Elle s’appelait Mahado Daher Chireh, elle avait 17 ans. Cette lycéenne a été violée, puis assassinée, dimanche dernier. La jeune fille a subi un véritable calvaire. Elle a été battue, ligotée, violée à plusieurs reprises par plusieurs jeunes hommes. Ses derniers moments ont été horribles.
Sa mort a suscité une vague d’indignation, qui s’est transformée en colère, dont une partie de la population qui demande que justice soit rendue. L’enquête suit son court. Une douzaine de personnes seraient détenues en garde à vue après avoir été transférées à Djibouti – huit hommes et quatre femmes. Les autorités judiciaires et policières n’ont pas communiqué jusqu’à présent sur ce crime.
Les réseaux sociaux débordent de messages révoltés qui exhortent les pouvoirs publics à ne pas laisser cette horreur sans suites, ou appelant à la solidarité avec la mère de la victime, Aicha Hassan Guelleh [1].
Nous avons été particulièrement sensibles au message de Hibo Moumin Assoweh, maîtresse de conférence à l’université de Djibouti. C’est un véritable cri du cœur qu’elle lance depuis sa page Facebook pour témoigner de son incompréhension et de sa douleur devant cet acte horrible. Elle dénonce avec force ce crime commis contre une adolescente qui avait toute la vie devant elle, une atrocité perpétrée contre la féminité.
« Qui est Mahado ?
Nous nous posons toujours la question mais nous n’avons que des bribes de réponse ! Un mystère !
Nous souhaiterions connaître cette jeune adolescente dans d’autres circonstances plus heureuses, comme par exemple son nom inscrit en tête de la liste des futurs bacheliers de la nation.
Mais ce matin là au détour des pages sur Facebook c’est un visage méconnaissable, un corps poussiéreux et des vêtements déchirés et couverts de sang que nous entrevoyons. ELLE est balancée dans le ravin comme un vulgaire sac de poubelle.
Une image insupportable qui vous coupe le souffle à force de douleur. On colle au corps tuméfié tout de suite un nom, MAHADO, celle pour qui on rend grâce à Dieu mais qui git ce jour là dans la boue ! Ensuite plus rien ! Elle devient la victime, oublié son nom, plus d’identité, elle devient le corps, la défunte, nous l’enterrons avant même d’avoir pris le temps de la connaître !
Quand on cherche, prenant la loupe et la cuillère pour ramasser quelques traits de caractère esquissés ici et là par les internautes, recollant les fractures de son portrait avec beaucoup de prudence voilà ce qu’on apprend : “Mahado Daher Chireh est orpheline de père, une élève brillante comme en témoignent ses bulletins, en plus débrouillarde paraît-il, effectuant des petits boulots pendant les vacances pour subvenir aux besoins de sa famille, une Cunégonde, une battante, une lionne !”
Mais l’on apprend surtout qu’elle est une FEMME ! Tous les coups qui l’ont achevée en témoignent ! Les criminels ont attenté à sa féminité ! Ils ont voulu briser ce talent là, brimer cette force et ce courage, tuer cette ELLE ! » [2].
Mahado a été sauvagement assassinée. C’est un nouvel exemple tragique et insupportable des violences exercées contre les femmes dans notre pays, qui montre également la déshérence d’une jeunesse en manque de repères.
Heureusement, des réactions collectives d’indignation, comme ces affiches, ou l’immense marche en mémoire de Mahado de ce matin - dimanche 30 septembre -, nous rassurent sur les réactions des habitants d’Ali Sabieh. Des milliers d’Assajogs scandaient « Mort aux violeurs » pour réclamer la peine capitale pour les responsables de ce crime odieux. Une peine exemplaire est requise ! C’est dans ces moments là, où l’émotion et l’indignation sont à leur comble, que l’on peut se féliciter que cette peine inhumaine ait été retirée du Code pénal, le 21 avril 2010. Pour autant les peines encourues restent très sévères, puisque selon l’article 346 du Code, alinéa 1 et 2, les prévenus risques la perpétuité : « Le viol emporte la peine de la réclusion criminelle à perpétuité, lorsqu’il est accompagné ou suivi de tortures ou d’actes de barbarie ; lorsqu’il est suivi du meurtre de la victime. »
Pour aller au delà de l’émoi et briser cette culture du silence, Saharla Hassan Ali et Amina Goudaleh Gouda, responsables à la cellule d’écoute, d’information et d’orientation des femmes et des filles victimes de violences, estimaient déjà urgent en juillet 2016, dans nos colonnes, d’alerter et interpeller les parents, les pouvoirs publics, mais aussi et surtout les jeunes filles, sur les dangers qui les guettent... Pour elles, la situation devient préoccupante, les jeunes s’inspirent de ce qu’ils voient à la télévision pour commettre leurs crimes. Tel est le constat des deux mousquetaires de la cellule d’écoute, même s’il n’existe pas de chiffres précis pour soutenir ce qu’elles avancent. Nos deux militantes de la cause des femmes ne peuvent que faire la supposition que les cas qui se manifestent à la cellule ou la gendarmerie ne reflètent probablement que l’écume de la situation. Par peur ou par honte, beaucoup de jeunes filles se terrent dans le silence plutôt que d’affronter l’opprobre de la famille, de la société, du quartier.
Le problème ne se réglera pas tout seul, ni avec une foule portant des affichettes et des banderoles. Il faut lancer une réflexion nationale sur la question afin d’y répondre de manière efficace et globale. La mission semble « taillée sur mesure » pour une commission parlementaire. Mohamed Ali Houmed serait bien inspiré de se saisir de cet enjeu crucial pour nos enfants, de décider la création d’un groupe de travail sur les infractions sexuelles, et d’analyser les moyens de lutte contre ce fléau social. In fine proposer d’éventuelles réformes judiciaires, éducatives, campagnes de sensibilisation, etc. Nos élus auraient du pain sur la planche, sans nul doute, mais c’est indéniablement dans leur mandat ! Alors, chiche ?
Enfin on voudrait adresser un clin d’oeil à l’équipe de Chehem Renard [la voix des sans-voix !], pour l’excellente couverture en direct sur les réseaux sociaux de la marche en mémoire de Mahado et les nombreux témoignages recueillis auprès des manifestants : chapeau bas messieurs !
Mahdi A.
[1] Par exemple la page Facebook de Aganeh Farhan.
[2] Hibo Moumin Assoweh, « Qui est Mahado ? », Facebook, le 28 septembre 2018.