Human Village a décidé de publier cette intéressante analyse de la situation régionale, dont l’auteur souhaite rester anonyme.
L’évolution du contexte stratégique dans la Corne de l’Afrique et le Golfe a pris Djibouti par surprise. L’actuel président n’ayant connu qu’un gouvernement dominé par le TPLF, les évolutions internes en Éthiopie ont mis à mal une diplomatie djiboutienne engoncée dans un confort intellectuel. De fait l’hostilité commune à l’Érythrée, ainsi qu’une certaine unité de vue sur la Somalie combinées à l’importance du port de Djibouti pour l’Éthiopie, ont pu donner l’impression d’une totale gémellité de perspective entre les deux capitales.
Cependant, l’effondrement progressif du système TPLF ne semble pas avoir été anticipé, tout comme l’accession au pouvoir d’Abiy Ahmed et la volonté de certaines élites éthiopiennes de solder ses contentieux avec les pays voisins en rupture avec l’approche de l’ancien régime.
Djibouti semble avoir été informé après coup de ces différents développements. La signification à donner à cet état de fait est simple : partenaires, certes mais inégaux. Dans la relation Éthiopie-Djibouti, Addis Abeba donne le la, et c’est au junior djiboutien de s’adapter. Les évolutions récentes mettent sur le devant de la scène l’asymétrie de la relation éthio-djiboutienne que le statut de seul débouché maritime des ports djiboutiens a pu faire oublier.
Pourtant, plusieurs signes étaient annonciateurs de la volonté éthiopienne de diversifier ses accès à la mer. Il y a eu la visite de l’ancien Premier ministre Hailemariam Dessalegn au Soudan, dont le communiqué final évoquait la nécessité de développer Port-Soudan pour le commerce vers l’Ethiopie. Il y a les investissements éthiopiens dans le développement du port de Berbera en coopération avec les Emirats Arabes Unis.
La volonté du gouvernement éthiopien de rétablir les relations avec l’Érythrée, n’est que l’aboutissement d’une réflexion progressive au sein des élites politico-administratives éthiopiennes. La principale raison est qu’aucun pays ne peut accepter dépendre d’un partenaire unique, aussi fiable soit-il, pour son approvisionnement portuaire ou sa stratégie navale. La diversification des sources d’approvisionnement était inéluctable, tout comme les dynamiques internes au sein du EPRDF.
Ces différentes évolutions n’auraient pas plus mal tomber alors que Djibouti est en contentieux politico-juridique avec la société Dubai World Port, donc les Emirats Arabes Unis et par extension l’Arabie Saoudite.
On a pu observer une diplomatie djiboutienne fébrile, pour ne pas dire paniquée, face à la reconfiguration des forces en présence dans la Corne de l’Afrique et le Golfe Persique. La publication (opportune ?) de communiqués maladroits témoigne de la perte de repères dans une région où Djibouti perd de sa centralité.
De fait, si la présence des puissances internationales « finlandise » Djibouti contre toute agression extérieure, les rapprochements Éthiopie-Érythrée- Somalie le fragilisent d’un point de vue tant politique qu’économique.
Djibouti a construit une politique d’équilibre des puissances mondiales sur son territoire, mais n’a pas su le faire au niveau de la Corne, où son importance repose essentiellement sur son statut d’entrée et de sortie du commerce éthiopien. Le positionnement géostratégique de Djibouti est excessivement aligné sur sa géographie – à savoir sa frontière avec l’Éthiopie - alors que le bon sens voudrait que cet élément constitue une rampe de lancement et non une camisole de force.
Plusieurs erreurs liées ont été commises par Djibouti
• Une absence d’anticipation des changements de la région. Une forme d’auto-complaisance semble avoir dominé l’appareil de l’État concernant la situation de la région.
• Une professionnalisation limitée de l’appareil diplomatique, dont témoignent les communiqués maladroits et bourrés de fautes mettant en lumière de sérieux défauts de cohérence entre les différents postes. Il en résulte un déficit en termes de capacité d’analyse et de réflexion limitée quant au positionnement de Djibouti dans la sous-région ;
• La décision de régler un contentieux commercial par voie de justice alors qu’une règle en politique est de ne jamais se retrouver dans une situation où l’on est pas pleinement maitre du résultat final.
• L’extrême personnalisation de la pratique diplomatique qui ne laisse pas forcément la possibilité au personnel de faire remonter des informations et analyses qui ne cadrent pas avec la pensée présidentielle.
Que faire ?
Primo, « le silence est le sanctuaire de la prudence ». Dans un contexte incertain dont on ne maitrise pas les tenants et les aboutissants, la politique la plus appropriée est de se taire. Le spectacle d’une diplomatie djiboutienne fébrile, ayant le communiqué facile et émotif, ne contribue pas à améliorer la réputation de Djibouti dans la région et dans le monde.
Secundo, se regrouper. Il importe de créer un groupe d’experts du ministère des Affaires étrangères, du ministère de la Défense, du ministère de l’Économie afin d’élaborer une nouvelle stratégie pour Djibouti dans la nouvelle configuration régionale, dans un délai de six mois.
Tertio, redéployer. Afin de marquer le coup d’une nouvelle diplomatie, il est impératif de procéder à un remaniement au sein des principaux postes diplomatiques (Addis Abeba, Mogadishu, Asmara, pays du Golfe) afin de porter la nouvelle stratégie. Chaque nouvel ambassadeur devra avoir une feuille de route précise en cohérence totale avec ses collègues afin d’éviter les dissonances. Il faudra privilégier des professionnels de la diplomatie, jeunes et méritants, en lieu et place d’anciens ministres.
Quarto, favoriser un règlement à l’amiable du contentieux avec Dubai World Port. La voie judiciaire est non seulement coûteuse, mais aussi porteuse de nombreuses inconnues. Alors que les EAU revitalisent leurs relations avec l’Éthiopie et ont clairement joué un rôle dans la réconciliation entre Addis Abeba et Asmara, la perpétuation du contentieux fait courir le risque à Djibouti d’être pris à revers.