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Turbulences dans la Corne : quelles perspectives pour une stabilité durable ?
 

Cette rencontre est organisée chaque année depuis 2017 par Heritage Institute en collaboration avec l’Institut d’études politiques et stratégiques du Centre d’étude et de recherche de Djibouti (CERD). Heritage Institute est un think tank somalien fondé en 2013 et basé à Mogadiscio. Le forum de cette année a réuni près de 350 chercheurs, hommes et femmes politiques, journalistes, businessmen ou activistes venus de la Somalie, de la diaspora somalienne et des pays de la corne de l’Afrique. Pour la 4e fois, la République de Djibouti a abrité les travaux de l’« Annual Forum for Ideas » qui s’est tenu au Palais du Peuple les 13, 14 et 15 décembre 2021. Ce compte rendu s’attache à faire la synthèse des interventions et discussions des différentes sessions qui se sont succédées durant les trois jours du forum.

Lundi 13 décembre 2021
La cérémonie d’ouverture a occupé la première partie de la matinée qui s’est déroulée comme suit : la lecture d’une sourate du Coran, suivie par une allocution de bienvenue du Président du Conseil d’administration de Heritage Institute (Abdulkareem Hassan Jama), lequel n’a pas manqué de remercier le pays hôte pour son accueil toujours renouvelé. Ensuite, le Directeur exécutif de Heritage Institute a rappelé brièvement les missions et activités de l’institut. Le coup d’envoi des travaux a été donné par le discours d’ouverture du chef de l’État de Djibouti, Ismaël Omar Guelleh. En substance, le président de la République a souhaité la bienvenue aux invités venus d’horizons divers dans leur seconde patrie Djibouti, terre d’échanges, de rencontre et de fraternité. À ce titre, il n’a pas manqué de préciser la disponibilité de notre pays pour servir de plateforme de dialogue et de débat tout en soulignant cette initiative remarquable de Heritage Institute.

Session 1 : Les turbulences dans la Corne : perspectives des États
Durant cette session plusieurs hauts responsables politiques des pays de la région ont pris la parole pour dresser un état des lieux sur les instabilités qui secouent la Corne, leurs origines, leurs manifestations, leurs conséquences et enjeux mais aussi pour entrevoir les perspectives de chaque Etat.

Mustafa Muhumed Omer, président de la région Somalie d’Éthiopie
Il a commencé ses propos par une question centrale, « Pourquoi les turbulences continuent-elles dans la Corne ? ». Il a souligné que les tourments de la Corne ne sont pas une donnée nouvelle. Selon sa perception, les conflits incessants de la Corne prennent leur racine à la naissance de l’État et sont donc intimement liés aux cycles des indépendances et à la formation et la construction des États (state formation et state building). Bien entendu, ces turbulences engendrent des conséquences multiples sur le plan politique, économique, social et impactent durement les populations de cette région qui vivent sans répit.

lyas Moussa Dawaleh, ministre de l’Économie et des finances de Djibouti
Le ministre reconnait que la situation conflictuelle de la Corne est une donnée permanente. Il embrasse le même point de vue précédent et étaye sa conception en prenant l’exemple de Djibouti. En effet, dès sa naissance en 1977, la République de Djibouti a subi l’afflux des réfugiés de la guerre de l’Ogaden entre l’Éthiopie et la Somalie suite aux renversements des régimes de Siad Barré et de Mengistu en 1991 sans oublier ceux de la guerre du Yémen.
Toutes ces crises ont lourdement impacté la sécurité et la stabilité de la jeune république. C’est un fait indéniable que les tensions ethniques de la Corne impactent la paix sociale de Djibouti mais elles peuvent aussi entrainer à leur tour des troubles inter-ethniques. Par conséquent, la préservation de la paix dans la Corne reste dépendante de la volonté des pays de la région. Il a conclu ses propos par cette interrogation : Chaque État serait-il apte à régler seul ses problèmes ? Ou les États de la région gagneraient-ils à coopérer pour trouver des solutions communes ? Il reste convaincu que l’intégration économique régionale pourrait constituer une solution qui renforcerait davantage la stabilité des pays de la Corne.

Gamal Hassan, député et ministre du Plan, de l’investissement et du développement économique de Somalie

Le ministre soutient aussi que les maux des États de la région trouvent leur origine dans la formation des États et le tracé des frontières au lendemain des indépendances. Cette thèse de de la formation et la construction des États semble mettre d’accord tous les panelistes. En effet, il est aisé de constater que depuis 1960, aucun Etat de la région, en premier lieu la Somalie, n’a été épargné par les conflits internes ou inter-étatiques. Ceci dit, pour le cas spécifique de la Somalie, le ministre soutient que le pays se trouve au mieux de sa situation depuis 30 ans et ce sur tous les aspects.
Les différentes initiatives de paix, notamment la conférence de réconciliation somalienne d’Arta, ont porté leurs fruits. Des plans de redressement de l’économie, de la politique et de la société existent. Désormais, la Somalie, résolument tournée vers l’avenir, a su tirer les leçons des problèmes du passé. Aujourd’hui, les acquis sont certes fragiles mais le pays a retrouvé une entière confiance et compte sur sa population et sa résilience légendaire pour surmonter les obstacles.

Aden Barre Duale, ancien leader de la majorité parlementaire au Kenya
Il parle de « théâtre de compétition » pour désigner les États de la mer Rouge traversés par une instabilité chronique et convoités par les grandes puissances mondiales ainsi que du Proche-Orient. De par son positionnement géographique, cette zone présente un intérêt stratégique majeur. Il a également recensé tous les autres problèmes qui impactent la région, autrement dit le terrorisme, la piraterie, les changements climatiques, and the last but not the least, le Covid-19.
Il est de notre devoir de réfléchir aux voies et moyens de surmonter l’instabilité par une paix durable, sans laquelle les États de la région ne pourront jamais prétendre à un développement socio-économique digne de ce nom. Le premier enjeu est une politique honnête et citoyenne au plus haut niveau de l’État. À cet égard, il a rappelé que le Kenya se prépare dans les prochains mois à deux échéances électorales : présidentielle (le président actuel ne peut plus prétendre à un autre mandat selon la Constitution) suivies de législatives. L’issue de la guerre qui prévaut en Éthiopie actuellement est aussi déterminante pour la paix de la région toute entière.

Mahmoud Ali Youssouf, ministre des Affaires étrangères de Djibouti
Le ministre considère pour sa part que les États de la région sont des « patients de longue date » et l’on s’intéresse malheureusement plus au diagnostic qu’à la source de la maladie. Il estime qu’il est nécessaire de repenser la reconstruction de base de la construction de l’État, de tirer les analyses des expertises différentes. Si le modèle institué ne fonctionne pas ou plus, autant se tourner vers la recherche des nouveaux modèles ou ressusciter d’anciens modèles. Au passage, il a tenu à féliciter le gouvernement somalien pour les efforts inlassables entrepris pour la reconstruction du pays. Enfin, il a exprimé son espoir de dépasser les obstacles existants.

Discussion
Questions
 L’impact de la résurgence des actes de terrorisme d’Al Shabaab sur les turbulences de la Corne vu leur rayon d’action de plus en plus élargi. Le rôle des Somaliens dans la guerre éthiopienne, que ce soit du côté du gouvernement d’Abiy ou du côté du TPLF. L’instabilité politico-institutionnelle de la Somalie est un fait qu’il ne faut pas réfuter par des discours édulcorés.
 Quel est le poids des interférences étrangères dans les turbulences et les fragilités de la région ? À propos de l’intégration régionale, il semblerait que les efforts de Djibouti ait produit le résultat inverse au vu de la distance pris par Villa Somalia. Le retour vers le pansomalisme d’antan est-il envisageable ?

Réponses
 Le président de la région Somalie d’Éthiopie met l’accent sur la désinformation des médias internationaux sur le conflit éthiopien. Selon lui, le conflit actuel n’est pas plus pire ou grave que les nombreuses tensions internes qui ont secoué la stabilité éthiopienne par le passé (1991, 1994, 1998, 2005, 2006, 2015, etc.).
 Le ministre Gamal déplore la mentalité négative qui conditionne le peuple somalien sur la reconstruction de leur pays et la confiance portée à son élite politique. La confiance, une attitude optimiste et une synergie d’efforts sont indispensables pour améliorer et faire avancer les choses. Il faut abandonner cette tendance à vouloir vite des résultats tangibles et globaux. Le pays se construit petit à petit, d’année en année, il se porte de mieux en mieux. En outre, les opinions différentes et les oppositions ne doivent pas occulter notre appartenance à un peuple unique et la sauvegarde des liens de fraternité qui nous incombent.
 Sur la question de la réunification plausible des Somalis sous une seule et même entité, Aden Barre trouve l’idée régressive et rappelle que les Somalis au jour d’aujourd’hui sont présents dans les instances de décision des plus grandes puissances. Il rappelle aussi le poids du nombre du peuple somali, 2e peuple de la Corne après les Oromos. Tous ces atouts sont en faveur du rayonnement du peuple somalien à condition que nous soyons prêts à abandonner notre principale faiblesse, le clanisme. Il appelle tous ses confrères à rompre avec cette idéologie rétrograde et encourage la promotion du somali comme seule identité ethnique et l’islam comme seule religion.
 Dans le même ordre d’idées, Mahamoud Ali Youssouf soutient que le retour vers l’unification des Somalis avancé par certains ne pourrait avoir lieu. Ceci dit, il maintient que les divergences d’opinions n’ont aucune incidence sur les relations fraternelles entre la Somalie et Djibouti. Ce dernier a toujours œuvré pour la paix et la reconstruction de la Somalie. « Notre assise aujourd’hui en constitue une preuve supplémentaire ».
 Enfin, Ilyas Moussa revenant sur la responsabilité des ingérences étrangères dans l’instabilité régionale, en est convaincu dans le sens où la notion de démocratie à l’occidentale ne peut se transposer à nos réalités socioéconomiques et politiques. Il est d’avis que les Somalis se réapproprient ce concept conformément à nos us et coutumes.

Session 2 : Perspectives pour une stabilité durable dans la Corne

Des médiateurs de haut niveau qui ont travaillé dans la résolution des conflits régionaux dans la corne de l’Afrique vont intervenir tour à tour dans cette session pour dégager des solutions et des perspectives pour une stabilité durable dans la région.

Mohamud Dirir, ancien ministre éthiopien et envoyé spécial de l’IGAD au Soudan
Il se réjouit de la réunion de tous les Somalis en provenance de cinq États de la région. Pour le cas particulier du Soudan, il rappelle que c’est un vaste pays composé de 400 ethnies parlant 500 dialectes et qui partage ses frontières avec sept pays. Le Soudan souffre d’une situation politique instable, il a connu sept coups d’États réussis et cinq tentatives ratées. La tradition politique est fortement dominée par la prise de pouvoir par la force.
Le paysage politique a vu l’apparition des Forces of Freedom and Change, un mouvement élargi pour libérer le gouvernement de l’emprise des militaires pour un nouveau Soudan. Ce mouvement est principalement composé de jeunes issus de la société civile qui utilisent les réseaux sociaux (Facebook, Whatsapp, etc.) pour communiquer. La signature d’une charte de transition entre les militaires et le mouvement de la société civile a eu l’effet escompté, mais pour combien de temps ?

Mohamed Bihi Yonis, ancien Deputy Joint Special Representative for Operations and Management de l’ONU et de l’UA au Darfour et ancien ministre des Affaires étrangères du Somaliland
La mission de paix conjointe des Nations unies et de l’Union africaine au Darfour (MINUAD) est la première mission hybride jamais entreprise auparavant. En dépit des moyens déployés, que ce soit la force internationale ou la médiation qatarie, aucune solution durable n’a été trouvée jusqu’à présent. Pour une raison assez simple, les roots courses, la genèse historique, les dimensions du conflit ou encore les tensions ethniques ne sont pas étudiées ou le sont insuffisamment. De ce fait, un diagnostic posé sur la surface ne peut donner lieu à des solutions pérennes.
Il affirme avec certitude que la voix des armes n’est pas la solution idoine. Le dialogue politique et les pourparlers de paix se présentent comme la meilleure alternative pour une résolution pacifique des différends. Il prend le Somaliland comme l’exemple parfait d’un État qui a opté pour le dialogue afin de résoudre tous ses problèmes. Il a conclu ses propos en regrettant la dimension affaiblie de l’IGAD dans ses attributions pour résoudre les conflits de la région. Il estime qu’il faut réhabiliter le rôle de l’IGAD en tant qu’institution régionale capable d’apporter des solutions aux maux des États membres.

Asha Haji Elmi, ancienne parlementaire somalienne et activiste de la société civile
Elle félicite Heritage Institute d’avoir accompli l’exploit de réunir des Somalis des quatre coins de la planète. Pour elle, la question cruciale est : d’où vient la Somalie et vers où se dirige-t-elle ? Elle estime que la Somalie est aujourd’hui sur la bonne voie et reconnait le rôle de Djibouti dans la restauration de la paix et de l’État en Somalie. Elle exprime aujourd’hui haut et fort sa fierté d’être une Somalienne, d’avoir un État somalien fonctionnel quoi que l’on dise et un président intègre.
Certes, beaucoup des choses restent à améliorer mais il faut penser positif, préserver les acquis et ne pas oublier que notre pays vient de loin, de très loin. Elle souligne sa liberté de circulation aujourd’hui que ce soit à l’intérieur de la Somalie mais aussi dans tous les Éats avoisinants où vivent des Somalis. Enfin, elle se félicite de la démocratie en Somaliland et signale les facteurs endogènes qui ont conduit à l’enracinement de la paix.

Ismaël Waïss Ibrahim, envoyé spécial de l’IGAD au Soudan du Sud
Il met d’emblée en exergue la richesse de nos pays et la pauvreté de nos populations. Pourquoi une telle antinomie ? En réponse, il pointe du doigt la mauvaise gouvernance des appareils politiques. En se penchant sur le cas spécifique du Soudan du Sud. C’est un pays riche, avec une diversité de peuples (64 ethnies) et de ressources naturelles (halieutiques, huile, eau, etc.), mais la population se trouve dans la précarité.
Les fragilités sont apparues deux ans à peine après la naissance du Soudan du Sud. Dans un premier temps, l’IGAD a mis en place une mission de paix en 2018 suivie d’une médiation conjointe avec d’autres pays africains. En 2018, un accord de paix est signé, les hostilités politiques semblent avoir cessé en apparence mais les tensions sont une réalité du quotidien. Il met l’accent sur la nécessité de renforcer les institutions politiques, de discipliner les militaires prompts aux coups d’État et de renforcer le pouvoir des femmes dans les prises de décisions. Autant de pistes pour abandonner cette fatalité de mauvaise gouvernance responsable de tant de maux : chômage, corruption, exil, fuite de cerveaux, etc.

Abdirahman Ismail, ancien conseiller principal et directeur général des Affaires économiques et commerciales
L’intervenant se pose la question du rôle de la communauté somalie dans la préservation de la stabilité de la Corne. En effet, il estime l’interrogation légitime au regard de l’inadéquation entre l’existence des mécanismes de règlement pacifique des différends dans le droit coutumier somali et la perpétuation des conflits internes. Le paneliste est convaincu de l’apport positif du peuple somali dans le redressement du pays. Il a pris l’exemple de la capacité entrepreneuriale des Somalis, leur capacité à contribuer dans l’économie générale (exemple des Xawalaad) et in fine dans la stabilité régionale.

Discussion
Questions
 Les coups d’État somalien et soudanais sont similaires dans le sens où le but était de faire tomber un dictateur. La Somalie a sombré, le Soudan est toujours debout, quelles en sont les raisons ?
 Quelles sont les compétences spécifiques que Djibouti a développé pour échapper aux turbulences qui secouent la Corne de l’Afrique ?
 Reconnaissance collective des efforts entrepris par le Somaliland pour sa reconstruction, pourtant aucune récompense ou reconnaissance de la communauté internationale, comment expliquer ce paradoxe ?
 Qu’en est-il de l’inclusion politique des femmes dans une société somalie patriarcale ?
 Si les Somalis ont autant des skills, comment expliquer la faiblesse de l’Etat somalien ?

Réponses
 La Somalie et le Soudan ayant un contexte historique et socioculturel différent, une comparaison ne peut être établie. Même s’il est évident que les fondements de la guerre civile qui a déchiré la Somalie trouvent des causes difficilement justifiables.
 Pour ce qui est de l’inclusion des femmes dans le cercle politique, le thème sera abordé et traité dans le panel du lendemain.
 En ce qui concerne les compétences des Somalis, celles-ci sont incontestablement avérées sur le plan individuel (il suffit de voir le rayonnement international de plusieurs personnalités somalies) mais beaucoup moins sur le plan collectif. Toutefois, il semble ces dernières années, qu’une réelle prise de conscience s’est effectuée de la part de toute la communauté somalie, à l’intérieur du pays comme à l’extérieur. Une synergie d’efforts est mise en place pour restaurer la souveraineté de l’État somalien. Il faut certainement un peu de patience pour que les efforts collectifs produisent des résultats visibles et concrets.
 Pour le cas du Somaliland, il est vrai que son destin semble suspendu mais de l’autre côté, la Somalie ne peut adopter une Constitution définitive tant que la question du Somaliland n’est pas tranchée. De part et d’autre, il faut parvenir à un compromis politique.

Mardi 14 décembre 2021
Cette seconde matinée du Forum d’idées de l’institut Heritage a débuté avec deux présentations principales. La première sur le rôle des États de la région dans le maintien de la paix et de la sécurité en Somalie. La seconde sur l’impact économique de l’instabilité régionale.

Mohamed Keynan, ancien secrétaire permanent du bureau du Premier ministre et chef d’équipe du Fonds de stabilité somalien.
Pourquoi les États de la région doivent contribuer à la sauvegarde de la paix et de la sécurité en Somalie ? Selon l’intervenant, les intérêts sont multiples car la fragilité de l’État somalien a des conséquences indéniables sur la stabilité et la sécurité des États de la région.
En premier lieu, il avance des considérations économiques et commerciales, les États limitrophes avec la Somalie ayant des interconnexions.
En second lieu, les troubles à l’intérieur de la Somalie peuvent générer des tensions politiques avec les États de la région où vivent des communautés somalies sans compter le poids des réfugiés. Le 3ème point concerne la sécurité qui est un élément important car l’instabilité politique en Somalie sert de terreau à l’émergence des nouveaux maux incontrôlables (terrorisme, la piraterie, etc.), lesquels ont des conséquences directes sur la sécurité des territoires voisins.

Ali Isse Abdi, Chair of National Economic Council (Somalie), Managing Director of HESPI Institute
Il brosse les caractéristiques des pays membres de l’IGAD qui, à l’exception du Kenya, occupent le haut du podium pour tous les indicateurs socioéconomiques (pauvreté, éducation, santé, famine, etc.). Les causes en sont la faiblesse étatique, la mauvaise gouvernance, la corruption, etc. Quels sont les changements à amorcer aujourd’hui ? De prime abord, il est nécessaire pour les États de la région de s’approprier le concept de bonne gouvernance sur le plan politique, économique et social. Le peuple somali possède un avantage certain en termes d’atout démographique puisqu’il est le deuxième en nombre d’Afrique de l’Est. En outre, l’intégration régionale doit aussi être une priorité politique de tous les États de la région pour une collaboration efficiente et payante en commençant par la paix et la sécurité.

Session 3a : Opportunités de politiques inclusives dans la Corne

Hussein Hashi Qasim, ministre de la région Somalie d’Éthiopie
Il considère que la mise en place des politiques inclusives est une légitimité au jour d’aujourd’hui. L’histoire le prouve, l’exclusion des uns et des autres n’ayant engendré que troubles et conflits. Par exemple : le fédéralisme en Éthiopie permet aux différentes ethnies de s’exprimer, d’être visibles et acteurs de la vie politique.
En Somalie, le système politique de 4.5, bien que difficilement acceptable, crée quand même une politique inclusive et participative de tous les clans. En outre, l’établissement des quotas, comme l’attribution de 30% des sièges aux femmes au Parlement et parmi les ministres, permet une politique inclusive de ces dernières. De façon plus large, les États de la région doivent mettre en place des politiques inclusives en faveur des minorités, des femmes et des opposants.

Billow Kerow,
ancien député du comté de Mandera
Le député intervient sur la représentativité des Somalis dans la politique kenyane. Le recensement de 2019 a dénombré 2,9 millions de Somalis vivant au Kenya. Une communauté importante donc et qui bénéficie d’une visibilité accrue sur la scène politique. En effet, la révision de la Constitution kenyane prévoit deux points : la prise en compte des minorités et des régions dans le milieu politique mais aussi dans les principales fonctions de l’État. Ces deux clauses ont propulsé la présence des Somalis dans les principaux partis politiques, dans les administrations régionales mais aussi dans la Cour suprême.
Néanmoins, le président kenyan, sans doute soucieux de l’omniprésence de la communauté somalie, mène une politique discriminatoire à l’égard des régions peuplées par les Somalis, en réduisant par exemple le budget de fonctionnement qui leur est alloué. Le paneliste déplore cette campagne de marginalisation contre la représentativité de la communauté somalie.

Aden Hassan Aden, conseil du président de Djibouti, auteur, ancien ministre des Affaires musulmanes, de la culture et des biens waqfs et ancien ambassadeur de Djibouti en Somalie
Il estime que l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) constitue un parapluie parfait pour des politiques inclusives des États de la région. Pour ce qui est de Djibouti, c’est un petit pays peuplé de différentes ethnies. La force de sa population réside dans sa conviction d’appartenance à une communauté de destin. D’où un vivre-ensemble dans un climat paisible et fraternel. C’est ce qui fait de Djibouti un exemple pour la région. Autre fait saillant est la représentation des femmes dans les instances politiques mais aussi dans les hauts postes de l’administration centrale. Par exemple, elles sont chefs de Cour, présidente de la Cour des comptes ou encore de la Commission nationale indépendante pour la prévention et la lutte contre la corruption.

Abdi Adam Hoosow, ancien ministre des Travaux publics de Somalie
Il se pose une question fondamentale : pourquoi la société somalie est-elle rongée de l’intérieur ? Il pointe du doigt le clanisme et le racisme comme les premiers maux qui divisent la société somalie. C’est pourquoi il estime que l’exclusion sociale et l’exclusion politique sont deux facteurs intimement liés, l’un n’allant pas sans l’autre. Une société unie, recentrée peut faire face à des adversaires. Aujourd’hui, la société somalie doit panser ses plaies intérieures et celles du passé et se tourner vers l’avenir, en commençant par le partage, notamment au sein du cercle politique. Les notions de fraternité, d’intérêt général et d’appartenance à un destin commun doivent aussi faire l’objet d’une réappropriation.

Session 3b : Le rôle des femmes dans la paix et la stabilité dans la Corne

Hibo Moumin Assoweh, ministre de la Jeunesse et de la culture de Djibouti
La ministre considère que les femmes de la Corne constituent le fer de lance et l’élément central dans la préservation de la paix et de la stabilité de la région. La paix étant le premier pilier d’un développement durable, sa recherche, son maintien et sa préservation sont des conditions sine qua none pour un vivre ensemble. La valeur de la paix est incommensurable, de telle sorte qu’on parle même aujourd’hui « d’une paix intérieure ».
En outre, l’Afrique possède aujourd’hui un atout non négligeable : sa jeunesse qui constitue plus de 60% de sa population. Avoir une jeunesse vive, éduquée, instruite, amoureuse de la paix et du développement de leur continent. Il nous revient le devoir de léguer aux générations futures la responsabilité de sauvegarder la paix.

Hanifo Mohamed Ibrahim, ministre des Femmes et des droits humains de Somalie
Elle souligne le rôle prépondérant joué par les femmes dans les différents pourparlers de paix après la guerre civile notamment dans la préparation logistique des Assises. Certaines ont même contribué à la lutte armée (exemple : Hawa Tako). La conférence de paix d’Arta est la première initiative de paix qui a accordé une place aux femmes dans la politique. C’est une forme de reconnaissance du rôle des femmes dans la stabilité régionale.
Ceci dit, les femmes, malgré leur engagement dans la paix et la formation de l’Etat, sont toujours confrontées à des obstacles et des résistances souvent d’ordre culturel. La mise en place des quotas apparait, certes, comme une avancée mais elle reste insuffisante. Aujourd’hui, les femmes ont besoin des forums d’idées pour faire avancer la cause féminine.

Umulkheyr Kassim Sheikh, membre de l’Assemblée départementale du comté de Mandera au Kenya
Cette assemblée départementale comprend 30% de femmes conformément à la Constitution. Cependant, les femmes somalies au Kenya subissent la double peine : leur condition féminine et leur citoyenneté de seconde zone. Cette marginalisation a poussé les femmes à être résilientes et solidaires. Elle a souligné la collaboration et l’entraide qui existe au quotidien entre les femmes du comté de Mandera et celles de Balad Hawo, de l’autre côté de la frontière en Somalie.

Juweiria Mohammed Ibrahim, députée en région Somalie d’Éthiopie
La députée admet que l’environnement politique est plus favorable à l’inclusion des femmes dans la sphère politique. Aujourd’hui six portefeuilles ministériels sont détenus par des femmes au lieu d’un seul auparavant. Mais cette inclusion apparente cache en réalité une persistance des préjugés puisque les ministères régaliens (affaires étrangères, intérieur, défense, etc.) ne sont jamais confiés aux femmes. Elle regrette ce plafond de verre qui oblige les femmes à fournir toujours plus d’efforts que leurs homologues masculins pour arracher des postes. Sur un autre registre, la paneliste regrette les violences et les agressions sexuelles subies par les jeunes filles et les femmes qui font d’elles les premières victimes surtout lors des conflits.

Session 4 : Perspectives académiques pour une stabilité durable dans la Corne

Faisal Roble, expert de la Corne de l’Afrique
Il considère dans un propos vif que l’Éthiopie est la source des turbulences dans la Corne et qu’elle bloque le processus d’intégration régionale. De 1977 à 2021, entre invasions et annexions et/ou tensions ethniques internes, l’Éthiopie s’est illustrée par son comportement belliqueux. Pourtant, l’Éthiopie est le seul empire africain jamais colonisé et égal aux vieux empires européens (Russie, Hongrie, etc.). Mais il est un fait historique, indéniable : la disparition naturelle des empires.
Dans un texte de 2018, il expliquait combien est impossible l’intégration régionale en une seule nation. Les conflits sont continuels dans la Corne à l’exception de Djibouti qui reçoit les réfugiés de tous ces pays. Pour lui, la formation de l’État éthiopien, minée par les questions identitaires, n’est jamais achevée. Il conteste l’irrédentisme somali mis en avant par les Occidentaux. Selon lui, l’impérialisme éthiopien nourrit les conflits de la sous-région, et comme tout impérialisme, il est voué à l’échec. Pour lutter contre cet impérialisme, il faut s’armer des valeurs communes, d’une histoire. D’un autre côté, il faut évaluer les critères de stabilité et les réalisations.

Juweiria Ali, Université de Birmingham
L’intervenante rejoint le point de vue précédent et explique que la situation politico-militaire qui prévaut en Éthiopie s’explique par deux points : d’abord son passé politique chaotique où la prise de pouvoir s’est toujours faite par les armes et ensuite les perspectives de dialogue fermé.

Hassan Sheikh Ali, de l’Université nationale somalienne
Il estime que pour parvenir à une stabilité régionale, cinq facteurs sont indispensables. Il s’agit de l’identité, de la légitimité, des services publics, de la participation politique et la redistribution des richesses. L’identité crée un sentiment d’appartenance à une destinée commune. En effet, l’homme est un animal politique et à ce titre, il a besoin d’un système politique, lequel doit être légitime. Cette légitimité doit produire des services publics et un système d’imposition. Enfin, il faut une participation politique ouverte aux individus et la distribution des richesses produites.
La question centrale est de savoir si les États de la région respectent ces conditions. La stabilité viendra une fois que ces conditions seront observées dans les appareils politiques des Etats de la Corne.

Aden Omar Abdillahi, directeur de l’institut d’études politiques et stratégiques au CERD.
L’indépendance de Djibouti a été concédée après celle de la plupart des autres États africains. La possibilité de la coexistence de plusieurs ethnies, notamment les Afars et Somalis, a été un des principaux freins à l’accession de la souveraineté nationale. Pourtant, aujourd’hui la stabilité de Djibouti apparait comme un exploit dans le cycle des turbulences qui agitent les États de la région. Cette coexistence pacifique de Djibouti peut-elle perdurer ?
Le paneliste reconnait le caractère obsessionnel de cette question et pointe du doigt le tracé des frontières coloniales comme source de conflictualité majeure. Il part de deux questionnements : quelles sont les conditions sur lesquelles repose la stabilité de Djibouti ? Et comment Djibouti pourrait-il contribuer à celle de la région ?
Il préconise une analyse introspective tout d’abord. Les différentes générations des dirigeants djiboutiens et les valeurs qu’ils portaient. Si l’objectif de la première génération était de chasser les colonialistes, les suivantes visent à pérenniser la paix entre les communautés et atteindre un développement durable. Cette stabilité est constamment menacée par les conflits continuels en Éthiopie et l’ingérence des puissances étrangères. D’un autre côté, Djibouti peut-il contribuer à la préservation de la paix et à la stabilité régionale ? Indubitablement. Djibouti sert régulièrement de lieu de rencontre pour les dialogues régionaux en matière de paix. Il organise et initie aussi des conférences de paix en faveur de la restauration de l’État somalien par exemple. De même, il œuvre aussi à la sauvegarde des bonnes relations avec les voisins car contrairement aux alliances politiques et stratégiques, la géographie ne changera point.

Mercredi 15 décembre 2021

Session 5a : Sélection des études et des recherches publiées par l’institut Heritage

Abdirazaq Muhumed, Débloquer le fédéralisme en Somalie
Le système fédéral a été adopté en Somalie après les dérives d’un État centralisé (dictature, concentration des pouvoirs, exclusion, marginalisation, etc.). De l’avis de tous, le fédéralisme apparaissait comme la meilleure alternative, via des élections plurielles.
Mais où en est-on du fédéralisme en Somalie ? En premier lieu, ce système politique ne pourra se réaliser complètement tant que le cas du Somaliland n’est pas réglé. L’entérinement de sa sécession ou de son intégration aura des conséquences sur la formation définitive de la structure de l’État. Une étape indispensable pour sceller définitivement aussi la Constitution du pays.
En second lieu, de plus en plus des tensions apparaissent entre l’État fédéral et certaines régions tiraillées par des prétentions à faire sécession (exemple du Puntland).

Zainab Hassan, Les femmes en politique : surmonter les barrières de la représentation politique
Il s’agit d’une étude en cours dont l’objectif consiste à trouver les moyens pour les femmes de contourner les obstacles dans la participation politique. Une enquête quantitative et qualitative sur 300 personnes pour leurs impressions sur le rôle des femmes en politique.
L’étude tente également d’établir une comparaison entre l’absence de la femme dans l’appareil d’État avant la guerre civile (aucune députée ni aucune ministre) et après la formation successive des États à compter de la conférence de paix d’Arta, laquelle a marqué le début de l’intégration de la femme dans le parlement.
L’enquête a mis en lumière les différentes visions de la population, selon lesquelles deux obstacles majeurs entravent l’entrée de la femme en politique. Il s’agit en premier du clan et l’identité patriarcale. Par opposition, le clan constitue un facteur important pour l’élection d’un homme mais pour la femme, la donne change et c’est sa contribution sociale qui prime. En second lieu, l’absence de sponsoring des femmes en politique constitue un frein à leur élection et donc à leur représentation.
Le poids socioculturel, la prégnance masculine et l’archaïsme des préjugés souvent infondés, entravent le rôle des femmes sur la scène politique. Pourtant, la majorité des personnes interrogées reconnaissent l’importance des femmes dans tous les domaines : économique, social et politique. Une sensibilisation continue et régulière est nécessaire pour faire évoluer les mentalités et améliorer la participation politique des femmes.

Uweis Abdullahi Ali, Le chômage des jeunes en Somalie : une menace contre la sécurité nationale et la stabilité
Une enquête élargie dans plusieurs villes de la Somalie a démontré que 80 % des jeunes entre 15 et 29 ans sont sans emploi, une plus forte proportion étant observée chez les filles. Le chômage et la pauvreté conduisent les jeunes dans la délinquance. Quels sont donc les obstacles à cette absence de perspectives d’emploi ? Selon les jeunes enquêtés, l’Etat est responsable de cette inertie et ne met pas en oeuvre des stratégies pour promouvoir l’emploi des jeunes dans l’administration publique.
Il est en de même dans le secteur privé qui déplore l’absence des mesures politiques favorisant le développement de ce secteur afin de libérer des opportunités d’emplois. La plupart des jeunes interviewés qui travaillent, occupent en réalité un emploi précaire dans le secteur informel.
L’enquête a également fait ressortir la volonté des jeunes de créer leur propre business à condition de recevoir l’aide nécessaire pour démarrer leur projet. Il s’avère urgent pour le gouvernement somalien de mettre en place des stratégies en faveur de l’emploi des jeunes, dans le secteur public comme dans le secteur privé. La jeunesse représente plus de 70% de la population, une bombe à retardement.

Session 5b : La culture somalienne, l’atténuation des conflits et la construction de l’État

Ahmed Cabdirahman Abdille, poète, expert des questions culturelles
L’homme sait faire la guerre mais il doit aussi apprendre à faire la paix. D’autant plus que les Somalis possèdent dans leurs droits coutumiers (xeer) des mécanismes de règlement pacifique des différends qui font une part belle aux compensations (diya, maag, échange des jeunes filles à marier, etc.), lesquelles servent à sceller la réconciliation des familles jadis ennemies.
La société somalie est marquée par une profonde contradiction, un héritage séculaire d’un droit coutumier qui prône la préservation de la paix et la perpétuation des conflits. Par exemple, lors des affrontements, le xeer prévoit l’exemption d’une certaine catégorie des personnes à l’instar des caaqil, des ogaas, les odaay dhaqameed, les enfants et les femmes.

Cabdalle Cismaan Ceeleeye, poète, expert des questions culturelles
Est-ce que notre droit coutumier fonctionne toujours ? A-t-il encore de la valeur ? Cette question centrale mérite une profonde réflexion. Avec des poèmes lyriques en rapport avec la paix, l’intervenant rappelle que le xeer a cadenassé le recours à la guerre comme ultime solution. Les belligérants ayant l’obligation de mettre tout en œuvre pour régler leurs différents par la voie du dialogue. Si aujourd’hui, la société somalie est autant divisée, c’est parce que le recours à la force s’est banalisé.

Ahmed Ibraahim Cali, poète, expert des questions culturelles
Le paneliste estime que la transposition dans la société somalie des systèmes politiques étrangers a une grande part de responsabilité dans l’effondrement de l’État somalien. Le peuple somali doit se réapproprier son droit coutumier ancestral et modeler l’État à son image. Il a fait un plaidoyer en faveur des odaay, les vieux sages détenteurs de sagesse, qui doivent être réhabilités dans leurs fonctions honorifiques. En effet, c’est grâce aux assisses de paix et au respect dû aux ainés que le Somaliland a su se reconstruire seul et tient debout depuis trente ans.

Compte-rendu réalisé par l’Institut d’études politiques et stratégiques (IEPS)

 
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