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L’illusion du nationalisme arabe
par Hilal Khashan, octobre 2021 (Human Village 43).
 

Les soulèvements arabes ont brièvement ressuscité l’idée du nationalisme arabe. Lors des Jeux panarabes de 2011 au Qatar, les spectateurs ont chanté l’hymne arabe non officiel, qui promeut l’idée que les Arabes ne peuvent être séparés par des frontières artificielles ou la religion, car la langue arabe les unit tous. Mais l’euphorie s’est vite dissipée et la réalité s’est imposée : malgré diverses tentatives d’unité, les nations arabes n’ont jamais réussi à agir collectivement ou à s’entendre sur des intérêts communs.

Faux départs
Le premier mouvement nationaliste arabe, la Société scientifique syrienne, a été créé à Beyrouth en 1857. Il a marqué le début d’une renaissance culturelle et intellectuelle arabe. Ne parvenant pas à attirer un large public, il s’est éteint au début de la Première Guerre mondiale. Il s’agissait d’une organisation élitiste, composée principalement de chrétiens syriens et libanais et de quelques Américains et Britanniques vivant dans la région. Le nationalisme arabe laïc attirait les chrétiens, il leur permettait d’être considérés comme des citoyens à part entière. Plus tard, la Young Arab Society est créée à Paris en réponse au coup d’État des Jeunes Turcs de 1908 contre le sultan ottoman Abdul Hamid. Elle réclame une transition démocratique, une autonomie administrative pour les Arabes et une reconnaissance de l’arabe comme langue officielle au même titre que le turc.
La politique répressive du gouverneur militaire ottoman de Syrie conduit les Jeunes Arabes à réclamer l’indépendance des provinces arabes d’Asie occidentale, ouvrant la voie à la grande révolte arabe de 1916 soutenue par la Grande-Bretagne. La Première Guerre mondiale a donné naissance aux États de l’orient arabe, tandis que les pays d’Afrique du Nord sont devenus indépendants après la Seconde Guerre mondiale. Les empires occidentaux ont créé les États arabes actuels fragiles et dépendants de l’Occident.
L’identité arabe n’est pas un marqueur ethnique. Elle est apparue sous le califat abbasside, au IXe siècle, comme une ligne de démarcation politique entre les califes arabes et leurs sujets perses. Pour être considéré comme Arabe, il suffisait de s’en réclamer et de parler arabe. Le nationalisme arabe consistait principalement en la fierté des réalisations de la communauté, notamment la diffusion de l’islam et de la langue arabe en dehors de la péninsule arabique. L’obsession des dirigeants arabes à rester au pouvoir les a empêchés de coopérer, ce qui a permis au nationalisme d’État de supplanter le panarabisme.

Populations arabophones

Le mythe du grand monde arabe
L’idée de monde arabe - de l’océan Atlantique à l’ouest, au golfe Persique à l’est et à l’océan Indien au sud - a été introduite au début du XXe siècle par Sati al-Husary, ministre irakien de l’éducation sous le règne du roi Fayçal I. À l’époque, sa vision du nationalisme arabe était principalement un attachement sentimental à la religion et à la langue. En effet, les Arabes étaient fiers de leur identité et de leur culture, mais n’étendaient pas leur sentiment d’unité aux domaines économique ou politique.
En 1920, Fayçal crée le Royaume arabe de Syrie. Quelques mois plus tard, une force française - comprenant de la cavalerie marocaine et deux bataillons algériens - a vaincu l’armée syrienne, mal équipée et peu nombreuse, lors de la bataille de Maysaloun, près de Damas, permettant de revendiquer un mandant français sur la Syrie. Cette défaite a porté un coup fatal au nationalisme arabe. Elle a empêché Damas de devenir un centre panarabe et compromis la possibilité de créer un État central capable d’influencer tous les Arabes.

Contrairement au nationalisme européen, le nationalisme arabe ne s’est pas développé à la suite d’une percée technologique comme celle qui a marqué le début de l’ère industrielle. Il n’a pas donné naissance à une communauté politique inclusive qui aurait supplanté les identités sectaires, tribales et claniques. Les dirigeants arabes, dans l’espoir de gagner une légitimité populaire, ont encouragé l’affichage public de l’orthodoxie sunnite au lieu de traiter la foi comme une affaire privée - ce qui leur a aliéné les mouvements islamiques hétérodoxes et les chrétiens. Par exemple, le vice-président égyptien Hussein el-Shafei, sous la présidence de Gamal Abdel Nasser, a tenté d’attirer les chrétiens coptes d’Égypte vers l’islam. Dans les années 1970, le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi a exhorté les chrétiens maronites libanais à embrasser l’islam pour mettre fin à la guerre civile.
La pensée nationaliste arabe a contribué à raviver le religieux. Au Soudan, par exemple, le président Jaafar Numeiri, qui était un nationaliste arabe laïque, est devenu un zélateur religieux, introduisant la charia dans tout le pays, y compris dans la région méridionale, non arabisée et non islamique.

Absence d’action collective
Cette tendance à la division et à l’intérêt personnel ont empêché toute cohésion. Le Conseil de coopération du Golfe a été créé en 1981 par six nations arabes - l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, Bahreïn, le Qatar, le Koweït et Oman - dans le but d’intégrer leurs économies et leurs capacités de défense. Mais le groupe n’a pas réussi à atteindre ses objectifs et les relations entre les États membres ont été marquées par des conflits. L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis sont toujours empêtrés dans des problèmes frontaliers. Et en 2017, trois des États membres (plus l’Égypte) ont imposé un blocus de trois ans au Qatar.
L’idée de créer une Union du Maghreb arabe - une alliance entre le Maroc, la Tunisie, l’Algérie, la Mauritanie et la Libye - est apparue en 1956 après que la Tunisie et le Maroc ont obtenu leur indépendance de la France. Mais cette idée n’a pas non plus réussi à susciter un sentiment d’unité. L’invasion par le Maroc du territoire algérien en 1963 a déclenché la guerre des sables, qui a durablement envenimé les relations entre les deux pays. Leur différend sur le Sahara occidental a encore aggravé les tensions et, le mois dernier, l’Algérie a rompu ses relations diplomatiques avec le Maroc. Les cinq pays ont tenu leur premier sommet en 1988, mais les chefs d’État ne se sont pas rencontrés depuis que l’Algérie a fermé sa frontière avec le Maroc en 1994. L’UMA a conclu trente accords multilatéraux, mais seuls cinq d’entre eux ont été ratifiés.

L’accord Sykes-Picot de 1916, qui a initié la division de certaines parties du Croissant fertile entre les mandats français et britannique, a freiné l’élan nationaliste arabe. Contrairement à l’Iran et à la Turquie, où un État central fort favorisait la cohésion et la solidarité, le nationalisme arabe ne disposait pas d’un pays engagé à faire avancer sa cause et à créer une entité panarabe. Elle n’a pas pu exister en grande partie parce que les principaux États arabes étaient accaparés par des problèmes de corruption, de despotisme, de stagnation économique et d’aventurisme militaire.
Les mouvements nationalistes arabes ont ensuite éclaté, donnant naissance à des partis politiques gauchistes et marxistes. Le Parti communiste libanais, par exemple, se coupe de l’internationalisme soviétique pour participer à la guérilla contre les troupes israéliennes au Sud-Liban. George Habache, qui a fondé le Mouvement nationaliste arabe en 1951, le rebaptise Front populaire de libération de la Palestine. Ce mouvement marxiste-léniniste a orchestré des attaques « terroristes » très médiatisées en Israël et une série de détournements d’avions dans les années 1960 et 1970.
L’ouvrage intitulé L’éveil de la nation arabe, écrit en 1905 par le chrétien maronite Naguib Azoury, prédisait un affrontement entre le nationalisme arabe et le sionisme, qui ne prendrait fin que lorsque l’un des deux mouvements aurait vaincu l’autre. La prophétie d’Azoury s’est réalisée en 1967, lorsque la guerre des Six Jours a anéanti tout espoir d’une nation panarabe, tournant les préoccupations arabes vers la récupération des territoires conquis par Israël. La défaite a permis aux minorités ethniques et religieuses de la « région arabe », qui n’avaient pour la plupart pas réussi à formuler de demandes spécifiques, de contester l’autorité de l’État et de réclamer l’autonomie. Elles se sont militarisées et ont présenté des revendications politiques importantes en Algérie, au Soudan, en Irak et au-delà.

L’identité arabe existe toujours dans un sens étroit, comme un rappel de la gloire passée et d’une culture commune. Il s’agit d’une force symbolique, qui ne dispose d’aucun mécanisme d’action collective. Ayant vécu sous une succession d’empires religieux, les Arabes n’ont pas connu les changements nécessaire pour autoriser le triomphe du nationalisme. Dans les pays arabes, la religion reste la force sociale décisive et le principal moteur de l’action collective.

Hilal Khashan , 14 octobre 2021
Article publié dans Geopolitical futures. Traduction Human Village avec l’aide de DeepL.

 
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