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Des éléphants à Djibouti !
 

Entretien avec Jean Chavaillon, ancien directeur de la mission archéologique et paléontologique, et Arlette Berthelet, diplômée de l’Ecole pratique des hautes études.

On savait depuis longtemps qu’il existait des éléphants dans toute l’Afrique orientale, en Ethiopie, au Kénya, en Ouganda et en Tanzanie, mais de là à en découvrir à Djibouti.
Certes, en 1974, P. Roger avait bien trouvé quelques dents d’éléphants, non loin du lac Assal et dans le Gobaad, mais ces restes étaient bien indigents. Ce n’est qu’en 1985 que nous fîmes alors des découvertes tout à fait exceptionnelles, à deux endroits, à Barogali et à Haïdalo, dans la région d’As-Eyla.
Le premier site, Barogali, se situe à quelques kilomètres du lac Abbé, là où d’anciens dépôts du lac renferment des vestiges fossilisés de gros mammifères. Là, des hommes auraient découvert un éléphant embourbé dans un marécage. Ils auraient dépecé l’animal, l’aurait découpé et mangé en partie sur place. En effet, certaines parties du squelette n’ayant pas été retrouvées, on peut supposer que les hommes aient emporté de gros quartiers de viande dans leur camp de base ou que des prédateurs les aient trainés à quelque distance.
Le cadavre de l’animal, peut-être à l’état de charogne, a été désarticulé. Certains ossements ont été déplacés, parfois regroupés.
On a retrouvé beaucoup d’outils de pierre tout autour, plus de 570 ! Les hommes ont donc taillé leur outillage sur place. Ils ont amené de gros blocs de basalte puis fabriqué des gros percuteurs pour briser les os de l’animal, si gros que certains de ces outils se sont brisés.
Ils ont ensuite découpé de gros quartiers de viande : comme il s’agit d’un site de boucherie, il est normal que les tranchoirs, les broyeurs et les grattoirs-rabots se trouvent en quantité considérable. Le crâne a été décalotté pour manger la cervelle et des os ont été broyés pour en extraire la moelle. La réunion de tous ces outils montre bien que les premiers hommes ont découpé la carcasse.

Connait-on d’autres sites de boucherie datant de périodes aussi anciennes dans la corne de l’Afrique ?
Il faut préciser que les sites de boucherie de périodes aussi anciennes sont très peu nombreux en Afrique orientale. On en connait quelques-uns en Tanzanie. En Ethiopie, dans la moyenne vallée de l’Awash, à Hargufia, des ossements d’hippopotame ont été découverts, mais il y avait peu d’objets (76 seulement). On peut donc ajouter Barogali, sans doute le plus riche en outils.

Vous avez ensuite découvert un second éléphant à Haïdalo
En 1987, alors que la fouille de Barogali se terminait, un jeune nomade nous signala la présence d’ossements à quelques kilomètres de là. Il affleurait à la surface un tibia et un fémur d’un éléphant. Dès l’année suivante, nous commencions la fouille. Celle-ci fut longue et difficile, car certaines couches, notamment de grès consolidés, ont dues être dégagées au burin. Il s’agit d’une pièce remarquable : un éléphant dit « Elephasrecki » presque complet en connexion anatomique. C’est un cadavre qui a été entraîné par les eaux d’un cours d’eau et aussitôt recouvert de sable et d’argile. L’animal fut alors enseveli sur le dos, ses pattes se sont détachées et ont basculé de part et d’autre du corps. Les cotes et les vertèbres étaient demeurées en connexion bien qu’écrasées. Une grande défense gisait à côté, longue de trois mètres. Haïdalo constitue une découverte remarquable. C’est la première fois que l’on trouvait un squelette complet de cette espèce avec crâne et squelette post-crânien et en connexion ; une description globale de l’espèce pouvait enfin être connue. En outre, on pouvait le comparer avec les carcasses d’éléphants actuels, récemment trouvées en Afrique.

Comment vivaient ces éléphants ?
Tous ces sites très anciens se trouvent dans le Gobaad. Or le Gobaad ne comptait, voilà un million d’années, qu’un seul fleuve, l’Awash. Existait-il un Lac Abbé ou pas ? C’est possible, mais le Gobaad c’était essentiellement l’Awash. Il n’a jamais atteint les rivages marins, mais il a permis sans doute à une faune de gros mammifères d’exister, notamment des éléphants, des hippopotames.
Selon les variations climatiques, ces animaux devaient quitter cette région, mais d’autres espèces y sont revenues sous une forme parfois différente. Cela est très intéressant. Les éléphants du Gobaad appartiennent à la même espèce : Elephasrecki. Mais en fait ils sont représentés par deux sous-espèces. L’une est l’éléphant reckiileretensis : c’est l’éléphant de Barogali qui vécut jusqu’à 1,3 million d’années, l’autre est l’éléphant reckirecki : c’est l’éléphant de Haïdalo (1,2 million d’années à 500 000 ans). Ils se différencient, entre autres, par la forme des dents : les molaires. Celles du plus ancien, l’éléphant de Barogali présentent une série de lames assez écartées et de faible hauteur, alors que les molaires de l’éléphant de Haïdalo ont des lames plus rapprochées et plus hautes.

Une datation par l’émail des dents !
L’éléphant ileretensis de Barogali a été daté par l’analyse de l’émail dentaire de l’une de ses molaires. Cette dent a permis de dater ce site de boucherie entre 1,6 et 1,3 million d’années, et, par là même, l’association des outils. Quant au site de Haïdalo avec un autre type d’éléphant, Elephas reckirecki, mort de sa belle mort, la fourchette de temps est comprise entre 1 million et 500 000 ans.
Pour les autres gisements de préhistoire à Djibouti, de nombreux sites présentent, entre autres, des outils tallés sur deux faces. Ces objets, les « bifaces », sont souvent pointus ou en forme d’amande et présentent une symétrie axiale. Ce biface de type « acheuléen » est connu est connu etutilisé en Afrique orientale de 1,6 million ans – ce qui est considérable ! - jusque vers 200 000 ans. Evidemment, il y a différentes méthodes pour dater ces sites. On peut d’abord les dater par leurs objets : chaque objet est caractéristique d’une certaine période de la Préhistoire qui est connue dans d’autres pays.
On possède désormais une échelle de temps avec un grand nombre d’objets que l’on peut attribuer à des populations différents. Il en est de même pour des vestiges de faune qui leur sont associés. On sait désormais quels animaux étaient en relation avec les hommes de la Préhistoire.
Pour Djibouti, il est très intéressant que l’on puisse disposer d’une période aussi reculée, grâce à l’ancienne région du Gobaad et de l’ancien cours de l’Awash, fleuve bien connu qui va des hauts plateaux éthiopiens jusqu’au pays de Djibouti.

Propos recueillis par Jean-François Breton

 
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