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En aparté avec… Christophe Guilhou
par Mohamed Ahmed Saleh, juillet 2019 (Human Village 36).
 

Christophe Guilhou, ambassadeur de France à Djibouti, a animé une conférence sur le rôle et la place de la France dans la région à l’Université de Djibouti. L’occasion nous a semblé bonne pour revenir avec lui sur les relations entre la République de Djibouti et la France, dans un contexte de dynamiques régionales en plein bouleversement. Entretien à bâtons rompus…

Monsieur l’ambassadeur vous avez animé une conférence sur la place de la France à Djibouti. Quelle est donc la place réelle de la France à Djibouti dans le contexte des rivalités et des dynamiques pour le moins concurrentielles entre les puissances en présence dans la région ?

Christophe Guilhou : J’ai effectivement prononcé une conférence à l’invitation de l’Université de Djibouti sur le thème de « la place de la France dans la Corne de l’Afrique ». Il s’agissait d’expliquer comment se positionne la France dans les lignes de fractures et de tensions qui agitent la mer Rouge et la Corne de l’Afrique. Bien entendu, dans cette région, la relation entre nos deux pays, est une relation fraternelle voire exceptionnelle compte tenu des prérogatives que nous avons pour la défense et la sécurité de Djibouti. Le traité de défense nous confie un certain nombre de responsabilités pour la protection du territoire et la souveraineté de Djibouti. J’ai donc voulu expliquer que cette dimension historique nécessite aujourd’hui d’être précisée. Nous avons à Djibouti une présence militaire importante et qui s’explique à la fois par la dimension stratégique du couloir maritime, le Bab el-Mandeb, et bien entendu par tout ce qui se passe dans la Corne de l’Afrique. C’est cette double dimension que j’ai voulu présenter aux étudiants en insistant également sur des domaines stratégiques comme l’éducation, l’enseignement supérieur ou le développement urbain. Nous mettons en œuvre des projets qui contribuent au développement de Djibouti sans endettement. En matière économique, nous avons créé le groupe d’affaires France-Djibouti chargé de faire la promotion de Djibouti auprès des investisseurs français et également de favoriser les affaires pour les Djiboutiens vers la France. Ce sont les trois dimensions que j’ai expliquées aux jeunes étudiants. J’ai surtout insisté sur le fait que, pour la France, Djibouti, de par son positionnement géographique, a une dimension exceptionnelle.

L’on pourrait tout de même constater que le rôle de la France s’est amoindri, la présence française est en recul surtout dans le domaine économique. Si du point de vue militaire et sécuritaire, la France joue un rôle important, on peut tout de même regretter que sur le plan économique, d’autres acteurs soient venus et aient pris les premiers rôles…
CG : Les opérateurs économiques français sont établis ici, pour certains, depuis de très longues années, voire plusieurs générations. Des entreprises de dimension mondiale sont également présentes ici. Ces deux composantes sont réunies au sein du groupe d’affaires France-Djibouti (GAFD). La première réponse face à la concurrence, c’est d’abord de se regrouper et d’étudier dans quelle mesure nous allons pouvoir continuer à faire des affaires, et c’est une vraie question. De nombreux entrepreneurs sont inquiets face à la concurrence. Les opérateurs économiques se regroupent, s’organisent et nous maintenons un dialogue constant avec les autorités djiboutiennes pour qu’elles comprennent mieux les obstacles auxquels ces entreprises font face dans le développement de leurs affaires. Le GAFD a reçu régulièrement, et c’est une première, des ministres et de hauts responsables djiboutiens (justice, économie, commerce, affaires étrangères, gouverneur de la Banque centrale de Djibouti, président de la Chambre de Commerce de Djibouti) pour dialoguer et leur présenter les facteurs qui les rendent vulnérables face à l’arrivée de nouveaux concurrents.

Vous évoquez le cas des entreprises françaises qui sont présentes, mais est-ce que, plus globalement, il n’y a pas un manque de confiance dans l’avenir de Djibouti ? Est-ce que les grandes entreprises françaises n’ont pas quelques doutes sur les perspectives économiques de Djibouti qui ne leur semblent pas si reluisantes que cela, ou bien par rapport à la petite taille du marché djiboutien ? Est-ce qu’il n’y a pas un problème plus global de confiance ?
CG : Régulièrement, on voit paraitre dans la presse internationale, des articles sur l’endettement du pays. Lorsque vous êtes un responsable qui ne vit pas à Djibouti et que vous ouvrez les journaux ou parcourez les réseaux sociaux, vous découvrez des articles qui font état du fait que Djibouti serait devenu une province étrangère. Cela peut décourager de nombreux investisseurs. C’est aux autorités djiboutiennes de faire preuve de pédagogie et de rétablir la vérité. Le second point de fragilisation concerne la vague d’instabilité dans la Corne de l’Afrique, en Éthiopie, en Somalie, et en Érythrée notamment. De nombreuses questions se posent. Les investisseurs pensent ainsi : « on ne va peut-être pas investir tout de suite à Djibouti, on va plutôt temporiser et évaluer la situation dans les ports de la région ». Le litige entre l’état djiboutien et Dubai Port World n’aide pas non plus. Djibouti est un pays souverain qui doit rétablir la vérité sur l’importance des investissements étranger pour son développement et doit mettre en avant ses avantages comparatifs et sa compétitivité par rapport au reste des ports de la région.

Le GAFD ne pourrait-il pas prendre le leadership et lancer cette indispensable campagne médiatique pour tordre le cou à ces rumeurs et ces histoires sans fondements qui inondent une certaine presse peu regardante sur la réalité et les réseaux sociaux ?
CG : Le GAFD, poursuit un but précis : le développement des affaires entre la France et Djibouti. Il peut et doit y contribuer à travers ses rencontres et ses échanges permanents avec les autorités djiboutiennes. J’en suis le président d’honneur. Djibouti a un fort potentiel, les ports de Djibouti sont très en avance sur tous les autres ports de la région. Nous sommes tout de même dans une situation de concurrence internationale et les Djiboutiens ne doivent pas se reposer sur leur avance même si elle reste indéniable et qu’il y a de vrais atouts.

Lors de sa visite à Djibouti, le président français, Emmanuel Macron, a saisi cette occasion pour aborder de nombreux sujets centraux, dont le volet de la coopération économique et les relations d’affaires avec les entreprises françaises implantées à Djibouti…
CG : En effet, le président français, Emmanuel Macron, a rappelé l’ambition de la France à Djibouti. Nous voulons tout faire pour concourir à un développement harmonieux et inclusif du pays, dans lequel le progrès socioéconomique profite à l’ensemble de la population. L’action de l’ambassade, dans ses différentes composantes, y participe. La fonction du GAFD est aussi de faire en sorte que les opportunités de Djibouti soient mieux connues par les investisseurs français et qu’ils puissent tirer davantage partie des opportunités d’affaires à Djibouti. Les Djiboutiens ont des liens très forts avec la France, puisque des milliers de Djiboutiens ont fait leurs études ou vécu en France et restent liés à la France. J’aimerais ajouter, que le président Macron était accompagné lors de sa visite du Conseil présidentiel pour l’Afrique (CPA), dont les neuf membres sont venus à Djibouti et ont rencontré les forces vives du pays. Cette rencontre s’inscrivait dans le droit fil des orientations qui avaient été définies par Emmanuel Macron à Ouagadougou. La force du continent africain réside dans son dynamisme. Le CPA s’est donc entretenu avec les entrepreneurs dans le domaine des nouvelles technologies, de la formation et de la culture entre autres. À la lumière de ces échanges, le CPA évaluera de quelle manière il pourra accompagner et encourager le dynamisme de ces jeunes pour accompagner leur insertion dans le tissu économique local, au service du développement du pays. Néanmoins, je ne vous cache pas que faire des affaires à Djibouti devient difficile. C’est le message qu’a voulu faire passer très officiellement le président Macron lors de sa conférence de presse conjointe avec le président Ismail Omar Guelleh. Il a expliqué que la France était tout à fait disposée à accompagner l’essor économique djiboutien, mais que des difficultés et des obstacles persistaient concernant les investissements français à Djibouti. Les entrepreneurs font face à des coûts de production élevés. La loi sur les nationalisations des investissements dans les secteurs stratégiques peut décourager beaucoup d’investisseurs. Ils craignent qu’un jour ou l’autre leurs investissements puissent être nationalisés. Il est donc important pour Djibouti de les rassurer sur ce point central. Le président Emmanuel Macron a également profité de l’occasion pour faire un point avec le président Ismail Omar Guelleh et recueillir ses analyses au sujet de la situation dans la région. La Corne de l’Afrique est une région en profond changement.

La France a toujours été le premier défenseur de Djibouti et son premier partenaire économique. Alors pourquoi ne pas prendre les devants et battre en brèche cette cabale médiatique et ces calomnies orchestrées depuis l’extérieur comme elle le fait pour défendre son intégrité territoriale ? Ne pourrait-on pas envisager que la France reprenne la main et le leadership devant la Chine à Djibouti ?
CG : Nous ne demandons que cela. Le président Emmanuel Macron est venu avec quatre ministres à Djibouti. Il a clairement fait passer le message que la France voulait contribuer davantage au développement de Djibouti. Quel est le lycée de référence à Djibouti ? Le lycée français de Djibouti dans lequel des millions d’euros sont investis pour les Djiboutiens. Quel est le seul institut culturel à Djibouti ? L’institut français de Djibouti. Je pourrais multiplier les exemples. Nous sommes là, nous voulons contribuer au développement, nous sommes prêts à en faire davantage.

Les dynamiques régionales, et surtout Djibouti dans cet échiquier, ont été un autre sujet de la visite du président français. Que pouvez-vous nous en dire ?
CG : En effet, suite à sa visite à Djibouti, le président français a été reçu par le Premier ministre Abiy Ahmed avec qui il a abordé les questions régionales. Nul besoin de rappeler que ce sont les échanges importants et le commerce transfrontalier avec l’Éthiopie qui sont les moteurs de l’économie djiboutienne puisque votre pays est la seule porte d’entrée et de sortie d’une économie éthiopienne en plein essor. Il est donc indispensable que les affaires puissent se développer de façon harmonieuse entre Djibouti et l’Éthiopie. Face à la perspective de l’ouverture de nouveaux corridors et de nouveaux ports dans la région, Djibouti doit continuer à maintenir son avance. La concurrence est bonne en soi et l’on peut comprendre que l’Éthiopie ait besoin de diversifier ses débouchés. En même temps, il est important que Djibouti conserve ses avantages.

Le Conseil de sécurité des Nations-unies a adopté une résolution sur la levée des sanctions qui pèsent sur l’Érythrée avec qui les relations ne sont pas encore totalement normalisées. Quelles en sont les implications et les conséquences aussi bien pour Djibouti que pour son allié français ?
CG : La France et Djibouti entretiennent des relations fraternelles qui vont bien au-delà de la présence militaire et du traité de coopération en matière de défense. La France s’est engagée à défendre Djibouti et à assurer sa sécurité. C’est pourquoi nous sommes les premiers intéressés par la sécurité de Djibouti. Nous souhaitons donc, comme les autorités djiboutiennes, un règlement définitif de la question du tracé de la frontière entre Djibouti et l’Érythrée. Lorsque la question du renouvellement des sanctions au Conseil de sécurité des Nations-unies s’est posée au mois de novembre 2018, face à la pression de la majorité des pays du Conseil de sécurité, souhaitant une levée inconditionnelle des sanctions visant l’Érythrée, la France a rappelé que ces sanctions pouvaient être levées mais qu’il fallait que les deux pays poursuivent leurs discussions. La question du sort des prisonniers de guerre djiboutiens retenus ou disparus en Érythrée, et le soutien au FRUD sont également des points de discussion. C’est ainsi qu’au Conseil de sécurité, la France a plaidé pour qu’une clause de rendez-vous soit intégrée sur ces trois points. Je vous rappelle que la première clause de rendez-vous a été mise en œuvre au mois de février 2019. Nous souhaitons évidemment une normalisation rapide des relations entre la République de Djibouti et l’Érythrée.

Votre mot de la fin
CG : La France consacre des moyens considérables pour le développement de Djibouti. L’Agence française de développement (AFD) a fait de Djibouti l’un de ses seize pays prioritaires dans le monde. L’AFD a ainsi consacré plus de 100 millions d’euros à Djibouti pour des projets de développement au cours de ces dix dernières années. La présence de la France à Djibouti, qu’elle soit militaire, diplomatique, éducative, à travers les pensions versées aux anciens combattants et aux veuves, mais également toutes les dépenses des Français qui vivent à Djibouti représentent environ 120 millions d’euros chaque année. Cela est considérable. Tout cet argent est injecté dans le circuit économique djiboutien. C’est bien la preuve de l’immense attachement et de la très profonde relation qui nous lie à Djibouti et aux Djiboutiens. J’aimerais enfin rappeler que la France est là depuis plus de 150 ans et qu’elle entend continuer à développer ses relations avec la République de Djibouti. Relations humaines, militaires, administratives, sociales et économiques. Nous sommes très heureux de pouvoir contribuer au développement du pays. Nous sommes très heureux également d’accueillir un nombre important d’étudiants djiboutiens et nous sommes fiers de pouvoir contribuer à la formation des jeunes Djiboutiens qui viennent étudier dans nos universités. Nous continuerons à le faire à l’avenir car nous sommes deux peuples amis et frères. Je vous remercie.

Propos recueillis par Mohamed Ahmed Saleh

 
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