Ces derniers mois, le secteur de l’alimentation et surtout celui des fruits et légumes a connu une période mouvementée. Nous avons voulu recueillir à ce sujet, les impressions d’une vendeuse, Hawo Moussa Aden, qui tient un petit stand de fruits et de légumes au sein du marché Hayableh, marché qui commence à se peupler au fur et à mesure que la matinée s’allonge.
Bien que Hawo ait été entièrement disposée à répondre à toutes nos questions sans réserve, l’ambiance au marché s’y prêtait peu. En effet, attirée par notre présence, une vingtaine de personnes (vendeuses, clients et enfants) ont formé une ronde à l’endroit où nous interviewons la vendeuse. Un silence de mort régnait à chaque fois que nous interrogions Hawo, tout le monde se taisant comme pour entendre la question. Puis, d’un coup, chacun se donnait à cœur joie d’exprimer son opinion après chaque propos de Hawo.
Merci de nous recevoir en plein travail Hawo, pouvez-vous vous présenter en quelques mots à nos lecteurs ?
Bien sûr, je m’appelle Hawo Moussa Aden et je suis mère de quatre enfants âgés de 3, 7, 9 et 10 ans. Parmi les quatre, trois sont scolarisés. Je suis vendeuse de fruits et légumes depuis douze ans.
J’habite à quelques pâtés de maisons d’ici. Tous les matins, je réinstalle mon stand en étalant mes fruits et légumes, ma balance et les caisses sut lesquels vont s’asseoir mes clients.
Je suis présente de l’aurore jusqu’à midi passé et après je retourne chez moi pour m’occuper de mes enfants. Il arrive que mes journées soient éprouvantes surtout lorsque je dois en plus, passera commande de la marchandise pour toute la semaine et faire les comptes.
Pouvez-vous nous dire pourquoi avoir choisi de devenir vendeuse de fruits et légumes et comment avez-vous débuté votre activité ?
Si j’ai décidé, il y a de cela douze ans, de me lancer dans ce milieu c’est parce qu’à l’époque, ce commerce était inexistant ici. Les ménages de Hayableh étaient quotidiennement contraints de parcourir plusieurs dizaines de kilomètre pour se rendre au marché le plus proche. En voyant cela, j’ai donc eu l’idée d’ouvrir un petit stand ici. Je me suis dit qu’il y avait un marché.
Vous savez, bien que la demande soit forte, les premiers mois ont été durs car, d’une part, les ménages n’avaient pas eu écho de mon commerce et surtout je ne pouvais que proposer une gamme assez réduite de choix. Et ceci, faute de moyen financier.
Au fil du temps, j’ai réussi à fidéliser une catégorie de clients et j’ai pu également mettre de coté un peu d’argent. J’ai décidé ensuite d’accroître ma commande de fruits et légumes auprès des grossistes. Me croirez-vous si je vous dis que, mon commerce, je ne l’ai réalisé qu’avec seulement 20 000 francs d’économie que j’avais réussis à mettre de coté tant bien que mal. Cet argent m’a permis d’acheter une petite quantité de fruits et de légumes pour commencer mon activité.
Par la suite, voyant que mon commerce prenait de l’ampleur, j’ai décidé d’élargir mon activité, notamment en accroissant mon stock. En effet, une fois par semaine, je reçois une cargaison de fruits et de légumes qui me coûte 100 000 francs. Un camion, que je loue à 2000 FDJ assure la livraison, et me dépose mes produits directement dans un local que je loue pour 5 000 francs par mois. Il me suffit alors de prendre chaque matin la quantité de produits nécessaire pour la journée et de faire le petit trajet séparant mon lieu d’entreposage de mon lieu de vente. Au marché de Hayableh, nous avons la chance de bénéficier, à l’achat, d’une réduction du prix en gros. AlHamdoulilah, ça nous aide.
Avec l’augmentation des prix des denrées alimentaires, est ce que vous arrivez à vous en sortir ? Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées ?
Au début, tout était plus simple et je gagnais correctement ma vie ! Aujourd’hui, le coût exorbitant de la vie nous préoccupe énormément car notre clientèle est de plus en plus anxieuse. Le kilo de tomates, de pommes de terre et d’oignons qui coûtaient respectivement 80, 70 et 60 francs valent aujourd’hui 200, 120 et 130 francs. Et, c’est le cas également des prix des fruits qui ont globalement doublés. On nous reproche injustement d’augmenter les prix. Malheureusement, on est aussi victimes, sinon plus ! Si je vous fais une rapide présentation du bénéfice que je tire par produits vous verrez par vous-même que cela reste très raisonnable et très peu excessif. Par exemple, sur le kilo d’oranges que je vends à 130 FDJ, je ne perçois que 20 francs de marge. Comme pour les oranges, je tire de la vente du kilo de banane 15 francs. Sachez aussi que les prix fluctuent très rapidement ces derniers temps bien qu’aujourd’hui ils ont légèrement baissés. Demain, ou dans quelques semaines, ils seront peut-être plus élevés.
Ces fluctuations répétées rendent la vie certes difficile pour nos clients mais également pour nous commerçants. Vous savez, je vois au quotidien des mères de famille inquiètent, qui ne savent pas comment ajuster la hausse des prix des denrées alimentaires de base et le budget alloué. Détrompez-vous ! Je suis certes une vendeuse de fruits et de légumes mais je suis avant tout une mère de famille qui se trouve également confrontée aux mêmes dilemmes au quotidien.
Justement, pour vous en sortir, n’avez-vous pas pensé à vous associer avec d’autres vendeuses de la place ou changer complètement d’activité ?
Je ne l’ai pas envisagé et je ne pense pas que cela soit la solution. Qui dit associé dit plus de souci, inévitablement il peut survenir des divergences d’opinions. Alors qu’en travaillant seule, je m’organise comme je veux et je peux opérer à ma guise les choix que je désire sans aucune contrainte ou compromission. Vous savez, la dernière fois où l’importation de marchandises de l’Éthiopie a été interrompue, je me suis débrouillée comme je pouvais en négociant avec d’autres grossistes pour acheminer directement ma marchandise de l’Éthiopie. Et nous y sommes arrivés, Dieu merci. D’ailleurs, ce que vous oubliez, c’est qu’en se joignant à d’autres vendeuses, on est également contraint de se partager les bénéfices. Vous savez, entre consœurs, il nous arrive souvent de nous rendre service, soit en prêtant quelques kilos de fruits ou de légumes, soit en surveillant l’étal de l’autre, si l’une ou l’autre devait s’absenter un court instant.
Concernant l’idée de me reconvertir dans une autre activité commerciale, je peux vous assurer que je n’y ai pas songé du tout, dans la mesure où vendre des fruits et légumes est la seule chose que je sache et souhaite faire pour le moment. Mais qui sait, il se pourrait qu’un beau matin je me réveille avec un autre projet. Pour le moment, je pense que je continuerai dans cette voie car elle me permet de faire vivre ma famille même si nous ne vivons pas dans le luxe nous ne manquons de rien grâce à Dieu.
Je remarque, malgré toutes vos contraintes, que vous semblez ne pas manquer de clients pour vous acheter vos produits, de ce que je peux voir ? Contrairement à certaines de vos voisines, votre stand est loin de désemplir ? A quoi est dû ce succès ?
(Rire) Je crois que c’est l’emplacement qui fait la différence, il est bien achalandé, à proximité d’une rue principale. Il se situe dans un angle, au commencement même du marché, tandis que la majorité des vendeuses de fruits et légumes tiennent leur stand à l’intérieur du marché. Les premiers clients passent d’abord devant mon stand ! C’est une chance inouïe.
L’autre raison je suppose est que j’ai su tisser une relation de confiance avec mes clients au fil des années. Malgré la hausse des prix, j’essaye de ne pas les perdre, en octroyant par exemple, à mes clients les plus fidèles quelques réductions voire en leur donnant en plus une orange ou une pomme pour leur enfant.
Comme tout le monde, je souffre de l’envolée des prix alimentaires.
Mais malheureusement, je suis obligée d’augmenter légèrement mes prix, contre mon gré. Je vous mentirai si je disais que mes prix sont restés inchangés malgré la cherté de la vie. J’arrive tout de même à réaliser un bénéfice journalier moyen de 2 000 francs.
Dernière question Hawo, comment voyez-vous l’avenir et quel message voudriez vous passer ?
Avec l’aide de Dieu et tant que je serai en vie, je continuerai à subvenir aux besoins de ma famille. Aujourd’hui, je ne compte pas me lancer dans une autre activité mais plutôt élargir davantage mon commerce actuel. Quant à l’avenir, je garde espoir ! J’espère surtout que les prix finiront par baisser, c’est le cas notamment du prix du pétrole lampant depuis peu, j’espère que les autres produits suivrant le même chemin.
Je ne sais pas si je peux me permettre de parler au nom de la profession, mais si je devais m’exprimer, j’évoquerai la situation de hausse de prix que l’on peut constater sur tous les produits en général, nous ne pourrons pas nous en sortir seuls. Nous aurions souhaité que l’État nous vienne en aide et nous tende la main en mettant en place des politiques d’encouragements à l’initiative des petites entreprises, et plus précisément en faveur des femmes car elles sont nombreuses à vouloir aller de l’avant et à avoir des projets. Nous ne savons pas forcément à quelle porte frapper ni où trouver les moyens financiers nécessaires pour démarrer une activité. Comme vous pouvez le voir autour de vous, ce sont des femmes qui tiennent les commerces, ce n’est pas un hasard : nous aspirons à des lendemains meilleurs pour nous et nos enfants.
Propos recueillis par Ilwad Elmi Mohamed et Abdoulrazak Mahamoud Djibril