Human Village - information autrement
 
Soutenir les investissements : un défi pour l’État
par Mahdi A., octobre 2024 (Human Village 52).
 

Afin de comprendre le rôle joué par l’Agence nationale pour la promotion de l’investissement (ANPI), nous avons rencontré deux de ses responsables, Amina Houssein Guireh, directrice générale-adjointe et responsable du département promotion, et Ifrah Said Ousman, responsable communication et promotion des investissements. Elles appartiennent à ce qu’elles appellent la « Team guichet unique », qui réunit tous les services nécessaires aux primo-investisseurs. Avec des dizaines de conférences et de formations autour du globe, l’ANPI a informé et conseillé des milliers d’investisseurs pour faire le choix de Djibouti, en mettant l’accent sur les secteurs d’activité attractifs pour des investisseurs, en plus des atouts de stabilité politique, fiscale, et de la présence d’une main d’œuvre qualifiée. Cela a permis l’installation de centaines de sociétés, avec entre 20 et 50 entreprises qui sollicitent l’aide de l’État chaque année.

Un guichet unique pour une procédure simplifiée
Le guichet unique de l’ANPI, « qui rassemble 14 institutions publiques différentes (CNSS, Impôts, Domaine, ODEPIC, …) », simplifie et centralise les démarches administratives pour les investisseurs, tout en proposant les aides à la création d’entreprises et l’engagement d’investisseurs dans le pays, explique Ifrah Said Ousman : « Les investisseurs nationaux comme internationaux se rendent à l’ANPI avant même la création de l’entreprise pour recueillir toutes les informations possibles et inimaginables sur l’environnement des affaires à Djibouti […]. Comment créer une entreprise, la fiscalité, comment faire pour avoir les raccordements auprès des opérateurs de l’EDD, ONEAD ou des télécoms, de quoi ils peuvent être exonérés dans le cadre de leurs investissements, mais aussi les différentes écoles disponibles, la qualité des hôpitaux… ».

Amina Houssein Guireh souligne que Djibouti s’est doté d’un ensemble de mesure attractives, organisé autour des notions de « service » et de « disponibilité ». Dans son tableau de chasse figure notamment Touchroad International Holding, China Merchants Port Holdings, Golden Africa, que l’ANPI a soutenu lors de leur implantation Djibouti : «  Nous sommes la seule institution capable de fournir simultanément plusieurs types d’informations aux investisseurs  ». L’investisseur n’a pas besoin de faire le tour des administrations pour créer son entreprise. Ifrah Said Ousman précise que «  la patente est donnée au maximum avant 72h comme le stipule la loi, mais généralement cela est fait avant.  […] Un seul processus, une seule porte d’entrée, une seule facture et un seul paiement. Les investisseurs susceptibles de pouvoir bénéficier des exonérations du Code des investissements vont continuer avec nous, ils seront accompagnés par le département développement technique, c’est le service qui s’occupe de l’octroi des exonérations ».
Ces exonérations, dont la durée maximale ne peut excéder sept ans, bénéficient aux seules entreprises qui respectent les critères du Code des investissements, dans un cahier de charge établi en commun. «  Le minimum d’investissement pour être éligible s’élève à 5 millions de francs djiboutiens  », précise Amina Houssein Guireh, tout en insistant sur l’importance de l’impact des projets sur l’économie nationale. «  Nous exonérons les outils d’équipement et les intrants  puisque le produit mis sur le marché est un produit fini prêt à être commercialisé. Il doit y avoir de la création de valeur ajoutée, nécessairement. Le cas de l’usine Golden est intéressant, cette entreprise exporte sur le marché régional 90 % de sa production et commercialise 10 % sur le marché local », ajoute-t-elle, tout en rappelant que les exonérations ne sont pas totales. «  Les sociétés exonérées des impôts sur les bénéfices s’acquittent tout de même de 1 % de leur chiffre d’affaires auprès du Trésor public.  »

Qu’est-ce qui différencie le guichet unique de la zone franche de celui de l’ANPI ? « Il s’agit de deux régimes totalement différents. Le premier régime, bénéficie uniquement aux entreprises installées dans les zones franches car c’est considéré comme une zone extraterritoriale, une zone sous douane, alors que nous on s’occupe du marché commun, tout ce qui est hors zone franche ». Pour en bénéficier, « il faut qu’il y ait un impact sur l’économie nationale, notamment un investissement d’un certain montant et que le projet génère des emplois, et en fonction de ces éléments, nous allons accorder le package correspondant le mieux aux types d’investissements projetés afin de l’accompagner dans son développement dans les meilleures conditions. ».
Les retombées sont importantes pour l’économie nationale, puisque les entreprises sont redevables de l’impôt sur les traitements des salaires (ITS), de l’impôt foncier, CNSS, TVA, ou encore de l’impôt minimum forfaitaire. Toujours en citant en modèle Golden Africa, les deux voix de l’ANPI, ne manquent pas de louer le caractère à responsabilité sociale de cette entreprise modèle, qui dispense un service « cantine » pour son personnel, mais aussi son rôle actif sur le secteur caritatif et social national. L’entreprise emploierait autour de 653 employés permanents. « Ces derniers sont d’ailleurs les premiers à défendre leur société lors de nos échanges sur site. C’est assez rare pour le souligner ».

Suivi et contrôle des engagements
L’ANPI prend au sérieux le respect des engagements pris par les entreprises. Une étude de faisabilité et un plan d’emploi sur deux à trois ans sont exigés, suivi par l’intermédiaire de rapports annuels. «   Nous on n’exonère pas une entreprise mais un projet, un nouveau projet. Le montant d’investissement prévu, le matériel de production nécessaire, et les emplois prévu sur au moins les trois années à venir. Nous demandons un rapport d’activité chaque année et effectuons des visites physiques inopinées pour suivre l’évolution de l’entreprise  », confirment les deux responsables. La question, pour eux, est en effet de trouver l’équilibre en les passant au tamis. Si des anomalies sont détectées, l’ANPI enquête pour comprendre les raisons et, dans les cas extrêmes, peut retirer l’agrément octroyé à l’entreprise. «  Il est déjà arrivé que nous retirions un agrément, mais cela reste exceptionnel.  Des cas isolés. La priorité n’est pas de rechercher des responsables mais bien une solution pour aider l’entreprise à réussir à l’exécution de ses engagements. ».
Concrètement, il s’agit d’un recoupement des données de la douane, des impôts, la CNSS, qui permet d’établir un rapport qui est consigné par les différentes parties prenantes. En fonction de critères objectifs, le comité d’évaluation donne un avis favorable ou défavorable qui sera soumis à l’avis du directeur général, Mahdi Darar Obiseh, seule autorité in fine habilitée à octroyer le quitus. Sans ce document, les entreprises ne bénéficient pas de l’exonération. « On n’est pas rigides, on discute et on peut se montrer patient. Le couperet ne tombe pas unilatéralement. […] Les entreprises font leurs études comparatives en fonction de leur ambition, pour savoir si elles vont en zone franche ou à l’ANPI. Une entreprise qui veut juste stocker pour servir en produits une clientèle régionale, donc aucun contact avec le marché local ira en zone franche préférablement », explique Amina Houssein Guireh.

Les zones économiques spéciales, les exonérations et les défis à relever
Malgré les progrès réalisés, plusieurs défis demeurent. «  Le coût de l’électricité est le principal défi auquel les sociétés sont confrontées  », ont admis les deux responsables. Mais l’utilisation aujourd’hui d’énergies renouvelables permet de réduire fortement ces coûts. « Un nouveau code en projet va inclure des incitations plus fortes pour ceux qui s’installeraient dans l’intérieur du pays et ainsi mieux accompagner un développement régional, ses modalités sont en cours de discussion ».
Un autre défi est l’accès au foncier pour les investisseurs. Depuis une loi de 2001, l’ANPI peut dorénavant y pourvoir directement. Un premier lot d’une superficie de 100 ha, à Nagad, a été octroyée à l’institution il y a quelques mois par décret. « Nous allons viabiliser prochainement cette surface pour y promouvoir une zone économique spéciale. Nous prévoyons également de fournir de l’énergie aux entreprises qui le souhaitent à un prix très compétitifs, ce qui favoriseraient l’essor de petites industries sur site » pour le marché local.
Tout en saluant la création de cette zone spéciale, des inquiétudes demeurent. Toutes les entreprises industrielles installées sur le territoire ont contribué à renchérir considérablement le coût des produits alimentaires (le lait par exemple a connu une augmentation d’environ 100%), des matériaux de construction (le ciment ou les fers à béton de 30 à 40%) ou du papier (doublement du prix de la ramette) par rapport à leur prix lorsqu’ils étaient importés. Cela est dû à la législation douanière mise en place pour restreindre les importations de produits concurrents de ces productions locales. De plus, la qualité des produits locaux n’est pas toujours au rendez-vous, mais c’est un autre débat.

C’est pourquoi l’annonce de l’installation d’une unité de production apparaît souvent comme une mauvaise nouvelle pour les consommateurs Djiboutiens. Seules les unités d’embouteillage d’eau sont un véritable succès. On peut imaginer par exemple la satisfaction éprouvée par les entrepreneurs locaux en apprenant la non-extension en 2025 des avantages fiscaux accordés au cimentier Nael depuis dix ans. La protection ne doit pas devenir une rente. A-t-on mis en balance tous ces coûts indirects pour notre société ? Le différentiel de compétitivité est tel, que l’effet structurel de hausse bien là. L’exclusivité dont il jouit empêche les importations, même lorsque la production locale ne suffit pas aux besoins du pays.
Les retombées – notamment en termes d’emploi - d’entreprises bénéficiaires du Code des investissements devraient être mises en rapport avec leur coût pour l’économie et les recettes de l’État. Pour obtenir de bonnes solutions, il faut poser de bons diagnostics. Un audit des conséquences catastrophiques de cherté de vie pour la population de l’installation de ces entreprises est nécessaire. On peut supposer que les seuls bénéficiaires de ces allègements fiscaux et non perceptions TIC par douanes (sans doute bien supérieurs à une dizaine de milliards de francs annuel) ne sont uniquement les propriétaires de ces entreprises…

Mahdi A.

 
Commenter cet article
Les commentaires sont validés par le modérateur du site avant d'être publiés.
Les adresses courriel ne sont pas affichées.
 
modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par les responsables.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

 
Dévaluation stratégique du dollar
 
L’économie mondiale en panne
 
Nouveau projet de la Banque mondiale
 
| Flux RSS | Contacts | Crédits |