Dès la sortie de Loyada, du côté somalilandais, nous faisons face à 300km de roches et de sable en tout genre jusqu’à Hargeisa, la capitale du pays. Plus qu’une simple frontière, ce fut l’un des lieux majeur de la lutte pour l’indépendance djiboutienne. En effet, le 3 février 1976, des militants indépendantistes du Front de libération de la Côte des Somalis (FLCS) traversèrent cette même frontière et s’immobilisèrent dans le no man’s land entre les territoires français et somalien, à une dizaine de mètres seulement du poste frontière somalien, avec en otage un car militaire effectuant le ramassage scolaire des enfants de militaires de différentes bases françaises. Cette séquence de notre histoire est bien présente et ancrée dans la fierté des Djiboutiens comme un signe de victoire contre l’envahisseur.
Mais aujourd’hui cette frontière fait office de porte d’entrée pour des milliers de Djiboutiens fuyants la chaleur de l’été vers un « nouveau » pays, le Somaliland. Avec une superficie d’environ 137 600 km², il est limitrophe de la Somalie, de l’Éthiopie, de Djibouti et du Yémen (golfe d’Aden). Sa population est estimée à près de quatre millions d’habitants, répartis dans douze régions (Maroodi Jeeh, Awdal, Togdheer, Saahil, Sanaag, Sool pour n’en site que quelques-unes). La capitale, Hargeisa, a une population d’environ 1,2 million d’habitants. Neuf jours après son indépendance en juillet 1960, et alors que plus d’une trentaine d’États l’ont reconnu officiellement, le Somaliland fusionne avec l’ancienne Somalie italienne pour former la Somalie. Mais, au début des années 1980, une rébellion menée par le Somali National Movement (SNM) éclate. Elle est par la suite brutalement réprimée par Mohammed Siad Barre. En 1988, Hargeisa est bombardée par l’aviation gouvernementale. La répression fait 50 000 morts et près de 500 000 déplacés, ce qui était énorme pour une population d’environ un million d’habitants (soit 5 % de la population tuée pendant la répression). Avec la guerre civile somalienne qui s’envenime et le renversement de Mohammed Siad Barre en 1991, le 18 mai 1991 est proclamée la sécession d’avec la Somalie, toujours non reconnue par la communauté internationale.
Cela n’empêche point le Somaliland de se reconstruire, et notamment Hargeisa la capitale qui aujourd’hui, avec l´appui de la diaspora, retrouve son lustre d’antan. En effet, en marchant dans les rues entres les commerces, les vendeuses de lait de chameaux, des vaches, les petits kolay (points de vente de khat), nous somme frappés par les bâtiments en tous genre qui poussent comme des champignons, dans une course vers les cieux. Ils contrastent avec des routes délabrées, datant des années 1980, usées par des flux massifs de véhicules de toute catégorie, et marquées par un manque total de respect du code la route. A la question : « qui paye les dégâts engendré par ce chaos routier », on me répond ironiquement qu’ici l’assurance qui prend en charge les dégâts est constituée par les liens de parenté et l’appartenance clanique.
Ce pays de près de quatre millions d’âmes joue un rôle stratégique dans la région de par sa position géographique, sa main d’œuvre bon marché et un coût de la vie relativement peu cher. En effet, pour nombre de multinationales à la recherche d’investissements directs à l´étrange (IDE), ce pays fantôme est un havre de paix pour investir. Le dernier ayant fait ce pari n’est autre que la société émiratie DP World, le troisième opérateur portuaire mondial et désormais actionnaire majoritaire du port de Berbera. Un investissement allant jusqu’à 442 millions de dollars est prévu pour étendre l’infrastructure portuaire. Cet accord historique ouvre un nouveau point d’accès à la mer Rouge et donne à l’opérateur portuaire un centre alternatif à Djibouti dans la Corne de l’Afrique. D’après les termes du contrat de concession, le Somaliland accorde à la société basée à Dubaï le droit de gérer le port de Berbera pendant trente ans. Une zone de libre-échange a également été prévue pour soutenir le développement du commerce entre l’Éthiopie et le Somaliland, a déclaré l’opérateur portuaire. Dans les années à venir, Berbera va être un concurrent de poids pour les autres ports de la région.
Seul bémol dans cette machine bien rodée, la monnaie somalilandaise qui ne vaut quasiment rien sur les marchés internationaux. Elle est sujette à une inflation galopante et un manque de régulation étatique. En tenant compte du fait que cette partie de la Corne d’Afrique est exemplaire par sa stabilité politique, un encouragement venant de l’extérieur serait le bienvenu. La population ne comprend pas ce refus, elle qui a pourtant réussi à faire ce que l’on demande sans cesse aux pays en développement. Ce mal de reconnaissance par l’ONU de ce pays qui n’aspire qu’à sa place légitime dans le concert des nations n’empêche pas le Somaliland d’être une démocratie quasi exemplaire, ayant changé quatre fois de président depuis 1991, avec sans doute encore une succession sans heurt en novembre de cette année. Le jeune gouvernement somalilandais, qui fait la fierté de sa population, devrait élire son cinquième président pour succéder à Ahmed Mohamed Mahamoud (Silanyo). Ce dernier, pour de nombreux Somalilandais, restera le président qui a redressé une économie vacillante depuis près d’une décennie.
Liban Mohamed Mahamoud