Le président de la République a donné une interview exclusive à Jeune Afrique dans son numéro 2822 du 7 février 2015. Que peut-on en retenir ?
Cet entretien avait d’abord comme objectif d’informer une audience internationale de la prochaine décision du chef de l’État de rempiler pour un quatrième mandat, maintenant que ce qui aurait pu être une grosse épine dans le pied d’Ismaïl Omar Guelleh, le refus des élus de l’opposition de siéger au Parlement, a été enlevée. Que le président ait souhaité le faire savoir au reste du monde après avoir été tant critiqué à ce sujet n’est en rien surprenant : ne pas faire fructifier les fruits tombés de l’arbre aurait été une erreur politique.
Ainsi auréolé de cette couronne de laurier de faiseur de paix, protecteur de la concorde civile et du consensus national, IOG souhaite informer urbi et orbi [1] qu’il est aussi un bâtisseur et que sous sa conduite le pays connait une envolée économique exceptionnelle. Et, comme il n’est jamais bon de tourner le dos - ou même de donner l’impression de le faire - à l’ancienne puissance coloniale, particulièrement à la veille de l’annonce d’une candidature à la présidentielle, il déclare clairement que l’accueil des investisseurs chinois, et de tous les autres, les bras grands ouverts, est dû au désintérêt des investisseurs français et européens. Par ailleurs un petit mot aimable pour la francophonie est également toujours apprécié à Paris, plus encore depuis que François Hollande veut en faire une « petite ONU ».
On retiendra par ailleurs qu’Abdourahman Mohamed « TX » a été réhabilité. Il passe des noms d’oiseaux au statut de « sage ». En politique, impossible n’existe pas. Ainsi estampillé par le chef de l’État, il sera sans doute au moins promu ambassadeur pour le remercier d’avoir été celui qui a couru les derniers cent mètres – avec l’appui déterminant de Naguib Abdellah Kamil - et permis à la majorité et l’opposition de se réunir à nouveau en trouvant enfin un terrain d’entente pour tourner la page du boycott des élus de l’USN.
Voilà pour les ingrédients de base, il manque les épices.
La carte du Messie
Pour ceux – ils ne sont pas très nombreux - qui auraient eu encore un doute sur le fait qu’Ismaïl Omar Guelleh sera le candidat de la majorité à la prochaine présidentielle, le décor est planté. L’intervieweur, François Soudan, explique avec complaisance que, contrairement à d’autres chefs d’États africains, IOG n’a aujourd’hui nul besoin de modifier la Constitution pour se représenter. Sa décision de ne pas se présenter en 2016, annoncée l’année dernière [2], rendrait malheureux les diplomates installés à Djibouti : « Les chancelleries des pays qui possèdent des bases ou des facilités militaires (France, Etats-Unis, Japon, Européens de l’opération Atalante) sont unanimes : si IOG s’en va en 2016 c’est le saut dans l’inconnu, et rien n’effraie plus les sécurocrates que l’inconnu ».
Instiller la peur, le doute quant au supposé risque d’instabilité qui menacerait notre pays si IOG, « au pouvoir bientôt depuis seize ans, que tenaillent les envies d’un ailleurs peuplé de livres d’Histoire et de méditations sur les étoiles », décidait de se retirer de la vie politique… Bien faible argument. Le pays semble-t-il au bord de la guerre civile ou menacé par ses voisins ? Ce plaidoyer ne peut qu’être ressenti comme une insulte à l’intelligence de tous les Djiboutiens !
La suite est à l’avenant : « Nul n’émerge ni ne rassure vraiment – soit parce qu’ils ne sont pas encore arrivés à maturité, soit parce que leurs alliances potentielles avec les mouvements islamistes inquiètent » ! Quelle analyse de la situation politique du pays permet de tels jugements ? Quels éléments permettent de disqualifier d’un seul trait l’ensemble de la classe politique nationale ?
Espérons que pour l’interview du chef de l’Etat où il annoncera, qu’après le temps de la réflexion et l’appel du peuple, il accepte de rempiler « sans enthousiasme et par sens du devoir » lors de la présidentielle d’avril 2016, le niveau de l’argumentaire sera de meilleure tenue.
En effet, c’est bien l’absence de médias de grande diffusion – radio et télévision - libres et pluralistes qui rend impossible de voir une tête émerger au dessus de la mêlée politique. Pourtant « ces jeunes pleins de fougues et d’ambitions » sont bien présents et bien connus pour la plupart. Ils veulent être calife à la place du calife, quoi de plus normal ? Pour le moment ils aiguisent leurs couteaux, tapis dans l’ombre à attendre un geste, une accolade ou une bénédiction pour déployer leurs ailes. En attendant, ils se positionnent et jouent des coudes !
Mais le jour où l’opposition mettra la main sur un média de masse pour diffuser sa vision, son programme pour le pays, et qu’elle commentera la vie politique quotidiennement, l’UMP s’enlisera pour longtemps dans les sables mouvants ! Il ne faut pas s’en inquiéter, mais un jour viendra où une partie de l’opposition actuelle dirigera le pays. Cela s’appelle le jeu démocratique, il ne faut pas s’en offusquer ni en avoir peur ! C’est pourquoi les responsables de l’opposition et leurs sympathisants devraient être plus respectés, leurs droits mieux défendus, la démocratie plus active. Sinon il y a un risque : qu’une fois arrivés au pouvoir, ils puissent être dominés par un esprit revanchard et verrouiller le système à leur tour… Personne ne souhaite que le gouvernement se détourne de ses objectifs démocratiques et de sa quête d’une vie meilleure pour ses habitants, pour se lancer dans une chasse aux sorcières : c’est le pays qui prendrait l’eau !
Ce que je crois
Au niveau national, le premier tambour de la candidature d’IOG a été battu par la caravane de l’association Génération du concrêt. Ses membres ont sillonné tout le pays pour injecter une petite piqure de rappel, valoriser les réalisations et les avancées du pays durant les trois mandats d’IOG. La seconde étape a été la tournée des annexes du RPP, qui se poursuit pour préparer les esprits pour l’appel de la nation…
Le troisième moment a été ouvert par cet entretien dans Jeune Afrique. La demande d’une visite à Djibouti d’une personnalité du gouvernement français, aussitôt accordée [3], permet de mettre en évidence la stature internationale d’Ismaïl Omar Guelleh, et légitime à l’avance la demande insistante que lui fera le peuple de se placer sur les starting blocks aux prochaines présidentielles. Le ministre de la Défense français, Le Drian dont les troupes sont engagées dans de nombreux théâtres d’opération sur le continent africain et le Proche-Orient voisin, trouvera les mots pour expliquer au président de la République française - son ami Hollande - tout l’intérêt de disposer d’un allié stratégique et fiable encore cinq années supplémentaires.
Le quatrième temps, le plus important du dispositif, sera la grande messe du 4 mars 2015. On célèbrera alors le 36e anniversaires de la création du RPP. A l’inverse des printemps arabes, qui se sont mobilisés pour « dégager » des gouvernements, ici à Djibouti il est prévu que les adhérents du RPP réclament avec force au président Guelleh de rester au pouvoir encore un peu. Ils devraient le lui faire comprendre à l’unisson et la main sur le cœur, si possible avec une larme à l’œil. Même si pour cela il doit concourir à la présidentielle « sans enthousiasme et par sens du devoir ». Le scénario n’est pas original, il manque de subtilité, mais il peut être efficace ! On pourrait seulement s’interroger sur l’intérêt pour le pays d’avoir à sa tête un homme qui souhaiterait occuper le fauteuil sans envie aucune, mais par devoir et faute de mieux…
Monsieur le président, si vous souhaitez vous représenter, dites-le avec cœur, sans fausse pudeur. Assumez votre envie de rester au pouvoir, plutôt que de laisser penser que vous y allez en reculant, par dépit ! Pour être candidat il faut être porteur d’un projet pour la société, il faut faire rêver ! Les électeurs souhaitent un candidat enthousiaste, motivé et qui veut décrocher le job à tout prix et non un honorable notable qui rempile par devoir…
« Qu’on le veuille ou non Ismaïl Omar Guelleh a fait exister sur la carte ce qui était avant lui une sorte de rocher d’une ville comptoir, escale de marins et champ de manœuvre pour légionnaires. Vue du large, Djibouti est aujourd’hui un port moderne et un hub régional en devenir, capitale d’un pays où le PIB par tête d’habitant est le plus élevé d’Afrique de l’Est ».
Enfin, François Soudan dit des choses qui ont du sens. Les points forts du bilan d’Ismaïl Omar Guelleh sont, incontestablement, l’importance du rayonnement international de Djibouti, son rôle moteur au sein de l’IGAD, son action pour la paix en Somalie, une croissance économique exceptionnelle, la réussite de la stratégie du développement raccrochée à la locomotive éthiopienne et le partenariat économique avec la Chine, l’endiguement des actes terroristes, la marche vers l’abandon des énergies fossiles, l’arrivée sous peu d’une énergie abondante et à bas prix, la fin prochaine des crises hydriques et la mise en œuvre de projets économiques extraordinaires.
Indéniablement, avec sa stratégie de faire de Djibouti le grand hub de l’Afrique de l’Est, IOG a conforté comme personne avant lui l’indépendance et le développement du pays et ouvert des perspectives optimistes pour l’avenir.
François Soudan aurait mieux fait de dire franchement qu’IOG veut rester au pouvoir car il estime qu’il est le plus indiqué, mais plus encore parce qu’il a soif de corriger ses insuccès : l’emploi, l’éducation, la formation professionnelle, la santé, la justice, le logement, la lutte contre la corruption, la libéralisation de la presse et des médias de masse, le développement de la démocratie, et enfin qu’il souhaite consolider encore bien plus les institutions nationales durant ce qui sera possiblement son dernier mandat.
Pour finir, on retiendra que Jeune Afrique reste un investissement toujours aussi rentable. Il confirme son statut de meilleur canal de transmission d’un message politique à la capitale française. Dès la parution de l’interview, Jean-Yves Le Drian a annoncé sa venue en avril à Djibouti, si l’agenda du chef de l’État le permet…
Cela me laisse songeur. Je m’interroge sur l’utilité de notre service diplomatique. Peut-être pourrions-nous réduire les coûts de fonctionnement de notre représentation à Paris, mettre au clou notre belle bâtisse de la rue des Belles Feuilles, restreindre notre présence diplomatique au seul service consulaire et s’en remettre dorénavant et exclusivement au magazine parisien Jeune Afrique pour communiquer de manière officielle avec l’Élysée et le Quai d’Orsay ?
Mahdi A.
[1] La ville et le monde.
[2] Jeune Afrique n° 2776, 23 mars 2014.
[3] Le ministre français de la défense, Jean-Yves le Drian, mentionné dans l’entretien, a annoncé rapidement qu’il allait se rendre à Djibouti : voir le site de Jeune Afrique.
Merçi pour votre très bonne analyse. Vous illuminez un peu plus chaque jour, par la pertinence de votre plume, Mon Cher Mahdi, notre intêret pour la vie politique de notre beau pays.
Thx
subtil, intelligent, et tres objectif
bravo mr Mahdi, beaucoup de nos journalistes devrait s’ont en inspirer. Vous avez reussi à analyser ,avec une rigueur journalistique de plus en plus rare, de l’interview du president de la republique
chapeau
Comme a ton habitude tu as su nous informer de manière non partisane et objective sur un (des) sujet(s) d’intérêt national crutial. Un citoyen mieux informé egale un vote mieux considéré. Il y a un proverbe qui dit :
« Le doute détruit beaucoup plus de rêves que l’échec »
En tout cas merci Mahdi et bonne continuation.
Ali Ahmed Aouled
Bravo pour une plume avec autant d eclaircissement
Très bon article d’analyse Mahdi. La presse écrite publique devrait faire ce genre de travail. Dommage, elle se contente de séminaire et d’atelier et de compte-rendu officiel.