Que pouvez-vous nous dire sur l’état de santé financière de l’EDD ?
Je dirais que l’Electricité de Djibouti (EDD) est dans un état de santé fragile, mais la convalescence se passe très bien, je suis très optimiste quant à son rétablissement prochain : ce n’est qu’une question de temps selon moi. Des mesures efficaces ont été entreprises afin de remédier à la forte fièvre qu’a connue l’entreprise en 2008, suite à la hausse fulgurante du carburant cette année là, le baril était monté à 148 dollars : un prix à acquitter intenable, insupportable sans recourir à une hausse de nos tarifs… Pourtant cette option a été écartée par le gouvernement.
Il est important de signaler que si l’EDD a pu remplir ses obligations régaliennes qui lui ont été confiées par l’Etat, et qu’elle n’a pas procédé à l’augmentation de ces tarifs, c’est grâce au concours de ce dernier. Une importante subvention nous a été accordée, qui était de l’ordre de 5,2 milliards de nos francs. Cette subvention par le montant de son enveloppe témoigne, si c’est encore nécessaire, du souci du gouvernement de préserver au maximum les couches les plus vulnérables de nos populations. Le mot d’ordre a été le suivant : nous comblerons aux centimes près la différence entre le prix de revient du kilowatt et le prix de vente à la clientèle, celui-ci étant minoré.
Le gouvernement avait fait son choix, celui de la solidarité avec les plus démunis de nos concitoyens : il n’était pas question de fragiliser davantage la population.
Je suppose que cette position n’a certainement pas été évidente à tenir pour le gouvernement, mais il a tenu ses engagements contre vents et marées, et ce d’autant plus que nous n’avions aucune idée de quand allait enfin cesser ces hausses continuelles des cours boursiers d’hydrocarbures. Nous étions dans le brouillard, notre tableau de bord financier ne tenait plus la route, nous étions dans une phase jusqu’ici inédite pour nous, et ni l’Etat, ni nous, n’étions préparés à affronter ses bourrasques financières. Heureusement, les choses ont commencé à revenir à la normale vers la fin de cette même année là…
D’ailleurs à la suite de la baisse constatée et durable des cours pétroliers, l’Etat nous a assigné à réduire le prix de kilowatt, toujours avec ce souci constant qui est le sien, de préserver autant que possible, nos concitoyens. C’est la raison pour laquelle conformément aux instructions données, en mai 2009, nous avons procédé à une baisse significative, de l’ordre de 9% tout de même du prix du kilowatt. Cette bouffée d’oxygène a été très appréciée par notre clientèle. Sur nos livres, on constate que cela représente tout de même près de 1,600 milliards de manque à gagner, ceux-ci ont pu ainsi être transformés en pouvoir d’achat supplémentaire au profit de notre clientèle.
Pourtant tout récemment l’Electricité de Djibouti a procédé à une hausse de ses tarifs ?
J’y arrive. Au moment précis où nous avons procédé à la baisse de nos prix… Le baril a repris le chemin inverse presque simultanément. Ce dernier est aujourd’hui à près 84 dollars le baril. Par ailleurs, je tiens à signaler que lorsque nous avons procédé à une hausse moyenne de 11% de nos tarifs en janvier 2010 afin de faire face à la hausse constante de nos intrants, le cours du baril était alors à ce moment précis bien en dessous de son cours actuel. Aujourd’hui encore, l’équilibre financier n’est pas assuré… Ceci déstabilise grandement notre trésorerie puisque cela revient à vendre notre kilowatt en deçà de ce qu’il nous en coute en réalité.
Indéniablement il y a un problème : je crois que si la tendance à la hausse se poursuit, il faudra sérieusement se pencher sur cette problématique et rechercher les voies et moyens les plus appropriés afin de pallier à cette crise haussière des cours mondiaux qui nous touche de plein fouet, au niveau de nos comptes financiers.
Cette situation ne peut évidemment perdurer indéfiniment, cela ne serait pas viable économiquement, d’ailleurs c’est l’une des raisons principales qui nous a encouragé à développer notre propre source d’énergie. Nos prospections avec nos partenaires Islandais dans le développement de l’énergie géothermique répond à cette ambition que nous nous sommes fixée. Bien évidemment nous n’avons pas la prétention de démarrer ce vaste chantier demain, ni d’ailleurs après demain, mais c’est un objectif à notre portée, c’est un objectif raisonnable, auquel nous fondons beaucoup d’espoirs. Il reste lourd à mettre en oeuvre à cause de l’étendu de l’investissement qu’il nécessite, toutefois nous ne doutons pas qu’avec l’appui déterminant et l’expertise avérée de notre partenaire nous arrivons à relever le challenge : nous sommes à l’aube d’une formidable opportunité pour notre pays. De plus, ce programme à terme, sera générateur d’importantes devises pour notre pays, puisque le potentiel semble inépuisable. L’énergie solaire est aussi une bonne piste que nous souhaitons explorer davantage dans les années à venir. Dans l’immédiat, l’interconnexion avec notre grand voisin Ethiopien, est en cours de finalisation, c’est une véritable aubaine pour nos concitoyens. Les enseignements de ces dernières années nous ont montré à quel point il était urgent pour l’EDD de diversifier ses sources d’approvisionnement en énergies. C’est la mission à laquelle s’est attelée la direction de l’EDD, il semblerait que celle-ci, au vue des résultats sur le terrain, est une franche réussite. Les travaux d’interconnexion arrivent à leurs termes, et on peut espérer que dès la fin 2010, l’EDD pourra acquérir son énergie propre à un meilleur coût. Nous bénéficierons de tarifs très intéressants, même si ceux-ci ne seront pas fixes, puisqu’ils resteront indexés sur le cours mondial du baril de fuel lourd, mais au final, ils resteront toujours en deçà de ce qu’ils nous en coûtent aujourd’hui.
Que répondez-vous à ceux qui estiment que l’EDD est grevée par une charge salariale trop lourde à supporter pour ses finances et que celle-ci serait à l’origine de difficultés récurrentes auxquelles vous êtes confrontées ?
Je répondrais tout simplement qu’ils ont une méconnaissance de la réalité. Une méconnaissance totale de l’équation énergétique du pays. Le seul poste des lubrifiants nous coûtent près de 500 millions de francs annuels, ceci n’est pas rien, cela représente tout de même 80% des importations nationaux de lubrifiants. Pour être encore plus précis le poste achat hydrocarbures, et lubrifiants nous coûtent 60% de notre chiffre d’affaires. C’est considérable, on comprend mieux notre vulnérabilité face aux fluctuations des cours mondiaux : une hausse même minime du cours du baril déstabilise profondément les comptes de l’entreprise. Ce n’est pas un jeu de mot, c’est la réalité tout simplement.
Les 40% restants sont répartis ainsi : les charges salariales représentent à peine 13% du chiffre d’affaires. C’est une ligne budgétaire raisonnable lorsque l’on compare à celles d’entreprises du même secteur à l’extérieur du territoire, mais également au plan national, dans des sociétés du même gabarit. Un autre chapitre important est celui des dotations aux amortissements. Il faut savoir que certains des groupes électrogènes que nous achetons coûtent tout de même près de 4 milliards de nos francs.
Mobilisation qu’il faut amortir sur une période de dix ans, cela représente approximativement 2 milliards de nos francs là aussi. A cela s’ajoutent les dotations aux provisions, puisque comme vous vous en doutez, nous sommes confrontés à de nombreux impayés. C’est ainsi que toutes les factures non honorées de plus de 6 mois et dont le compteur n’a plus affiché de mouvement, sont automatiquement provisionnées. Il arrive toutefois que ces factures viennent à être réglées par la suite, mais en moyenne bon an mal an, celles-ci nous coûtent autour 2 milliards fdj.
La réalité est celle-ci, celle que je viens de vous décrire… Il est plus facile de spéculer et de chercher une tête de turc que de vouloir chercher à comprendre la réalité énergétique de notre pays. Le personnel de l’EDD se dévoue corps et âmes pour répondre quotidiennement aux besoins énergétiques de nos concitoyens, dans certains départements j’estime même qu’ils devraient être plus nombreux. Le contexte actuel ne nous permet aucun excès, il ne nous ait pas possible de procéder à des recrutements à l’heure actuelle, notre situation financière nous le permet pas. Conscients de cette situation, tous nos agents, d’eux-mêmes, mettent la main à la pâte et redoublent d’efforts afin de faire tourner nos machines avec le potentiel humain et matériel disponibles. Je leur dis, chers collègues, chapeau bas…
De plus, il y a une donne que beaucoup de nos citoyens ignorent : l’EDD subventionne l’eau que les Djiboutiens consomment et utilisent quotidiennement via l’ONEAD. Je ne voudrais pas m’appesantir là-dessus trop longtemps étant entendu que chaque société a ses obligations, mais il me semble tout indiqué de signaler que cette dernière n’a pas réglé une seule de ses factures à notre endroit depuis plus d’une dizaine d’années. Par ailleurs il est souvent fait le reproche à l’EDD de priver les citoyens d’eau lorsqu’il survient des délestages, mais je voudrais rappeler qu’il appartient à l’ONEAD de se pourvoir en groupes électrogènes pour suppléer aux cas d’indisponibilité de la fourniture d’électricité, puisque la fourniture de l’eau est une obligation contractuelle de l’entreprise. L’Electricité de Djibouti n’est prête à assumer que sa part de responsabilité, ni plus ni moins.
Quelle est votre capacité d’emprunt ?
On ne peut pas vraiment dire que nos ratios financiers sont excellents : C’est malheureusement un fait indéniable. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le Fades qui compte contribuer à hauteur de 30 millions de dollars à la construction de la future centrale de Djaban-Has a demandé à l’Etat de recapitaliser l’Electricité de Djibouti afin d’assainir sa situation financière, en vue d’augmenter nos fonds propres.
Cette condition a-t-elle été acceptée par l’Etat ?
Tout d’abord gardez à l’esprit que l’Electricité de Djibouti appartient à 100% à l’Etat, ensuite il faut savoir que l’EDD est en train de préparer une importante table ronde de bailleurs de fonds internationaux afin de récolter le financement nécessaire à la construction de la nouvelle centrale de PK12, estime à 150 millions de dollars… Ce financement ne sera bancable que si notre situation financière est assainie. Nous sommes toutefois confiants, puisque c’est l’Etat qui emprunte, et que cette dernière est peu endettée, et dispose de bons ratios financiers : Elle nous rétrocèdera par la suite le prêt. Mais, en ce qui nous concerne, il est impératif que nous puissions présenter dans un avenir proche des ratios d’indépendance financière et d’autonomie financière plus conformes avec les règles comptables en vigueur, c’est une urgence. Tout simplement car il faut que nous soyons en mesure de convaincre les bailleurs auxquels l’Etat s’adressera de la pertinence de notre stratégie énergétique nationale, puisque nos comptes seront examinés à la loupe par les différents conseils d’administration des banques que nous allons solliciter : il faut que nos comptes soient bancables, solides, bref qu’ils puissent rassurer, tenir la route, si je voulais parler plus familièrement.
Le montant de l’investissement récent des deux groupes de Boulaos, n’a-t-il pas grevé les finances de l’Electricité de Djibouti ?
Ces deux groupes que nous venons d’acquérir et qui seront opérationnels sans doute dès cette été, pallieront efficacement au déficit énergétique que nous rencontrons en période estivale, ils sont en cours d’installation. Ils ont été acquis sur financement propre de l’EDD, c’est un investissement important qui est de l’ordre de 900 millions de Fdj, mais il avait été programmé, et pourvu dans notre tableau de bord, donc il n’aurait aucune incidence sur notre trésorerie.
Enfin, l’Electricité de Djibouti dispose t-elle d’une ligne budgétaire dédiée à la formation de ses agents ?
Evidemment, à titre d’exemple les agents recrutés avec un CAP peuvent grâce à l’accès à la formation continue offerte au sein de l’entreprise acquérir un niveau BTS tout en continuant à travailler. La formation se déroule au LIC : l’EDD contribue à hauteur de 60% du montant de ladite formation, les employés quant à eux s’acquittent des 40% restants. En cas de succès aux examens, chaque année, les employés se voient reclasser, c’est un moyen de motiver le personnel, mais également un moyen d’épanouissement très important pour les employés qui voient ainsi leurs efforts récompensés légitimement.
L’évolution au mérite au sein de l’entreprise est la seule règle en vigueur en matière d’évolution de carrière. Pour vous donner un exemple, le chapitre formation extérieure et intérieure du personnel était de l’ordre de 15 millions en 2007. En 2008, il représentait près de 26 millions. Comme vous pouvez le constater c’est un chapitre qui a tendance à évoluer positivement d’une année à l’autre.
Propos recueillis par Mahdi A., photos Hani Kihiary