Il arrive dans la vie d’un journal, ce moment où la congruence de la formulation et le souci de responsabilité dans les propos bruissent d’angoisse, telles les feuilles agonisantes d’un automne canadien. Le doute surgit. On se pose alors la question de savoir si nous touchons la conscience du lecteur qui nous lit. Il y a parfois ce locuteur qui nous interpelle. Quelques réflexions partagées et beaucoup, beaucoup de silence. Et puis ce sentiment de redondance, après deux ans d’existence ; celui d’avoir fait le tour du sujet et de tomber dans le piège du regard contemplatif et apologétique à l’endroit de cet âge d’or de notre passé. Enfin, il y a ce désintéressement de la masse et des élites face à la chose culturelle. Certes, le découragement est ce qu’il est, nous direz-vous, c’est-à-dire, peu de chose. Mais comprenez notre angoisse.
Au reste, il est d’autres raisons encourageantes dont ce bel hommage rendu à l’équipe de Yaf Yinti par la diaspora de Belgique lors de la soirée culturelle du 8 août 2015 à Bruxelles. Ou quand dans la région Afar de l’Éthiopie, nos fidèles lecteurs demandent à tout véhicule en provenance de Djibouti un exemplaire de Yaf Yinti. Ou enfin quand notre appel à l’intelligentsia djiboutienne à contribuer à l’essor de notre mensuel se concrétise par la publication de quelques grandes signatures (lire Yaf Yinti n° 20). Ces rares intellectuels ont certainement compris avec nous que l’identité n’est pas une chose figée ou l’héritage d’un passé immémorial.
Penser un discours sur l’identité culturelle, n’est-ce pas le rôle des intellectuels c’est-à-dire des universitaires, des poètes (kassow abe), des sages (makaaban) et des journalistes ? Comme l’ont fait jadis les Tola Canfaxe, Hadigto Muusa et consorts ?
À ce propos, il est plus que nécessaire d’évacuer de nos esprits cette mentalité impénitente qui nous divise en évolués (diplômés) et en incultes ou inversement en kasle (les dépositaires des traditions) et en acculturés. Ce n’est pas supportable ! Car enfin, mixig yaaxigeh, mingil yabbixeh et la défense de l’identité culturelle n’est pas la chasse gardée d’un seul groupe.
Une littérature pittoresque ou humoristique ne diffusant que certaines caractéristiques culturelles résiduelles telle que le rythme ou des valeurs urbaines et touristiques ne suffit pas pour avoir une juste idée de son destin. Kaslé et intellectuels doivent collaborer et élaborer ensemble des thèmes littéraires, musicaux et théâtraux dont l’enracinement se situe dans le patrimoine culturel mais la pertinence dans le sentiment de continuité historique. Sachant que la langue est l’instrument de la domination culturelle par excellence, cette littérature doit idéalement être produite dans les langues maternelles.
Mais cette conquête ne peut se faire sans le concours d’un troisième groupe : les élites. Autrement dit, la classe dirigeante. C’est que les préoccupations culturelles et le discours sur l’identité culturelle se conçoivent aussi et surtout dans un processus politique et idéologique. La concertation de ces trois groupes est nécessaire pour fixer les valeurs locales sur lesquelles s’appuierait une politique du développement humain.
Dans une Corne d’Afrique où se dessine un nouvel ordre géopolitique, attisant les appétits des grandes puissances civilisationnelles, la défense de nos cultures est la panacée.
Pour nous résumer en une phrase : la revalorisation de notre identité culturelle est la condition sine qua non du développement, et même de notre indépendance.
Abdoulkader Mohamed Ali, directeur de publication du magazine Yaf Yinti
Bonne initiative et félicitations