCD.
Oui. Dans le processus, on doit bien sûr informer le client.
Cette pratique n’est pas encore généralisée ?
Oui effectivement ça arrive très souvent. Lorsque nous faisons des dossiers de crédit, il nous arrive de refuser car le client est dans le fichier de la BCD. Nous le renvoyons vers sa banque pour régler le problème et revenir ensuite pour le dossier. Souvent le client ignorait cette déclaration.
Ne pensez-vous pas que cela peut être très contraignant pour le client, surtout lorsqu’il est associé passif ?
Il faut comprendre que le fait de disposer d’un fichier douteux protège les banques, mais aussi leurs clients. Parce que l’actif de mon bilan regorge de clients douteux, il va falloir au bout d’un moment que je mette la clé sous la porte, et donc tous les clients qui ont une gestion entrepreneuriale saine en pâtiront. C’est quand même bête de faire supporter le poids des clients qui ont une mauvaise pratique bancaire à ceux qui règlent leurs créances rubis sur l’ongle ou qui n’ont aucun retard sur leurs échéances. Donc ce fichier est une pratique obligatoire et saine, et les banques doivent présenter une image fidèle de leur activité et de leur solidité. Quand quelqu’un ouvre un compte dans une banque, il doit se demander si cette banque est solide et donc si ses dépôts sont bien protégés et si cette banque solide a une bonne pratique du crédit. J’ai déjà vu ici des banques qui accordaient des échéances de prêt immobilier du montant du salaire mensuel. Comment la famille peut-elle vivre ainsi en voyant ses revenus mensuels disparaître avec l’échéance de son crédit immobilier ? Ce sont des pratiques répréhensibles moralement et légalement.
N’y a-t-il pas une obligation à ne pas dépasser les 33% ?
Non, ce n’est pas une obligation mais plutôt une pratique de place. Laissez-moi vous dire que ce n’est devenu une obligation que depuis un an en France imposée par la banque de France. Auparavant c’était une pratique de place pour éviter le surendettement, mais maintenant c’est obligatoire et donc nous l’avons inscrit dans notre politique de crédit. C’est devenu une obligation pour la BCIMR, mais ce n’est pas encore une obligation à Djibouti. Certaines banques ici s’affranchissent des 33%,. C’est dangereux pour le consommateur, parce qu’il faut quand même nourrir sa famille, et avec 100% de votre salaire qui passe en paiement de prêt, je ne sais pas bien comment vous faites. C’est pour cela qu’à la BCI, nous avons introduit le prêt immobilier à 20 ans et 100% de financement du prêt immobilier pour la résidence principale. C’est tout nouveau, je l’ai introduit il y a un an. Personne ne faisait du 20 ans. D’ailleurs je suis en cours de signature d’une convention avec Arulos sous l’Egide de Mme la ministre de la Ville, de l’urbanisme, et de l’habitat. La ministre Amina Abdi Aden et le directeur général d’Arulos sont en train de travailler avec GXA pour mettre en œuvre ce programme de financement des logements sociaux : des frais de notaires er d’hypothèques réduit sont aussi négociés, ainsi qu’un projet national de Fonds de garanties pour les familles modestes, et leur partenaire bancaire sera la BCI. Le logement social visera les gens qui gagnent entre 60 000 à 190 000 FDJ, parce qu’au-delà on estime qu’ils peuvent aller dans le circuit classique du financement jusqu’à 20 ans.
Avez-vous un fonds de garantie de l’État pour ce type d’opération ?
Le ministère en charge des questions liées au logement est en train de travailler actuellement sur le fonds qui pourrait permettre une garantie si jamais les gens perdent leur emploi et n’ont plus de revenu. Ce fonds de garantie existe aussi en France pour les personnes fragiles ou à faibles revenus. Je trouve que c’est une très bonne idée d’inciter à la propriété de leur résidence principale, avec des dispositifs de soutien de l’État. Nous, à la BCI MR, on veut jouer le jeu pour accompagner l’État dans ces dispositifs. C’est franchement très pertinent pour le développement de l’habitat à Djibouti. Il y a de nombreuses personnes qui souhaitent acquérir un logement et nous ferons ce qu’il faut et surtout sans surendettement. Et c’est pour cela que je suis assez strict en ce qui concerne les 33% pour éviter l’étranglement financier des familles.
Est-ce un risque systémique pour l’avenir ?
Oui, en général. Et notamment on le voit en ce qui concerne les jeunes couples. Leurs salaires évoluent positivement. Comme notre taux est fixe et qu’il ne dépasse pas les 33%, si dans les années à venir leurs salaires évoluent, ce sera encore plus facile pour eux de rembourser leur prêt. On ne fait rien en taux variable, sinon avec la remontée du taux du dollar ce serait trop compliqué pour les acheteurs. Cela veut dire que c’est moi qui prends le risque de variation du taux sur le bilan de la banque. Par exemple demain si je fais 5% et que le taux du dollar est à 5% et que les Djiboutiens me demandent du 5% de rémunération de l’épargne, j’ai zéro comme marge et je ferme la BCI. Donc là je prends un vrai risque, mais un risque suivi et calculé. C’est pour cela que, contrairement à d’autres banques de la place ont des pratiques déraisonnables sur la rémunération du dépôt, je propose des taux un peu plus bas parce que j’ai aussi des programmes engagés pour favoriser l’accession au logement à Djibouti, et du coup je garde mes équilibres de bilan entre mes ressources et les prêts.
Est-ce que la Banque centrale devrait être plus vigilante par rapport à certaines pratiques bancaires ?
Oui. Je pense que la BCD est bien organisée avec un personnel de qualité et je souhaite qu’elle fasse encore plus parce qu’elle est bien dirigée sous l’égide d’Ahmed Osman qui est un très bon gouverneur. Elle doit aider les banques à faire toujours mieux pour lors de la visite le GAFI sur l’évaluation de la place de Djibouti, qelle soit jugée comme une place financière solide et robuste. Ça c’est la mission de la BCD et elle joue bien son rôle, mais il faut qu’elle le fasse encore mieux. Nous les banques, la BCIMR en tête, nous sommes à ses côtés pour l’épauler par nos pratiques et notre travail.
Plus de billets ?
Plus de billets puisque là, pour le coup, il y a une loi. Toutes les personnes qui gagnent plus de 40 000 FDJ doivent avoir un compte bancaire. Ce qui n’est pas parfaitement appliqué. L’autre jour, je suis tombé sur des officiers de la gendarmerie, des officiers supérieurs qui n’avaient pas de comptes bancaires. Nous avons trouvé une bonne solution bien sûr avec ces officiers devenus nouveaux clients de la BCIMR !
Certains de vos clients quittent la BCI parce qu’ils considèrent que votre institution ne respecte pas la finance islamique. Qu’en pensez-vous ?
On a regardé plusieurs fois la finance islamique… On ne rémunère déjà plus les comptes, on ne contrevient donc plus au versement d’intérêts. J’ai fait supprimer la rémunération des comptes courants. En revanche sur le prêt, le problème reste entier. Le prêt conventionnel a un taux d’intérêt. On a regardé très sérieusement pour faire de la finance islamique. Sauf que cela nous obligerait à avoir une double comptabilité, d’avoir des agences séparées, d’avoir une validation dans le sharia-board, etc. Et pour nous ça a un coût, assez important. Attention aussi aux prêts Mourabaha dont certaines commissions précomptés représentent l’équivalent de plus de 20% de taux d’intérêt !
Aucune filière du groupe BRED ne pratique la finance islamique ?
Si. il y en a une à la Réunion. Une entité qui s’appelle la Sofider. Donc j’ai demandé à regarder et on fait une étude. En septembre, je retournerai voir le gouverneur de la Banque centrale pour savoir si je peux éviter une double comptabilité. S’il me dit que je suis obligé d’avoir une double comptabilité en sharia bank, je ne pourrais pas le faire. Cela serait un coût trop élevé pour moi.
Mais nous, on est prêts à le faire. La Sofider le fait à la Réunion où il y a une forte communauté musulmane qui demande à avoir des prêts islamiques. J’en ai reparlé avec le département stratégie de la BRED, pas plus tard qu’au mois de mai, pour regarder comment la Sofider opère à la Réunion et si on pouvait s’en inspirer et puis le faire. En revanche, avoir une agence spécialisée, une comptabilité spécialisée, un reporting à part, c’est plutôt délicat. Il faut éviter l’effet de contagion, c’est-à-dire qu’on sépare les deux activités, la finance traditionnelle et la finance islamique. La finance islamique, c’est extrêmement complexe en termes d’organisation. C’est ce qui nous arrête aujourd’hui dans le déploiement de la finance islamique. Mais sinon, on est volontaire. Si on arrive à trouver les bons ajustements pour pouvoir opérer, on est prêt à regarder. Sans aucun problème. C’est important pour les gens aussi, ça leur donne de la tranquillité. Donc du coup, on cherche les bonnes solutions. On ne les a pas encore trouvées mais on recherche activement.
Concernant la notion de contagion permettez-moi de revenir dessus.
Encore une fois, on est là pour appliquer la réglementation. Parce que vous savez, c’est comme dans la loi. Vous avez le texte de loi et son décret d’application, et en fait ce qui fait force de loi ou sa pratique, c’est le décret. Donc vous pouvez avoir l’instruction de la Banque centrale, mais derrière il faut la décliner en pratiques bancaires. Nous sommes prêts à dialoguer… Nous sommes prêts à travailler. On peut faire un groupe de travail avec la banque centrale pour voir ce qu’on fait sur les déclarations de la Banque centrale, et moi, ça m’intéresse d’unifier les pratiques de place, afin d’éviter la distorsion de concurrence. Parce que les banques qui ne déclarent pas les douteux par rapport à moi, qui déclare les douteux, c’est anti-concurrentiel et répréhensible. Comme pour les interdits bancaires. Sur ce sujet, aujourd’hui il y a une pratique de place qui est, on va dire, aléatoire. Normalement, quand vous déclarez quelqu’un en interdit bancaire pour un défaut de provision, c’est très restrictif. Vous devez reprendre toutes ses formules de chèques, ne plus octroyer un seul chèque. Vous avez une période probatoire de trois ans pendant sur lesquels l’interdiction d’émettre des chèques court. En plus, il ne peut contracter aucun crédit. Et la pratique de place est très hétérogène. On se rejette des chèques. On appelle. On retient le chèque. On ne le paye pas, on le rejette. On dit « j’ai retenu le chèque » et après je le remets dans le circuit... Très compliqué, voire opaque !
Donc il faudrait un système unifié ?
Oui, il faut que l’on ait tous la même pratique de banque.
N’est-ce pas le sens même de l’objectif de l’association professionnelle des entreprises de crédit (APEC) ?
Oui, il faut qu’on adopte les mêmes pratiques. Je veux promouvoir les bonnes pratiques mais je ne les impose pas : celui qui dit la loi, qui la fait appliquer et éventuellement qui sanctionne, ce n’est pas moi, c’est le régulateur donc la Banque centrale. Encore une fois, je trouve qu’on a une très bonne Banque centrale, qu’on a un très bon gouverneur, et on s’aperçoit qu’à l’occasion du GAFI, il faut qu’on aille plus loin. Il faut qu’on continue à améliorer les pratiques de place, qu’on continue à unifier la pratique de place et que tout le monde ait la même compréhension des instructions de la Banque centrale et que du coup, la Banque centrale nous aide afin que les gens qui n’ont pas bien compris comprennent mieux…
J’essaie d’améliorer la pratique de la banque à Djibouti, déjà à mon niveau. La BCI a un seul souci, l’amélioration du service que l’on donne au client. Il y a encore beaucoup de gens qui ont des attentes fortes et nous le disent. Premièrement parce qu’ils ont des souhaits qui ne sont pas tout à fait en adéquation avec le vrai service que peut rendre une banque. Deuxièmement, la BCI a encore beaucoup de progrès à faire : s’améliorer dans l’expérience du client, dans l’écoute du client, dans sa réactivité. On travaille pour améliorer la BCI, notamment en faisant plus d’espaces conseil, c’est-à-dire qu’on reçoit les clients sur rendez-vous et on a plus de temps pour les écouter, comprendre leurs besoins et les conseiller. On aménage mieux maintenant les espaces des conseillers pour éviter qu’il y ait du flux périphérique, que les gens entrent dans les bureaux, pour qu’il y ait du temps pour nos clients. C’est très important, les espaces délimités et confidentiels. Quand je suis arrivé, j’ai trouvé des bureaux où il y avait deux clients différents en même temps et derrière il y en avait deux qui toquaient à la porte pour entrer parce qu’ils voulaient effectuer une transaction urgente. Ce n’est pas possible. Si vous voulez donner un conseil de qualité et prendre le temps d’écouter, vous ne pouvez pas avoir un autre client dans la même pièce, ne serait-ce que pour la confidentialité de l’entretien. S’il y a un autre client, vous ne pouvez pas parler des affaires. Je veux des chargés de clientèle disponibles et entièrement consacrés à satisfaire les attentes de nos clients dans des conditions de travail confortables et sereines. Avec des rendez-vous programmés. S’ils sont disponibles quand le client arrive, un rendez-vous préparé à l’avance. Et s’ils n’ont pas de rendez-vous et qu’ils peuvent le recevoir, du coup qu’ils se concentrent sur l’écoute du client, la compréhension du besoin et donc de donner le service qui est attendu. Du coup, on a fermé Wadajir et Sheikh Houmed qui ne correspondaient plus a ces nouvelles méthodes de travail. On va ouvrir des agences 100% conseil. La première à Moulk-center, parce qu’on n’était pas présent sur la zone. Ce sera des bureaux ouverts avec des conseillers. Il n’y a pas de caisse, donc avec un accès fluide et simple. Pas de guichet. Il y aura un distributeur en façade. On regarde du côté de Doraleh, parce qu’il y a beaucoup de choses qui se construisent là-bas. Il faudra sans doute qu’on investisse sur une agence conseil à Doraleh.
Il y a aura un redéploiement des ressources ?
On aura une très grande agence à PK12, puisqu’on la déplace à la station Rubis de PK13. Là on aura plus de caisses pour les services transactionnels, plus de distributeurs. Mais on cherche sur Doraleh et quand on aura trouvé un emplacement, ce sera un emplacement conseil.
J’ambitionne de déployer plus d’agences conseil et moins d’agences transactionnelles. En revanche les agences transactionnelles, comme celle de Harbi, qui jouent un très grand rôle, je pense que je vais les réaménager. On a un grand hall qui ne sert à rien. Au lieu d’avoir deux caisses, on va en faire cinq ou six. Comme ça, les jours d’affluence elles seront toutes ouvertes et ça ira vite. Il y a beaucoup de monde. Tout le monde est entassé dans le hall, se bouscule et est très serré. Ça ne va pas du tout.
Non loin de cette agence, l’agence Mohamed Aden sur la place Arthur Rimbaud, on va en faire une agence conseil parce qu’elle est plus adaptée.
Est-ce que vous financez les grands projets de lotissements ?
Oui, je suis partenaire des Forces Armées de Djibouti. Je finance 1700 logements. On travaille sur de futurs programmes en cours d’étude, qui pourraient concerner notamment les enseignants. C’est simple : tout ce qui est résidence principale, je finance. Quelqu’un qui veut acheter une maison à 12-15-20 millions, c’est un bon risque pour la résidence principale. En général, pour la résidence principale tout le monde paie ses mensualités. Là où on a des problèmes, c’est toujours dans les programmes d’investissements locatifs. Parce que le client voulait au départ faire un R+2 puis finalement il veut un R+3, revient auprès de la banque en disant qu’il a besoin de plus… et voilà qu’il change de plan en cours de route, et puis c’est le chantier qui s’arrête. Alors que pour la résidence principale, ce sont des familles. Les clients sont plus raisonnables et plus sérieux dans la planification financière de cet investissement. Ils calculent au juste prix et donc pour nous c’est un bon risque, la résidence principale c’est donc quelque chose qu’on finance.
Propos recueillis par Mahdi. A.
[1] Banque centrale de Djibouti, « Instruction n° 2019-03 relative à la classification des créances et au provisionnement des créances en souffrance ».
[2] Banque centrale de Djibouti, « Instruction n° 2018-01 sur la centrale des risques de la BCD ».
[3] Le Groupe d’Action financière (GAFI), « Qui sommes-nous ».