Human Village - information autrement
 
Décès de Khadija Abeba
juillet 2024 (Human Village 51).
 

D’après un communiqué de la présidence
4 juillet 2024

Le président de la République a rendu hommage à la mémoire de Khadija Abeba, « figure emblématique du paysage judiciaire djiboutien et personnalité de premier plan, appréciée, décédée hier, mercredi. […] Khadija Abeba restera longtemps gravée dans la mémoire collective djiboutienne pour sa droiture morale et ses compétences et son savoir-faire professionnel […]. Première présidente de la Cour suprême, la plus haute Instance judiciaire de Djibouti, Khadija Abeba intègre d’office le cercle préalable de femmes djiboutiennes à accéder à un haut poste de responsabilité publique [… Son] succès n’avait pas d’incidence sur sa propension à rester toujours humble, accessible et serviable ».

Le président de la République a terminé exprimant ses « condoléances attristées et l’assurance parfaite de sa solidarité et compassion à la famille, aux proches et amis de la défunte ainsi qu’aux collègues et nombreux collaborateurs qu’elle eut durant sa longue et brillante carrière ».


Communiqué du Barreau
6 juillet 2024

Le Barreau de Djibouti a appris avec une profonde tristesse l’annonce du décès du juge Khadija Abeba, magistrate émérite et présidente de la Cour suprême de Djibouti, en retraite depuis quelques années. Après des brillantes études universitaires, elle fut la Première djiboutienne magistrate, la première présidente de la Cour d’Appel de Djibouti et la première présidente de la Cour suprême de Djibouti.

Prestation de serment de Khadija Abeba

L’évocation de​ Mme Khadija Abeba, évoque immanquablement le respect et la stricte application de la règle du droit, une profonde droiture et une foi inébranlable en un système juridique juste et équitable.
Mais, cette évocation, si sincère soit-elle, serait singulièrement réductrice si l’on omettait de citer la longévité de sa carrière professionnelle caractérisée par une un sens de l’éthique sans faille qui faisait d’elle une juge exemplaire, un modèle à suivre pour l’ensemble de ses pairs.
Intransigeante mais juste, minutieuse dans son analyse et prudente dans sa démarche, elle était d’une modestie qui n’avait d’égal que son respect profond pour les justiciables pour lesquels la garantie d’un procès juste et équitable était son objectif ultime.
Le Barreau de Djibouti rend hommage à Madame Khadija Abeba, présidente de la Cour suprême de Djibouti, pour les services rendus à la nation en étant le fer de lance d’une justice exemplaire.
Puisse l’honorable juge Khadija Abeba, par son esprit et sa vision de la justice, continuer à inspirer non seulement le corps des magistrats mais toute la famille judiciaire dans son ensemble.
A tous ses proches et notamment son fils Abdoulkader Wahib Isse, nous adressons nos plus sincères condoléances.

Me Mouktar Ghaleb, bâtonnier

Un registre de condoléances sera ouvert au Palais de Justice pour recueillir les témoignages d’hommage à la présidente de la Cour suprême à partir du lundi 8 juillet 2024.


Madame Khadija Abeba, Madame la Présidente,

Bien que vous ayez pris votre retraite depuis plusieurs années, votre départ laisse un grand vide dans le monde judiciaire.
Je suis sans doute l’un des membres de la famille judiciaire qui vous a côtoyée le plus longtemps et à ce titre je vous devais ce témoignage.
Revenue à Djibouti dans les premières années de l’indépendance du pays après de brillantes études juridiques en France, vous avez immédiatement pris vos fonctions de juge, en commençant pas des postes modestes au tribunal, pour finir votre carrière au poste le plus prestigieux de la magistrature, celui de présidente de la Cour suprême.
Vous avez eu la chance, au début de votre carrière, de côtoyer deux magistrats de qualité exceptionnelle, M. Guesdon et M. Pappas, qui occupaient respectivement les postes de président de la Cour d’Appel et de procureur général. Ce sont eux qui vous ont permis de mettre à profit l’enseignement théorique que vous aviez reçu en vous incitant, pour chaque affaire, à effectuer des recherches juridiques systématiques, à ne rien négliger dans les pièces d’un dossier, à toujours vous référer à la règle de droit.
Cette rigueur dans le travail, alliée à une honnêteté sans faille et une totale indépendance ont très vite été reconnues et appréciées, tant par les justiciables que par les autorités et les membres de la famille judiciaire. Très vite, les divers intéressés avaient compris que vous preniez vos décisions en toute indépendance, avec comme seule exigence le respect de la règle de droit. Pour cela vous suscitiez un respect unanime, non seulement chez les professionnels, mais dans toutes les couches de la population. Pendant de nombreuses années, en qualité de bâtonnier je rencontrais régulièrement le chef de juridiction que vous étiez et je garde un souvenir ému de nos discussions sur les nécessités de réformes dans les institutions judiciaires et de revalorisation du statut des magistrats.
L’occasion nous fut finalement donnée de faire connaître publiquement notre position sur ces questions essentielles à l’administration d’une bonne justice, lors de la Journée de réflexion sur la vie judiciaire organisée au Palais du Peuple le 19 février 2000 (il y aura bientôt 25 ans !), à l’instigation du nouveau président de la République.
Devant tout Djibouti, tous les membres du gouvernement et du Parlement, tous les hauts fonctionnaires, les magistrats, les membres du corps diplomatique, en présence de Hassan Gouled Aptidon, l’ancien président, qui avait tenu à marquer ainsi son attachement au thème abordé, nous partagions la tribune avec le ministre de la Justice, Saïd Barkat, et le président de la République et nous avions, l’un et l’autre, prononcé un discours sans complaisance, dont le président allait tenir compte pour prendre sans délai des mesures positives qui restent encore gravées dans de nombreuses mémoires (reconstruction de Palais de Justice, augmentation très importante des traitements des magistrats).
Sur le plan professionnel, vous avez témoigné de qualités essentielles à l’exercice de ce sacerdoce qu’est le métier de juge : intelligence, exigence, travail, indépendance, ouverture d’esprit. Vous servez et vous continuerez à servir de modèle à des générations de magistrats.
Vous n’étiez pas non plus dénuée d’humour, et vos yeux pétillaient d’intelligence et de malice quand nous abordions des sujets moins austères. Vous aviez perdu, encore jeune, votre mari, mon ami Wahib Issa, militant de la première heure de la L.P.A.I., que j’avais connu et avec lequel j’avais collaboré dès ma première visite à Djibouti en 1975.
Vous aviez dû ensuite élever seule votre fils Abdoulkader, alors que votre état de santé déclinait inexorablement. Nous pensons particulièrement à lui dans ces moments difficiles.
Au cours des dernières années, le barreau de Djibouti a vu disparaitre tous nos confrères de la première heure, Wabat Daoud, Luc Aden, Aref Mohamed, et dans les derniers mois Marie-Paule Martinet et Jean Montagné. De grands magistrats, vos anciens collègues, nous ont plus récemment quittés, l’ancien procureur général Mohamed Afkada, et votre successeur à la Cour suprême, Abdourahman Cheick. De la vieille garde il ne reste plus que Me Ali Dini et moi-même pour témoigner de cette époque héroïque de la magistrature djiboutienne que vous avez à jamais marquée de votre empreinte.
Nous nous associons à la douleur de votre fils, de vos proches et de vos amis et je forme le vœu que les jeunes magistrats de ce pays que vous avez si fidèlement servi s’inspirent de votre modèle dans l’exercice de leur profession.

Me Alain Martinet, ancien bâtonnier
5 juillet 2024


« Aux jours heureux,
Sous la course des planètes,
Y’a des moments qu’on regrette »
chante Francis Cabrel.

Un instant de grâce…
Une photo en noir et blanc, d’une lumière intense…
Un moment d’histoire…
La prestation de serment de madame Kadiga Abeba, la première femme djiboutienne (et quelle femme !) à avoir, un jour, été magistrat…

Je n’étais alors qu’un enfant heureux, courant, souvent, derrière un ballon, comme le font, aujourd’hui encore, presque tous les enfants du monde, un peu partout sur la Terre.
J’étais Pelé, j’étais Garrincha, Cruyff, ou Beckenbauer, tour à tour, ou tout à la fois, balle au pied, à longueur de journées, ou presque.
Je rêvais de Maracanã, de Wembley, ou de Santiago-Bernabéu, de stades lointains, et mythiques.
J’étais à mille lieues d’imaginer donc, à l’époque, un instant, un court et infime instant (vous pensez bien !), que j’aurais la chance, l’honneur, et le privilège, de partager, un jour, dix ans de ma vie de magistrat avec adame Kadiga Abeba, à la Cour suprême de la République de Djibouti, entre 2006 et 2016.
Dix années à délibérer inlassablement, dans d’innombrables dossiers, civils ou pénals, deux ou trois semaines, chaque mois, au minimum, en oubliant volontiers, une fois que nous étions lancés, dans l’examen de différents moyens de droit soumis à notre examen, que l’heure de rentrer à la maison pour aller déjeuner, et se reposer un moment, comme tout un chacun, avait, administrativement, depuis longtemps, inutilement sonnée, au loin.

Dix années de discussions intenses, d’échanges, de partages, et de rires immenses (si, si, le droit peut prêter, parfois, à la bonne humeur, lorsqu’on est entouré de gens de bonne compagnie !).
Il n’est écrit nulle part, dans les codes, que le rire est susceptible de nuire à la santé d’une règle de droit, à quel que degré que ce soit ...
Dix années à parler, encore et toujours, de droit, mais également de la vie, de nos souvenirs d’enfant, et d’adulte, du Quartier 4, surtout, que nous avions, affectueusement, par hasard, pour la plupart autour de la table, étrangement, souvent en partage, pour respirer un peu et aérer nos esprits.
Dix années passées, parfois, à nous demander à trois, au moment d’inscrire, enfin, la décision prise par la Cour, dans le marbre incompressible du temps, à la fin d’un délibéré auquel nous avions, comme toujours, consacré de longues heures, déjà, si l’emploi d’un mot, à priori anodin, ne risquait pas de prêter à interprétation inexplicablement, demain, au point d’alimenter un litige inutilement, un jour prochain, sans nous soucier, un instant, des aiguilles de nos montres, abandonnées à leur solitude, depuis longtemps.

Dix années « effacées », aujourd’hui, d’un trait de lumière…
Madame Kadiga Abeba s’en est allée sur la pointe de pieds, comme le font toujours les gens discrets, le mercredi 3 juillet 2024, à l’heure où le soleil était parti se coucher, à la fin d’une longue journée d’été qu’il avait de ses rayons longuement, comme toujours, abondamment réchauffée.
La mort semble friande de droit, à Djibouti, comme ailleurs, depuis quelque temps.

Madame Kadiga Abeba a été la première femme, en tout, au Palais de justice de Djibouti.
Elle a été la première femme Juge d’instruction, la première femme présidente de la Cour Judiciaire, la première femme présidente de la Cour d’Appel, et surtout, enfin, la première femme présidente de la Cour Suprême, pendant plus de vingt ans, jusqu’à son départ, un jour, à la retraite.

Madame Kadiga Abeba a, ainsi, été la première femme à dire le droit, à Djibouti, un pays de culture nomade, et de tradition orale, où la femme avait toujours été tenue loin du droit coutumier, qui en constituait le socle, et le fondement, depuis la nuit du temps.
Elle a ouvert la voie à toutes les femmes, qui occupent, aujourd’hui, dans notre pays, les postes les plus prestigieux, avec brio.
Il y a des destins qui forcent naturellement le respect chez tout un chacun !

Madame Kadiga Abeba a aimé le droit, passionnément, véritablement, et viscéralement.
Elle a incarné la magistrature, en République de Djibouti, avec panache, et rigueur, pendant plus de quarante ans, comme personne n’avait réussi à le faire avant elle, en rappelant, inlassablement, à tous, les règles et les principes fondamentaux de droit (ceux qui, de leur substance universelle, irriguent, inexorablement, toutes les artères de la vie), en toutes circonstances.
Elle a été, en droit, la boussole de son pays, durant toute sa vie.

Madame Kadiga Abeba appartient à jamais, à l’histoire du Palais de justice de Djibout.

« Ça restera comme une lumière,
Qui m’tiendra chaud dans mes hivers,
Un petit feu de toi qui s’éteint pas »
chante Jean-Jacques Goldman.

Elle « restera » dans la mémoire de tous les Djiboutiens (qu’ils soient magistrats, avocats, greffiers, notaires, huissiers, ou pas, aujourd’hui ou demain) qui ont le droit chevillé profondément au cœur, « comme une lumière », et un exemple à suivre, indéfiniment.

Merci infiniment Kadiga d’avoir accompagné beaucoup d’entre nous sur le chemin de la vie.

Je me souviens que tu m’avais dis, il n’y a pas longtemps aujourd’hui, que malgré notre différence d’âge (tu avais connu ma mère, une amie de ta grande sœur, mon père, mes grands-mères, mes grands-oncles, mes tantes, et mes oncles, toute ma famille en somme ! ou presque, enfant), tu me considérais comme un véritable ami.

On ne peut qu’aimer quelqu’un qui a connu nos parents, enfant !
C’est l’ami, qui célèbre ta vie hors normes, aujourd’hui.
C’est l’ami, qui implore Dieu de t’accorder sa miséricorde, et de t’accueillir en son paradis éternel, aujourd’hui.
Que la terre à laquelle tous les gens, qui t’aiment profondément, aujourd’hui plus encore qu’hier, t’ont confié, mercredi dernier, la mort dans l’âme, au milieu d’une nuit sombre et amère, te soit légère à jamais.

Toutes mes prières t’accompagnent, Kadiga…

Me Mohamed Abdallah Ali Cheik, avocat.

 
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