Human Village - information autrement
 
Le gouvernement cloue les avions militaires américains au sol
par Mahdi A., avril 2018 (Human Village 32).
 

Après le crash d’un avion militaire américain lors de son décollage de l’aéroport international de Djibouti le 3 avril vers 16h et un incident impliquant un hélicoptère CH-53 à proximité de la plage d’Arta dans la soirée [1], le gouvernement a ordonné l’interruption des activités militaires sur le sol national et cloué au sol tous les appareils américains. En conséquence, l’exercice « Alligator Dagger » est interrompu.
Selon le média d’information américain CNN, à « la demande du gouvernement djiboutien, l’armée américaine a stoppé ses opérations aériennes dans l’Est du continent africain, […] suite à deux accidents impliquant des avions militaires, ont indiqué trois responsables de la défense. […] Suite à ces incidents, le gouvernement a envoyé aux État-Unis un avis diplomatique demandant que toutes les opérations aériennes soient stoppées, ont indiqué les officiels » [2].
Le porte parole du commandement central des forces navales américaines, Bill Urban, a indiqué à CNN que « le blocage des avions pourrait affecter à la fois les opérations antiterroristes en Somalie et au Yémen ; comme les frappes de drones, et le soutien au Camp Lemonnier, selon les responsables. Deux des responsables ont déclaré à CNN que l’armée américaine et le Département d’Etat travaillaient avec le gouvernement de Djibouti pour obtenir l’approbation des vols au cas par cas afin de continuer à soutenir les opérations en Somalie depuis le Camp Lemonnier. La base américaine est un élément clé de la stratégie américaine de lutte contre le terrorisme, notamment en Somalie et au Yémen » [3].

Des inquiétudes justifiées après une série d’accidents

Les inquiétudes du gouvernement de Djiboutien sont légitimes. L’aéroport de Djibouti borde des quartiers densément habités. Un malheur a été évité de justesse il y a quelques années lors de l’écrasement d’un drone en plein quartier populaire, qui heureusement n’avait fait aucune victime. Les forces américaines sont coutumières des accidents aériens sur notre territoire, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle les autorités djiboutiennes avaient ordonné le déplacement des activités des drones à une douzaine de kilomètres de l’aéroport d’Ambouli, à Chabelley, après le crash de six drones dans et autour de l’enceinte aéroportuaire. Accidents pour lesquels « les enquêteurs de l’Armée de l’Air [américaine] avaient écarté la responsabilité de la tour de contrôle » [4].
La raison de ces crashs successifs devrait être cherchée ailleurs. Le site d’information dédié aux questions militaires, Opex360, ouvre des pistes pour expliquer ces défaillances techniques de la première puissance militaire mondiale : « le nombre de militaires américains tués dans des incidents aériens non liés à des combats a pratiquement doublé entre 2016 et 2017, passant de 19 à 37, selon les données du Pentagone. Pour autant, ce dernier se refuse à parler de “crise” au sein de l’aviation, même s’il admet qu’une telle situation n’est pas “normale”. Cela étant, le secrétaire à la Défense, James Mattis, a déjà mis en garde, à plusieurs reprises, contre la réduction des heures de vol des pilotes (hors opération extérieure), le manque d’entraînement et les problèmes d’entretien des appareils » [5].

En février 2006, comme le rapporte le New York Times, dix personnes sont mortes dans l’écrasement de deux hélicoptères militaires CH-53E américains au nord du pays, au coeur de la forêt de palétuviers de Godoria [6]. Il n’y eu que deux rescapés sur les douze membres d’équipages. Les deux hélicoptères effectuaient une mission d’entraînement au moment de l’accident.
De même en 2012, un autre accident entraina la mort de quatre militaires. « L’U-28, un avion à turbo propulseur monomoteur modifié utilisé par les forces spéciales, s’est écrasé samedi près du camp Lemonnier […]. Le Commandement des Etats Unis pour l’Afrique a déclaré que l’U-28 effectuait un “vol de routine” quand il s’est crashé à 9,6 kilomètres de l’aéroport international de Djibouti » [7].

Les forces américaines ont probablement cherché à minimiser l’incident à Arta plage
Comme nous l’avons signalé [8], l’armée américaine avait tardé à faire état de cet hélicoptère CH-53 accidenté en atterrissant à proximité de la plage d’Arta. Un porte parole de l’armée américaine avait déclaré par la suite qu’il s’agissait « de dommage structurels mineurs en attendant une évaluation plus approfondie ». Le lieu de l’accident est situé dans une zone isolée et peu fréquentée en dehors des week-ends.
Cependant les choses ne seraient pas aussi simples, puisque comme nous l’apprend une publication de CNN, en date du 5 avril 2018, « alors que l’équipage de l’hélicoptère n’était pas blessé, les responsables ont déclaré à CNN que l’US Navy enquêtait sur des informations selon lesquelles deux civils auraient été blessés par des débris provenant du lavage du rotor de l’hélicoptère » [9].
A l’aune de cette information divulguée au compte-goutte sur des personnes civiles blessées, il n’est pas impossible d’imaginer que les forces armées militaires qui cumulaient une série de déconvenues aériennes au cours de la même journée, aussi bien à Djibouti qu’en Californie, ont opté dans un premier temps pour la discrétion profitant du fait que le lieu de l’accident de l’hélicoptère était reculé. Sauf qu’il est difficile de taire un incident aérien lorsque des personnes civiles sont impactées.
Ce n’est pas tout. Le gouvernement djiboutien n’a guère goûté, selon nos informations, d’avoir vu son personnel aéroportuaire interdit - à l’exception du service de lutte contre les incendies - de s’approcher de la carcasse de l’avion gisant à proximité de la piste après le crash et la prise de possession des lieux par un contingent militaires américains, accompagné d’une équipe d’enquêteurs scientifiques de la Naval criminal investigative service (NCIS). Les débris de l’aéronef ont été déplacés, à la demande expresse du gouvernement djiboutien, qu’en tout début de la matinée d’hier, jeudi 5 avril.
L’« armée américaine est le plus gros utilisateur de l’aéroport. Il représenterait plus de la moitié des 30 000 décollages et atterrissages de l’année dernière, ont indiqué des responsables militaires » [10].

On peut supposer que le gouvernement souhaite remettre les choses à plat pour coordonner de manière plus active les exercices militaires ainsi que les sorties aériennes des forces alliées stationnées à Djibouti que par le passé. Il aura beaucoup à faire pour tenir la bride au mastodonte américain, qui a naturellement tendance à se croire un peu chez lui sur l’ensemble du territoire… A fortiori après la lecture des colonnes du quotidien américain The Washington Times, en date du mardi 3 avril, il apparaît évident que les américains ne souhaitent pas céder un mètre carré de ce qu’ils considèrent être dorénavant leur “bac à sable’’ aux forces chinoises stationnées à 11 kilomètres du Camp Lemonnier : « Soutenir davantage Guelleh ne fera que nuire aux intérêts de sécurité américains et mettre en danger la guerre contre le terrorisme. Il est peut-être temps que le président Trump et son département d’Etat envisagent de soutenir d’autres alternatives politiques dans le pays qui respecteront la primauté du droit, la liberté et la démocratie » [11].
Il semblerait que les premières salves du déroulé de la nouvelle stratégie nationale de défense dévoilée à Washington, le 19 janvier 2018, par James Mattis, secrétaire à la Défense américain, pour contrer l’influence stratégique de la Chine et de la Russie, aient été tirées par ricochet sur Djibouti...

Mahdi A. 

Summary 2018 - National Defense Strategy

[1« Série noire pour les forces américaines à Djibouti », Human Village, avril 2018.

[4« Chaos in tower, danger in skies at base in Africa », Washington Post, 30 avril 2015.

[6« 10 Die in Crash of U.S. Helicopter Off Djibouti », New York Times, 19 février 2006.

[7« US special forces killed in Djibouti plane crash », The Telegraph, 20 février 2012.

[8« Série noire », op. cit.

[9« US military grounds aircraft… », CNN, op. cit.

[10« Chaos in tower, danger in skies at base in Africa », Washington Post, 30 avril 2015.

 
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