Dégoûtés, ulcérés, humiliés, horrifiés : les qualificatifs ne manquent pour décrire les sentiments qui dominaient après la prestation télévisuelle tant attendue du directeur général de l’EDD. Cela fait plus de 30 ans que je ne regarde pas la RTD, mais il parait que le spectacle valait le coup d’œil : un vrai cirque, façon clownerie sérieuse, prétentieuse. Comme quoi les téléspectateurs en ont eu pour leur argent, façon de parler. Les huées sont donc à la mesure de cette pitrerie officiellement méprisante.
Telle est effectivement la désagréable sensation qui y a succédé chez nos concitoyens, à croire qu’ils s’attendaient vraiment à un miracle : celle d’être pris pour des imbéciles et il se trouve que l’on n’aime pas entendre la vérité nue. Et pourtant, il n’y a que ça de vrai, au moins pour aller de l’avant en tirant des leçons de ce qui se passe.
Mais un constat doit d’ores et déjà être tiré : ce mouvement social contre la cherté de l’électricité mobilise à tel point, est si massivement soutenu, qu’il fait peur au régime car c’est une première depuis 1977. Jamais une revendication n’a été aussi populaire, n’a fédéré tant de citoyens, démantelant tant de barbelés claniques, brisant tant de barrières partisanes, décloisonnant tant d’espaces régionaux. Toutefois, c’est à sa seule crédulité que le téléspectateur doit en vouloir, c’est lui-même qu’il doit remettre en cause car le DG de l’EDD n’est qu’un renne (parmi tant d’autres, à ne pas confondre avec La Reine tenant les rênes) tirant le traineau du Tyran, que d’aucuns espéraient (espèrent encore ?) Père Noël, Baba Noël auquel l’on adresse la liste des cadeaux que l’on souhaite avoir et qui les distribue gratuitement, abondamment et généreusement. Demandez à son gendre venu de l’autre côté de l’Afrique de l’Ouest.
C’est à peu près à cela que correspond le fait de s’adresser au chef de l’État, de lui transmettre une lettre ouverte ou des doléances médiatisées : c’est le prendre pour le Père Noël et même plus : Pharaon, monarque de droit divin, bref une quasi-divinité ayant droit de vie ou de mort sur ses sujets, son bétail humain. Quand on est à ce point méprisable de soumission et d’adoration, faut pas s’étonner d’être à ce point méprisé, à s’entendre asséner avec une assurance si éhontée que même le chef de l’État et lui payent eux-mêmes leurs factures d’électricité. La connerie est insondable, pour qui ne le saurait pas encore. Pardon, abrégeons les souffrances.
Mea culpa : dans l’opposition, nous devons reconnaître et assumer notre responsabilité dans la crédibilisation de ce mensonge collectif collectivement entretenu qui est celui de faire croire qu’il existe un espace politique avec une relation de confiance entre mandants et mandataires, entre électeurs et élus. Bref entretenir un mensonge selon lequel il existe un Citoyen djiboutien, une Citoyenne djiboutienne, s’exprimant librement et dont les choix souverains s’imposent à toute la classe politique, qu’elle soit au pouvoir ou voulant accéder au pouvoir.
Nous, opposants donc, sommes coupables d’avoir construit et renforcé le mythe d’une démocratie djiboutienne, qui vient si lamentablement de voler en éclats avec le bide télévisuel d’hier. Électrocution générale, si l’on ose dire. D’une part en reconduisant, à chaque scrutin, l’illusion qu’un changement pacifique est possible par la voie des urnes, avec les voix des électeurs respectées par un régime qui n’est jamais arrivé au pouvoir par le vote populaire. Mais, plus gravement, d’autre part, en prétendant que l’électeur était possible et existe préalablement au citoyen, indépendamment du citoyen.
L’homme politique est un joueur impliqué dans un jeu politique au sein duquel il tient un rôle, qu’il ne peut conserver qu’en entretenant l’illusion, qu’en dernière instance, c’est l’électeur qui impose les règles du jeu et qui choisit le gagnant, qui l’oblige à rester dans le jeu.
Pour dire une vérité aussi crue de façon aussi crue, il faut n’avoir rien à perdre ou à gagner : il y a une complicité organique entre régime et opposition à faire croire qu’il existe une vie démocratique sans l’essence de toute démocratie : le débat public sanctionné par le verdict populaire dûment exprimé et respecté.
Alors, qu’il soit permis de donner deux conseils, l’un à une opposition pressée et l’autre à ce salutaire mouvement contre la cherté de l’électricité.
1) Que l’opposition politique ne cherche aucunement à récupérer cette contestation car il en va de sa crédibilité et de sa mobilisation : prétendre faire de la politique dans les conditions actuelles, c’est mettre l’âne avant la charrette, car il est illusoire d’attendre que des gens qui ne se mobilisent pas pour une revendication qui les concerne tous sans distinction aucune, s’investissent dans un combat partisan pour changer de régime politique, combat pour le moment à relent fortement clanique, considérant la nature de ce régime.
C’est une fois que le citoyen se sera imposé dans la défense de ses intérêts de citoyen (dans le cadre d’une société civile protégeant les consommateurs, les parents d’élèves, les usagers, etc.) qu’il pourra se faire respecter en tant qu’électeur autorisé à librement et souverainement choisir ses représentants.
2) Que ce mouvement citoyen contre la cherté de l’électricité, quant à lui, ne commette pas la même erreur que toute l’opposition politique depuis si longtemps : ce régime ne « négocie » qu’en situation de force, pour mieux décrédibiliser et anéantir son adversaire. Le seul langage qu’il connaisse, c’est celui de la confrontation dans la vie réelle, le virtuel, il s’en fout, tant que ce dernier ne déborde pas sur le réel concret.
Un tel mépris exige une réaction de dignité citoyenne, que le régime craint plus que tout et qu’il cherche à empêcher d’advenir en décrédibilisant la légitimité de celles et ceux qui l’incarnent. Alors, n’attendez aucun cadeau, ne vous attendez à aucune faiblesse, attendez-vous à subir les coupures d’électricité et à bien d’autres représailles.
Mais soyez assurés :
1) Que cette contestation populaire fait extrêmement peur au régime qui, pour le moment et fidèle à sa nature, joue à la provocation méprisante : c’est un colosse aux pieds d’argile sur le point de tomber, mais qui résiste par la fanfaronnade, car conscient qu’une victoire populaire sur le sujet de l’électricité signifiera d’autres combats victorieux sur d’autres terrains tout aussi vitaux ;
2) Qu’il est vain d’espérer un quelconque miracle lors de l’élection présidentielle de l’année prochaine, car un citoyen vaincu dans ce combat pour une électricité moins chère, c’est un électeur volé lors du scrutin à venir, encore une fois.
Chacun doit assumer les responsabilités qui sont les siennes : seule une citoyenneté revendiquée, arrachée et assumée peut conduire à la naissance d’un électeur libre de choisir ses représentants et son destin, celui de ses enfants en définitive car l’adulte lutte pour assurer un avenir décent à sa descendance.
Nous sommes clairement à un carrefour et il s’agit de choisir une direction :
– soit oublier les sacrifices antérieurs en s’avouant incapable de mener une quelconque lutte, quitte à sacrifier les générations à venir, auquel cas rédiger une lettre ouverte et adresser des doléances au premier responsable de la dégradation constante des conditions de vie matérielles et spirituelles de nos concitoyens.
Il se peut que, dans Son Infinie Miséricorde presque divine, Pharaon condescende à quelques consolations, même pour les habitants de Tadjourah qu’il y a une quinzaine d’années sa douce et tendre moitié Reine avait invité à abandonner une électricité trop chère en adoptant la lampe à pétrole (faanuus),
– soit se convaincre que la seule vraie vie qui vaille d’être vécue est celle dans laquelle l’on est respecté, comme l’enseigne notre religion, en refusant d’être dépossédé de son statut d’être humain ne devant s’agenouiller devant aucune forme de tyrannie, combattre pour arracher des droits inaliénables attachés à un indéniable privilège : celui d’être en vie, donc d’être mû par un instinct de survie.
L’issue de ce combat, pour une électricité moins chère, donc pour une citoyenneté plus respectée, déterminera grandement la suite des événements dans un proche avenir. Khayr in cha Allah.
Cassim Ahmed Dini
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