Les forces de police et de gendarmerie ont mis fin à deux importants affrontements entre des groupes de camionneurs, originaires de l’Amhara et du Tigré, qui se sont déroulés dans l’enceinte de la zone de stationnement des camions à chargement dangereux (pétrole, gaz liquéfié) de PK 12. Dans ce secteur éloigné des zones d’habitation, stationnent des camions qui assurent le transit avec l’Éthiopie.
Depuis plusieurs semaines, les policiers doivent régulièrement intervenir pour mettre fin à des affrontements dans les restaurants ou lieux de repos limitrophes de cette zone où stationnent des camions circulant sur le corridor. Ces derniers temps, la raison invoquée est toujours la même : la guerre civile en Éthiopie, qui transforme un échange verbal entre des camionneurs originaires des régions Amhara et Tigré en bataille rangée.
Les derniers affrontements, dimanche 18 et jeudi 22 juillet, ont pris une nouvelle dimension en opposant des centaines d’individus dans le parc de stationnement dont les accès avaient été barricadés par des camionneurs Amhara pour empêcher ceux désignés comme Tigré de quitter les lieux après qu’un camionneur a été gravement blessé de plusieurs coups de poignard. Les groupes se sont affrontés avec des armes blanches, des barres de fer et des matraques.
D’importantes forces de la police nationale et de la gendarmerie ont été envoyées sur place pour mettre un terme à ces bagarres. D’après une source bien informée, la police a interpelé un suspect de l’agression au couteau, qui sera déféré au parquet. L’arrestation des « meneurs » des affrontements ne pourra intervenir qu’au terme d’un « travail de fond » encore en cours. Il s’agit de la deuxième opération policière d’envergure, mobilisant près d’une centaine d’agents, en moins de cinq jours à PK 12. Les forces de l’ordre sont parvenus à éviter que la bagarre ne dégénère et ne cause de nouveaux blessés graves, ou des accidents avec les produits entreposés dans les camions.
Très attentifs à ces rixes qui se multiplient au niveau de PK12 – avec en arrière-plan la guerre civile en Éthiopie qui alimente rancœur et colère -, les forces de l’ordre djiboutiennes ont établit un quadrillage renforcé au niveau de ce périmètre fréquenté par des milliers de conducteurs éthiopiens de camions, qui effectuent en moyenne quatre à cinq rotations mensuelles sur le corridor Djibouti-Éthiopie. Ces violences ne sont ni structurées ni organisées, mais peuvent engendrer des bagarres généralisées sans raison précise, dans un milieu où la violence est assez courante.
Ce matin dans les colonnes de The Reporter, le journaliste éthiopien Brook Abdu s’inquiète de voir le conflit au Tigré connaitre un changement de nature. Il craint de le voir se transformer en conflit « ethnique », n’hésitant pas à envisager un possible « génocide » : « la nature changeante de la guerre au Tigré pose le risque de la voir devenir génocidaire en raison de l’implication des forces ethniquement mobilisées des gouvernements régionaux ethniquement formés pour faire face aux forces composées d’un seul groupe ethnique. Les forces de sécurité régionales qui ont reçu des formations et des armes de niveau militaire, y compris les forces spéciales du Tigré, ont été au cœur des préoccupations de sécurité du pays avant même la guerre du Tigré. Alors que les dirigeants de ces forces soutiennent qu’elles sont formées en vertu du pouvoir constitutionnel des États régionaux d’établir des forces de police, d’autres, en particulier issus de la police fédérale, affirment qu’il s’agit d’une échappatoire constitutionnelle car ces forces spéciales ne sont en aucun cas des policiers.[…] Certains commentateurs avaient également recommandé d’intégrer ces forces dans la police fédérale ou l’armée avec une réorientation rigoureuse car les doctrines avec lesquelles ces forces sont formées visent à leur faire défendre les groupes ethniques qu’elles représentent plutôt que la nation telle qu’elle est » [1].
Selon lui, les forces armées régionales mobilisées sur des bases ethniques aux côtés des forces militaires fédérales pour affronter les Forces de défense du Tigré ne contribuent pas à renforcer la cohésion nationale en Éthiopie, mais plutôt la division et la haine de l’autre [2]. Est-ce que cela explique ces violences à Djibouti entre des personnes originaires de l’Amhara et du Tigré qui partagent le même quotidien, de façon pacifique encore récemment ? Est-ce que la dimension ethnique du conflit, fortement mise en avant par le pouvoir en Éthiopie, ne cache pas des enjeux politiques, économiques et territoriaux plus profonds ? Assistons-nous en Éthiopie à une instrumentalisation ethnique d’un différend économico-politique, en particulier l’accès aux ressources du pays ? L’avenir nous le dira.
Pour l’heure, il est urgent d’œuvrer au retour au calme et d’inciter les différentes parties en Éthiopie à ouvrir un dialogue inclusif pour solutionner pacifiquement le différend politique. La voie des armes conduit irrémédiablement à une impasse.
Mahdi A.
[1] Brook Abdu, The changing nature of the Tigray war, The Reporter, 24 juillet 2021.
[2] Éthiopie : les propos du Premier ministre sur les rebelles du Tigré font réagir, RFI, 20 juillet 2021.