Human Village - information autrement
 
Intervention de la police à Addis Standard
mai 2025 (Human Village 54).
 

Nous reproduisons un éditorial du journal éthiopien Addis Standard [1].

Portant une atteinte importante à la liberté de la presse et à la confidentialité des sources, la police de la capitale (Addis-Abeba) a récemment effectué une perquisition des bureaux d’Addis Standard, une publication qui « n’est pas un journal à scandale irresponsable, mais une publication objective », pour reprendre les termes de l’ancien secrétaire d’État adjoint américain aux Affaires africaines, Tibor Nagy.

La police a confisqué de nombreux appareils électroniques, notamment des ordinateurs portables, des téléphones mobiles, des disques durs externes et des clés USB, sous prétexte d’enquêter sur un documentaire inexistant qui aurait pour but « d’inciter à la violence ». Cette justification a été catégoriquement rejetée par la publication et n’est étayée par aucune procédure devant les tribunaux. Il s’agit bien d’une tentative d’accéder aux informations confidentielles du journal.
Le Committee to Protect Journalists [2] (CPJ) a exprimé à juste titre « sa profonde inquiétude quant à l’utilisation abusive potentielle de données sensibles » et a exhorté les autorités à restituer les objets confisqués et à mettre fin à cette enquête sans fondement. « Les perquisitions menées contre The Addis Standard sont les dernières mesures prises par le gouvernement éthiopien dans le cadre de sa campagne visant à réduire au silence les médias indépendants. La confiscation du matériel de ce média soulève de graves inquiétudes quant à l’utilisation abusive potentielle de données sensibles », a-t-il déclaré [3].

Ce qui rend cet incident particulièrement alarmant, ce n’est pas seulement l’atteinte à la liberté de la presse, c’est la violation sans précédent de la confidentialité des données et de la sécurité numérique. Lors d’une évaluation postérieure à la perquisition, notre équipe informatique a découvert la présence de logiciels malveillants sophistiqués installés sur les appareils restitués. Ces outils permettaient un suivi en temps réel, l’accès non autorisé à des communications privées, le clonage de fichiers sensibles et même l’activation à distance de microphones et de caméras. Il ne s’agit pas d’un simple abus, mais d’un sabotage numérique systématique par les services de sécurité de l’État. La police ne s’est pas contentée de saisir du matériel ; elle a compromis la sécurité du personnel, de ses sources et la confiance du public dans les communications numériques, ce qui a conduit le journal à mettre hors service les ressources numériques compromises.

Tout aussi inquiétante est l’audace avec laquelle la police a admis qu’elle « conserverait les données de sauvegarde » des appareils saisis. Cette copie des données équivaut à un vol, approuvé par l’État, de propriété intellectuelle, de correspondance confidentielle et, potentiellement, d’identités de sources, ce qui représente un danger bien au-delà de ce journal. Elle prévient les journalistes, acteurs de la société civile et citoyens ordinaires que leurs données privées pourraient être extraites, copiées et utilisées à des fins malveillantes sans procédure régulière. Les implications sont vastes : tous les Éthiopiens qui utilisent un téléphone ou un ordinateur portable sont désormais exposés à la perspective d’être surveillés sous le prétexte d’une « enquête en cours ».

Malgré la gravité de ces violations, aucune accusation officielle n’a été portée contre notre journal, et le ministère de la Justice et le Service de communication du gouvernement, sollicités par le CPJ, n’ont fait preuve d’aucune transparence. Le silence de ces instances, associé à l’opacité de la conduite de la police, renforce un climat inquiétant d’impunité. Dans tout État qui fonctionne, de telles intrusions généralisées déclencheraient des contrôles institutionnels rigoureux. L’Éthiopie ne doit pas faire exception.
Ce qui est arrivé à notre journal ne doit donc pas être considéré comme un incident isolé : il s’agit d’un test pour l’avenir des droits numériques et de la confidentialité des données en Éthiopie, et pas seulement pour la liberté de la presse, qui est déjà mise à rude épreuve.
Nous appelons donc l’Autorité éthiopienne des médias à enquêter de toute urgence sur la légalité et le bien-fondé des actions de la police, conformément à la loi sur les médias du pays. La Commission éthiopienne des droits de l’homme doit également ouvrir une enquête indépendante et préciser les responsables de ces graves violations. La violation des données, la répression des médias et la menace qui pèse sur la confidentialité des sources créent un dangereux précédent que l’Éthiopie n’a jamais connu auparavant.

Ce qui est arrivé à notre journal ne doit pas être considéré comme un incident isolé : il s’agit d’un test pour l’avenir des droits numériques et de la confidentialité des données en Éthiopie, et pas seulement pour la liberté de la presse qui est déjà mise à rude épreuve. Si ces violations restent impunies, les conséquences se feront sentir bien au-delà de notre salle de rédaction. Elles porteront atteinte au droit du public à l’information, mettront en danger la sécurité des lanceurs d’alerte et compromettront l’ambition de l’Éthiopie à devenir une puissance économique numérique. Après tout, comment un pays peut-il prétendre de manière crédible vouloir bâtir une économie fondée sur la connaissance et l’innovation tout en autorisant le clonage arbitraire de données sanctionné par la police ?
Cette contradiction place le projet de l’Éthiopie en matière d’économie numérique à un tournant décisif. L’une des voies mène à un autoritarisme numérique où la violation des données remplace leur protection et où le contrôle policier remplace la transparence de l’État. L’autre mène à un État respectueux des droits, où non seulement la liberté de la presse, mais aussi les lois sur la confidentialité des données, tant convoitées à l’échelle mondiale, constituent le fondement d’un pays qui aspire à faire de l’économie numérique l’un des piliers de sa « prospérité économique ».

Le gouvernement doit choisir la seconde voie. Ce choix commence par condamner le raid illégal contre notre publication, garantir que les responsables rendent pleinement compte de leurs actes et réaffirmer les engagements constitutionnels et internationaux en faveur de la protection de la liberté de la presse et de la vie privée numérique de tous les Éthiopiens.

 La rédaction de Addis Standard


 
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