La nomination d’Abdoulkarim Aden Cher au ministère du Budget semble un premier pas dans la bonne direction pour engager un grand ménage de printemps et assainir les comptes de l’État. Il est temps. Tout le monde a encore en mémoire les nombreux scandales financiers qui ont défrayé la chronique ces dernières années, allant du Trésor public, au service du Domaine et de la conservation foncière, aux malversations au Fonds de développement économique de Djibouti ou à la CNSS, à l’Assurance maladie universelle ou bien encore la situation ubuesque des sociétés étatiques à la gestion opaque installées dans la si discrète zone franche. Le moins que l’on puisse dire c’est le nouveau ministre bénéficie auprès de ces concitoyens d’un a priori positif. Les travaux de longue haleine qu’il a dirigés pour évaluer la gouvernance nationale en sa qualité de secrétaire exécutif du Mécanisme africain d’évaluation par les pairs (MAEP), qui l’ont amené à sillonner le territoire national d’un bout à l’autre, à de nombreuses reprises, pour constater les difficultés et recueillir les plaintes, mais aussi les suggestions et propositions qui permettraient d’améliorer la qualité de vie dans notre petit pays. Cette vaste enquête, qui comprenait de nombreux débats, lui a apporté une très bonne connaissance de ce qui fonctionne ou pas, et de nombreuses idées sur ce qui pourrait être fait pour redresser la barre. Souvent, à la lecture des conclusions de l’évaluation, on se rend compte en effet qu’il ne manque pas grand-chose pour rendre la vie meilleure pour tous les habitants du pays.
Force est de reconnaitre qu’Abdoulkarim Aden Cher est imprégné de la culture de la bonne gouvernance. Pour autant saura-t-il passer de la théorie à la pratique ? Saura-t-il résister aux tentations, aux pressions politiques, familiales, communautaires, amicales… pour obtenir des passe-droits et autres avantages ? La mission n’est pas aisée et ce n’est pas Abdoulatif Coulibaly, ministre sénégalais de la Promotion de la bonne gouvernance que nous avions interrogé dans nos colonnes lors de son passage à Addis-Abeba en septembre 2013, qui nous contredira. Pour autant il estimait que l’objectif était atteignable. Pour lui rien n’empêchait de concilier bonne gouvernance et exercice du pouvoir à proprement parler :
« Je comprends très bien ce que vous dites. C’est la raison pour laquelle je vous ai dit tout à l’heure, que mon ministère a pour responsabilité de promouvoir en termes d’éducation, de formation et d’information auprès du grand public de la bonne gouvernance. Pour lui enseigner la rigueur qui sied, qui doit être de mise par rapport à l’action et à la conduite de l’action publique parce que souvent les citoyens sollicitent auprès des dirigeants des passe-droits, des faveurs, des conflits d’intérêt qui naissent, qui ne cadrent pas nécessairement avec les exigences d’un état de droit et de la transparence. À partir du moment où les citoyens sont éduqués sur un long processus, mais assujettis et avec rigueur, ils peuvent comprendre un certain nombre de mécanismes, et leur fonctionnement. Cela ne veut pas dire que du jour au lendemain tout va disparaître, mais ce serait un début. Il y a également le plaidoyer qu’il faut faire auprès des responsables et des hauts dirigeants de l’État. Donc le plaidoyer combiné à l’action de formation et de communication également peut donner des résultats satisfaisants. C’est cela, l’objectif et les défis majeurs qui se posent pour le ministère que je dirige. Donc naturellement, vous avez raison de dire, compte tenu de la configuration même des rapports entre les États, les dirigeants, le chef de l’État par exemple et les citoyens, il peut apparaître difficile voire utopique de pouvoir faire de la bonne gouvernance un cadre stratégique d’action pour l’État mais pour moi, les deux ne sont pas incompatibles. Il faut trouver le juste milieu, il faut trouver les équilibres, il faut trouver un cheminement, une approche qui permettent de concilier ce qui semble a priori inconciliables ».
À charge à Abdoulkarim Aden Cher de trouver la meilleure voie pour concilier les impératifs impérieux de la bonne gouvernance et la réalité de la gestion de la chose publique à Djibouti.
Mahdi A.