Human Village - information autrement
 
Avec quoi au juste toi, le Nègre, tu te parfumes ?
par Chehem Watta, septembre 2011 (Human Village 18).
 

« J’ai travaillé comme un nègre, je ne sais pas si les nègres ont toujours tellement travaillé, mais enfin… », Jean-Paul Guerlain, lors d’une interview le 15 octobre 2010 à 13 heures, sur TF1.

C’est quoi au juste, ce nouveau parfum sorti des entrailles de monsieur Guerlain ? Treize mots exquis, d’une élégance raffinée, dans la bouche d’un homme raffiné, mais qui n’a pas dû travailler souvent comme un Nègre ! Parfumées paroles d’un grand parfumeur… treize amulettes racistes, qui n’ont pas dû émouvoir beaucoup de monde, en France. Mais, oui ce grand monsieur, les Français lui font confiance pour trouver un autre grand parfum, sans travailler maintenant comme un Nègre. Et le nom, c’est tout trouvé : Parfum nègre de Guerlain. Cette fragrance-là doit être l’essence même de notre révolte, permanente et organisée. Pas une seconde, pas une heure, pas un jour, pas une année ne doivent s’écouler sans que l’on se transforme et transforme ses insultes ignobles, inadmissibles, plus jamais à ouïr ! Plus jamais, ni par nos enfants, ni par les générations à venir !
Je l’ai côtoyé souvent ce monsieur Guerlain, dans les grands aéroports. J’ai fait mes emplettes avec ses parfums. Offrir comme un véritable don ses fragrances aux amies chères, aux proches, que je voulais faire rêver, sursauter, évader du quotidien banal, ou faire voyager ailleurs - malgré la misère- sans escale, sans radeau ni bateau, sans avion ni Stewart, oui aller plus loin dans une ile fouettée par les vents de toutes les fragrances rêvées. Mais aujourd’hui je sens que son parfum est pourriture, ordure, vomissure étalées sur la peau de nos soeurs, de nos mères ! Cet homme aux propos grotesques ne doit plus faire rêver pas seulement les Nègres mais l’humanité entière. Cela doit être d’abord une promesse que chacun de nous, Nègres et n’importe quelle personne concernée, doit inscrire dans sa conscience d’humain blessé, gratuitement !
Oui, monsieur Guerlain a touché aux jardins secrets que chaque Nègre porte en lui et qui grandissent par les racines. Pourtant, je le remercie vivement car nous les Nègres, nous oublions souvent d’arroser nos racines, nos mémoires. Nous nous en détournons préférant vivre la vie, enfouir la souffrance ou la diffuser dans notre musique, le sport, l’art et la littérature. C’est très bien que de temps en temps, on nous rappelle que les Nègres n’ont pas assez travaillé, ni construit l’Amérique, ni participé à la grandeur de Bordeaux, ni « tombé » dans l’histoire du monde.
Mais enfin, avons-nous besoin - nous Nègres - de monsieur Guerlain, parfumeur à la parole de merde, pour nous rappeler ces millions des déportés, des déracinés d’Afrique arrachés à leur sol natal, par bateaux entiers dans un autre monde ? Et nous offusquer, chaque fois qu’un de ces voyous dénigre notre humanité et nous donne par-dessus le marché, tranquillement et sobrement, des leçons de démocratie, de générosité, d’effort à faire, de tolérance et de bonne gouvernance ? Non cela n’a pas de sens. Il nous faut voir plus loin. Car tant que ce génocide n’a pas trouvé sa vraie place dans l’histoire mondiale, que ces nations esclavagistes n’ont pas payé pour ces ignobles trafics, tant que nous, Nègres, nous ne nous approprions pas notre propre souffrance, tant que nous n’écrivons pas de notre sang cette histoire, nous aurons de cesse d’entendre ces grands messieurs. « Pleurer, dit une sagesse africaine du désert, ne vous empêche pas de mourir de faim, au contraire, cela ne fait qu’agrandir votre bouche ! »

Alors, j’ai bien aimé ce crachat, cette parole rocailleuse, cette obscénité mélodieuse, cette écoute merveilleuse – par la journaliste fascinée par monsieur Guerlain et pas du tout indignée par ces paroles obscènes – la honte ne peut provenir d’un gentleman, inventeur de parfums exquis, voyons ! Lui, il ne sent que son parfum fait pour sa bien-aimée. Il n’adore que son effort fait pour extraire une fragrance ! Il n’aime que son nom que nous avons diffusé, transporté, étalé sur nos corps d’ébène. C’est à nous Nègres, aujourd’hui présents sur toute la planète, de faire monter les odeurs que l’on nous jette à la figure, pas seulement publiquement mais aussi de manière insidieuse, sournoise, anonyme, souterraine. Il nous faut garder toujours intacte, tous ensemble, sur tous les continents, dans chaque foyer, chaque espace public, dans le moindre périmètre de notre intelligence, cette capacité d’indignation dont Audrey Pulvar, journaliste française d’origine antillaise, a fait preuve face à ce « [….] crachat, que ce très distingué monsieur Guerlain a jeté non seulement à la figure de tous les Noirs d’aujourd’hui, mais surtout, cher monsieur Guerlain, sur la dépouille des millions de morts, à fond de cale, à fonds d’océan, déportés de leur terre natale vers le nouveau monde. Ces millions de personnes asservies, avilies, déshumanisées, pendant quatre siècles, réduites au rang de bras et de mains destinées aux champs de coton, aux champs de canne, à la morsure du fouet ou celle du molosse, tous ces esclaves, vendus comme une force de... travail ! Pas des hommes, non, ni des pères, ni des mères à qui l’on arrachait leurs enfants pour en faire d’autres bêtes de sommes, pas des humains, mais des outils, du matériel. Des marchandises. […] »
Au-delà de cette capacité d’indignation fondamentale- que par exemple, tout individu et aussi un Observatoire peut garantir de manière systémique - il nous faut agir. Agir vite, ensemble et de manière déterminée, en utilisant tous les moyens modernes. Plus aucun parfum portant le nom de « ce monsieur Guerlain » ne doit être porté par les Nègres, où qu’ils se trouvent, quelque soit leur hiérarchie, leur statut ! Nous devons bien cela à la mémoire de nos pères, de nos mères, de nos sœurs, de nos frères ! (Une amie, m’a écrit pour me dire qu’elle projette d’imprimer sur des T-shirts à Djibouti : « Guerlain, les Nègres t’emmerdent ! » Elle vendait jadis des parfums.
Et puis, travailler de manière plus systématique en créant un Prix international - un prix dénommé par exemple Aimé Césaire - qui serait délivré par un comité de renommée mondiale à un ou des auteurs d’une œuvre historique ou d’actualité (dans le cinéma, la musique, la littérature, les sciences humaines, en sciences, économie, finances, ou dans le domaine associatif, dans la non fiction, comme pour des journalistes, des inventeurs des pièces de théâtre, etc.) qui consacrerait chaque année la place accordée à cette tragédie de la traite des noirs, à cet avilissement - dont les traces restent encore présentes dans toutes les sphères de ces sociétés modernes -, ou porteurs des idées neuves qui bousculeraient le silence de nous-mêmes, ou encore qui encouragerait la prise en compte de cette tragédie et du phénomène de racisme envers le Nègre par nos États endormis, par des collectivités locales, des universités, des ligues antiracistes ou encore des puissants de ce monde, qui ne souhaitent pas voir apparaitre ce sujet à la surface des préoccupations alors que le rejet du noir, le racisme virulent ou ordinaire, s’exprime dans les actes quotidiens de notre vie.
Tous nos pays francophones qui s’évertuent à promouvoir la francophonie doivent faire un effort particulier comme tous ces grands artistes noirs que nous admirons, ces auteurs talentueux que nous chérissons ; oui nous avons, aujourd’hui, les moyens et la conscience nécessaires pour influer sur des propos nauséabonds de monsieur Guerlain et au-delà de promouvoir une conscience Nègre mondiale. A défaut, nous appellerons ce monsieur Guerlain, Mawana Kitoko (Beautiful White Man), nom que portait le roi belge qui avait hérité du Congo, l’actuelle République démocratique du Congo, pour son anniversaire ! L’artiste belge, Luc Tuymans, a immortalisé ce Mawana Kitoko, dans un tableau de peinture magnifique, exposé en octobre 2010 au Musée d’art contemporain de Chicago !

Chehem Watta

Note de la rédaction : Jean-Paul Guerlain s’est excusé le jour même de ces propos qui « ne reflètent en aucun cas [s]a pensée profonde ».

 
Commentaires
Avec quoi au juste toi, le Nègre, tu te parfumes ?
Le 3 janvier 2015, par reine de saba.

Bonjour

Pour moi qui est une inconditionnelle des parfums de Guerlain depuis 11ans, ça sera vraiment très dure voir impossible d’y changer !!

excellent article.

 
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