Ils étaient six avocats, une notaire et cinq huissiers dans l’une des grandes salles d’audience du Tribunal de Djibouti hier, lundi 17 février 2005, pour une cérémonie de prestation de serment, au cours d’une audience solennelle présidée par Neima Ali Warsama, première présidente de la Cour d’appel de Djibouti. Le bâtonnier et presque tous les membres du Barreau étaient réunis pour assister au serment mais surtout pour leur souhaiter la bienvenue.
Madame Lamisse Mohamed Said, procureur générale de la République près de la Cour d’appel a introduit la cérémonie :
« C’est avec honneur et grand plaisir que l’institution Judiciaire accueille ce matin des auxiliaires de justice, à savoir six avocats, une notaire et quatre huissiers de justice. Il s’agit de la première promotion formée au sein d’une structure nationale, l’Ecole d’études judiciaires (ENEJ).
Ensemble nous allons vivre un moment inoubliable, un moment solennel, car une prestation de serment représente un acte important ; important car il fonde un engagement exigeant et absolu envers vos clients, la justice et la société dans son ensemble. Et il vous liera tout au long de votre vie professionnelle.
C’est aussi un moment de joie, parce que vous êtes entourés ce matin de vos familles et vos amis ici présents.
Mesdames et messieurs, vous avez parcouru un long chemin, plusieurs années passées à l’université, des sacrifices pour franchir les obstacles avant d’intégrer ces prestigieuses professions.
Je tiens à vous féliciter pour ce beau parcours dont vous pouvez être fiers et vous formuler des vœux d’épanouissement et de succès dans l’exercice de ces métiers honorables que vous avez choisi.
Mesdames et messieurs, n’oubliez pas que vos missions et vos responsabilités seront immenses. Vous serez appelés à représenter ceux qui ne peuvent se défendre seuls.
Exercer le métier d’avocat, c’est être à l’écoute de nos concitoyens ; c’est défendre avec ardeur les droits de ses clients tout en préservant l’honneur de la profession
Exercer le métier d’avocat, c’est ne jamais s’écarter du respect dû aux tribunaux ; C’est s’abstenir de toute parole injurieuse envers les parties
Exercer le métier d’avocat , c’est veiller au respect des lois et des règlements
Exercer le métier d’avocat, c’est poser les responsabilités
Donc, Soyez généreux envers vos clients de votre temps, c’est ainsi que vous servirez au mieux notre objectif commun, la Justice.
Après des années passées à la faculté de Droit et l’obtention de son diplôme, Madame Hawa Hamadou Ali a commencé à travailler dans le secteur privé, plus précisément, dans le secteur bancaire où elle a occupé plusieurs postes à responsabilité.
Madame Hawa Hamadou Ali, voulant découvrir d’autres horizons, a sollicité l’agrément pour exercer la profession de notaire.
Madame Hawa Hamadou Ali, vos missions et vos responsabilités seront immenses. Donc vos prérogatives doivent être exécutées conformément aux règles et lois en vigueur.
Nous allons procéder à la prestation de serment de cinq huissiers de justice qui viennent renforcer leurs corps.
Vous êtes des acteurs incontournables pour le fonctionnement de la justice.
Vos missions sont variées Au-delà des expulsions, des constats, de signification des actes judiciaires et extrajudiciaires, votre intervention sera également sollicitée dans le cadre des procédures de recouvrement forcée et notamment les saisies.
Donc, vos prérogatives doivent être exécutées conformément aux règles et lois en vigueur.
Vous devez avoir un comportement irréprochable.
Vous devez respecter le secret professionnel et l’obligation de réserve qui vous incombent.
Vous devez respecter les valeurs de la profession. »
Puis, ce fut au tour de Me Mouktar Ghaleb, bâtonnier, de prendre la parole et féliciter les nouveaux avocats pour leur parcours d’excellence. Il a insisté sur le fait que leur futur métier est passionnant et exigeant. En effet, par leur parole ils vont engager l’ensemble du corps et l’image de la profession. Ils doivent être respectables en toute circonstances, mais aussi se faire respecter à hauteur de ce que leur serment commande.
« Nous sommes réunis aujourd’hui pour accueillir au sein du Barreau six nouveaux avocats qui viennent d’horizons très différents. C’est donc un jour important pour vous chers futurs confrères, pour le Barreau de Djibouti et pour les juridictions djiboutiennes.
Je voudrais que vous ayez tous, ainsi que vos proches qui vous accompagnent, conscience de l’importance et de la puissance de ce moment. Ce n’est pas un aboutissement, et surtout pas une formalité légale ou administrative. C’est bien plus que cela.
Au moment où je vous parle, vous n’êtes pas avocat. Vous avez juste reçu l’agrément à l’exercice de la profession d’avocat. Avocats vous allez le devenir aujourd’hui, par le prononcé d’un serment magnifique, et parce que les plus hauts magistrats de la Cour d’appel vous en donneront acte dans cette audience solennelle.
Une audience solennelle, entendez-le. Mesdames et messieurs les accompagnants, nous allons vous demander de ne pas applaudir, jamais, durant cette cérémonie. Jamais, tant que vous êtes dans l’enceinte de cette Cour : ce temps est assurément un temps de bonheur profond pour chacun d’entre vous, mais il est d’abord un temps de grande solennité.
Parce que c’est en prononçant ce serment, vous qui portez aujourd’hui pour la première fois votre robe, que vous vous transformez et devenez avocat. Vous allez lever la main droite, dire “je le jure”, la cour vous donnera acte de ce serment et alors – alors seulement – vous serez avocat.
Ce serment n’est pas seulement l’aboutissement de votre parcours universitaire, mais c’est surtout un choix de vie : celui de défendre avec intégrité et indépendance, des hommes et des femmes, leur honneur, leurs droits fondamentaux, leurs intérêts.
Le serment est le gage de la confraternité, de la loyauté, de l’indépendance de l’avocat. La robe est le symbole de l’égalité entre les avocats.
Libre est l’avocat et vous le serez encore plus si vous usez de cette liberté pour convaincre. Respectez vos clients, vos confrères, les magistrats et les greffiers. Ils vous respecteront en retour.
Notre profession est extraordinaire. Elle nécessite du travail, de l’engagement, de l’excellence, de la persévérance. Elle est parfois terrifiante par les responsabilités qui seront les vôtres. Au terme de ce serment, vous aller comprendre qu’il manque deux mots : courage et humilité.
Permettez-moi également de dire quelques mots aux nombreuses personnes présentes dans le public. Mesdames et messieurs, si votre fils, votre fille, votre ami, votre frère ou votre sœur va aujourd’hui prêté serment, c’est aussi grâce à votre soutien. Ce jour est aujourd’hui le votre et c’est également à vous que je réserve mes félicitations. Savourez-le pleinement !
Chers nouveaux confrères et nouvelles consœurs, je termine en me tournant à nouveaux vers vous.
Soyez fiers et dignes de la robe que vous portez ! Portez-la humblement au service de vos clients et de la justice. »
Ce fut ensuite un grand moment d’émotions pour les nouveaux avocats, notaire, et huissiers. Ils ont prêté serment devant leurs proches et les flashes des photographes. Cette étape est obligatoire, car pour exercer leur profession tous doivent prêter serment devant la Cour d’appel. Au cours de cette cérémonie, ils s’engagent à respecter les principes essentiels de leur profession.
Entretien avec Me Mouktar Ghaleb, bâtonnier
« Le Barreau compte 46 avocats après la prestation de serment d’aujourd’hui. Chaque époque détermine le nombre nécessaire d’avocats. Il y a trente ans, il y avait peu d’avocats car il y avait peu de litiges. Aujourd’hui il y a effectivement plus d’avocats, les différends se règlent de moins en moins à l’amiable entre les parties. Ces évolutions sont dues au progrès social et au développement du droit des sociétés. Ces dernières s’entourent davantage de conseils juridiques et font plus souvent recours à des avocats, car les risquent de contentieux augmentent. Donc, il n’y a pas trop d’avocats. Ils doivent de plus être de plus en plus spécialisés, ce qui explique que le secteur n’est pas saturé. Avant, il n’existait que le droit pénal, le droit civil et le droit maritime. Aujourd’hui s’est ajoutée la propriété intellectuelle avec la création de l’office djiboutien de la propriété industrielle et commerciale (ODPIC) où un nouveau type de litiges est apparu. Le marché s’adapte au besoin de la clientèle, le secteur requiert plus de spécialisations, c’est une avancée pour la protection des usagers.
Je dois dire que le corps de la magistrature devrait aussi être renforcé. Notre pays a besoin de plus de magistrats. Le nombre d’affaires en cours est très important, cela devient une urgence. La justice est de plus en plus décentralisée, avec la création de nouvelles juridictions dans les régions. Malheureusement, elles ne sont pas encore opérationnelles, aucun magistrats n’y a encore été affecté, et les tribunaux ne sont pas construits. Nous espérons que cette réforme sera rapidement effective. Le besoin est réel. Pour le moment nous continuons avec les audiences foraines qui se déroulent tous les deux ou trois mois dans chacune des régions cinq jours durant, mais c’est insuffisant.
J’en suis à mon deuxième mandat de bâtonnier, qui prend fin en décembre prochain. J’aurais eu la distinction de présider cette instance quatre années successives. C’est une lourde responsabilité, qui prend beaucoup de temps d’écoute et d’énergies. Que puis-je dire sur ce mandat ? Nous n’avons pas de siège, pas de personnel. Depuis la création de la profession d’avocat en 1987, le bâtonnier héberge le secrétariat du conseil de l’Ordre au sein de son cabinet. Il nous manque une Maison des avocats. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons solliciter des autorités politiques qu’on nous attribue dans l’enceinte du tribunal quelques mètres carrés au niveau des jardins. Ils nous permettraient de construire une Maison de l’avocat sur nos fonds propres. Cette institution, stratégiquement située, permettrait de rapprocher les justiciables de la justice, c’est un élément nécessaire à l’épanouissement de la démocratie. La démocratie, c’est l’état de droit. C’est permettre aux justiciables de comprendre qu’il y a des pratiques juridiques, qu’il y a des textes. Mais aussi rappeler à l’État de respecter les textes qu’il promulgue.
Avant d’occuper cette fonction de bâtonnier, j’ai eu l’honneur durant huit ans d’être un des trois membres du conseil de l’Ordre, sous la direction de Me Alain Martinet et Me Ali Dini. J’ai appris des doyens de la profession. Ces dernières années, notre profession a perdu trois excellents avocats, Me Aref Mohamed, Me Marie-Paule Martinet et Me Jean Montagné. Ces trois avocats ont marqué la profession d’avocat en République de Djibouti. Ils ont chacune et chacun apporté leur pierre à la professionnalisation du métier d’avocat. Ils furent d’excellents confrères, des spécialistes du droit. Ils avaient des exigences de rigueur. Aujourd’hui, nous avons de nouvelles générations et nous espérons qu’eux aussi marqueront la profession de leur empreinte, comme leurs aînés.
Nous travaillons pour l’intérêt de la justice, en étroite collaboration avec la magistrature. Ce qui n’empêche pas qu’il puisse y avoir des frictions entre les avocats et le Parquet, chacun poursuivant des buts différents. Le Parquet est un adversaire, pas un ennemi. C’est le juge du siège qui nous départage.
Concernant la lenteur de la justice, est-ce une impression ou une réalité ? Les deux. Je vais clarifier. Il faut expliquer aux Djiboutiens que le droit obéit à des procédures, et que celles-ci peuvent être parfois contradictoires, mais qu’elles sont exigeantes pour dire la vérité. Or, beaucoup de justiciables pensent que le magistrat va tirer de son chapeau une solution qui satisferait toutes les parties pour rendre la justice. La procédure à l’audience devant le juge est une procédure contradictoire. Le juge entend toutes les parties, ce qui prend du temps. Le Code de procédure civile obéit à un délai incompressible, même si sa nouvelle mouture de 2018 les diminue considérablement. Prenons l’exemple d’une procédure ouverte après un accident de la circulation. La procédure est envoyée devant le juge. Chacune des parties a son avocat, chacune des parties va conclure. Le juge va ordonner une expertise médicale sur le plaignant pour évaluer les conséquences causées par cet accident. Le préjudice doit être estimé par un professionnel. Cela engendre nécessairement un délai supplémentaire, puisqu’une tierce personne rentre dans le jeu et doit se prononcer. Les dégâts matériels causés sur le véhicule, voire un commerce, ou des infrastructures urbaines, peuvent nécessiter aussi des évaluations qui seront là aussi réalisées par des spécialistes si elles sont demandées par la Cour ou les parties. Le juge suspendra les débats le temps de l’avis de l’expertise demandée. Lorsque les conclusions sont communiquées au juge et aux parties, ces dernières peuvent les critiquer ou les contester et demander une contre-expertise supplémentaire. Au terme de la procédure de jugement, rien n’empêche à l’une des parties de faire appel de la décision en Cour d’appel. Les mêmes questions, les mêmes points sont alors reposés.
Ce que les justiciables ne comprennent pas, peut-être à cause de notre culture, c’est de ne pas avoir une décision rapide. Nos compatriotes, habitués aux règlements amiables ancestraux « sous l’arbre », ne saisissent pas la modernité d’une justice qui peut travailler sur certains cas complexes durant plusieurs années. Djibouti n’a rien inventé en termes de procédure, ce sont à peu près les mêmes partout dans le monde. Chaque partie peut faire un pourvoi aussi contre la décision de la Cour d’appel si elle s’estime lésée. C’est un droit élémentaire. Et le dossier est transmis à la Cour suprême, qui est devenue une Cour de cassation puisqu’elle juge en droit et peut annuler une décision de justice.
Je dois insister encore sur le fait que nous avons vraiment besoin de plus de magistrats. Prenons le cas des juges de la Cour suprême, ils jugent en droit et non en fait et doivent donc renvoyer l’affaire devant la Cour d’appel s’ils estiment que le droit n’a pas été respecté lors de la procédure. Là où le bât blesse, c’est que l’affaire ne peut être renvoyée que devant des magistrats qui n’y ont pas été associés d’aucune manière auparavant, pour des raisons évidentes d’impartialité. Parfois, ce principe cause énormément de tort en termes de délais de procédure, lorsqu’un grand nombre de magistrats ont été impliqués dans une affaire. Même si ces dernières années notre pays a recruté des magistrats, je dois dire que ce n’est pas suffisant, il faut aller plus loin et vite. »
Propos recueillis par Mahdi A.
![]() |
![]() |
![]() |
![]() |