Human Village - information autrement
 
Archivistes sans frontières
juin 2011 (Human Village 16).
 

La présence de représentants d’Archivistes sans frontières (ASF), invités au colloque est l’occasion de parler des archives avec nos hôtes au travers d’une problématique concrète : le chemin de fer djibouto-éthiopien et en particulier évoquer cette compagnie au travers d’une science : l’archivistique.
En effet, si nous avions convenu avec le Dr Adawa Hassan Ali et Jean-François Breton que nous évoquerions le rôle d’ASF dans le monde et en particulier en Éthiopie depuis 2006, il leur est apparu très vite essentiel que nous puissions, au delà des démarches et du travail de terrain entrepris depuis maintenant six ans, décrire concrètement les principes majeurs de notre travail, présenter cette science qu’est l’archivistique et son application concrète dans le cadre de nos missions successives en Éthiopie.
Faire intervenir des archivistes professionnels, c’est donner des garanties au propriétaire de ces archives mais aussi aux chercheurs qui vont les exploiter. Le travail de l’archiviste apparait à leur yeux, essentiel pour assurer l’intégrité et la valeur des documents collectés et ce au profit des acteurs cités. Il était nécessaire de le mettre en valeur devant un public d’universitaires.

Constat 2005
L’action d’ASF en faveur de la préservation des archives du Chemin de fer remonte à 2005. Deux archivistes français assurent alors, dans le cadre d’une convention nationale bilatérale Archives de France/Archives nationales d’Ethiopie, une mission de formation auprès de leurs collègues éthiopiens à Addis Abeba. Ils constatent alors les conditions de conservation très difficiles des archives de la Compagnie du chemin de fer djibouto–éthiopien et un risque évident que ce patrimoine se désagrège très rapidement compte tenu du contexte économique difficile dans lequel évolue la compagnie.
ASF section France vient d’être créée. Un des formateurs concernés en est membre et le lien se fait naturellement. Une première mission d’audit est menée en 2006. Elle permet de faire un audit complet de la situation à Addis Abeba et Dire Dawa, préparant le terrain l’année suivante (fin 2007) à une mission de préservation : collecte et surtout rédaction de ce que nous appelons dans le langage des archives, un « bordereau de versement » pour une partie des fonds.
Il consiste en une liste ou inventaire des unités d’archives identifiées, chacune correspondant à une ligne dans le bordereau, avec un numéro d’enregistrement, une description sommaire et des dates extrêmes (début et fin des documents contenus dans l’unité).
Une seconde mission de préservation se déroule en 2010 pour achever ce traitement. Mais si cela se résume en quelques lignes, dans les faits le travail a été difficile. Les missions ont été en contact durant celles-ci avec les Archives nationales d’Éthiopie (NALE), représentées au cours du colloque de 2011 par leur directeur, Atakilt Assefa et bien sûr avec le directeur général de la compagnie à Addis-Abeba, Tium Tekae ainsi que ses proches collaborateurs.
Les fonds traités par les deux missions de préservation sont actuellement toujours détenus par la compagnie dans ses locaux. Elle agit en interaction avec les institutions éthiopiennes pour parachever, nous l’espérons, le travail et en particulier leur transfert aux Archives nationales d’Éthiopie.
Tout ceci s’est déroulé dans la pleine logique des actions d’ASF : nous sommes et restons la dimension technique et bénévole de l’action. Les décisions à prendre sont prises par les acteurs locaux. Elles ne nous appartiennent pas. Pour assurer la pérennité de l’action, les acteurs locaux doivent s’entendre pour sauvegarder, ici en particulier la mémoire d’une des entreprises commerciales majeures de la région au XIXe siècle.
ASF en Éthiopie entre 2005 et 2011 a ainsi organisé quatre missions avec une dizaine d’experts qui ont consacré entre 2006 et 2010, près d’une centaine de journées de travail bénévoles en particulier pour assurer
 l’audit et les préconisations (une mission en 2006 et une en 2008)
 le traitement des fonds (deux missions en 2007 et 2010)
 un travail d’informations auprès de la compagnie sur le contenu des archives et les pratiques de travail avec lesquelles nous avons traité ces fonds
 un travail conjoint avec la NALE, référent éthiopien pour les archives, ceci en toute transparence avec la compagnie du chemin de fer.

L’archivistique
Pour accompagner notre démonstration, nous avons évoqué quelques principes de travail et d’organisation.
Les documents organiques
Concrètement, nous avons ainsi travaillé sur les organigrammes de la compagnie afin de pouvoir identifier les grandes missions, comprendre comment se répartissait la tache entre les deux directions d’Addis Abebas et de Djibouti. Là, où les missions étaient bien identifiées nous avons pu entamer un classement intelligible (alphabétique par exemple) mais en vérifiant s’il n’y avait pas un autre rangement qui aurait répondu à la logique du producteur.
Ce contexte de rangement lié à la production est essentiel, il doit être maîtrisé parfaitement par l’archiviste pour éviter une dérive dans le classement qui ferait perdre l’intelligibilité des fonds d’archives.
Le respect des fonds
Principe fondamental de l’archivistique, selon lequel chaque document doit être maintenu ou replacé dans le fonds dont il provient, et dans ce fonds à sa place d’origine. Il comprend trois notions connexes : le respect de la provenance, le respect de l’intégrité du fonds, le respect de l’ordre originel ou primitif.
C’est un des axes majeurs sinon la base de notre action, il nous conduit à agir en figeant les ensembles que nous mettons au jour en les inventoriant. Un ensemble massif peut faire l’objet de plusieurs bordereaux de versement pour des raisons de volumes trop importants éventuellement. Mais en aucun cas les dossiers ne doivent être mélangés physiquement à d’autres ensembles (avec un fonds du chemin de fer au ministère des transports par exemple). Ils seront rapprochés intellectuellement au travers d’outils que nous appelons « guide des sources ».
Parfois l’archiviste tombe sur un stock d’archives qui paraît vraiment rangé de manière incohérente, c’est ce que nous appelons un vrac. Il est à structurer prudemment. Les organigrammes du service producteur sont alors d’un très grand secours.
Nous progressons ainsi pallier par pallier jusqu’à la définition des unités à conditionner en liasses numérotées et à leur identification avec un minimum de contenu : titre, description, dates extrêmes (début et fin). Le bordereau de versement se rédige avec une ligne par liasse, en précisant les dates extrêmes. Le détail de chaque unité d’archives sera fait ultérieurement.
Le bordereau de versement est avant tout un outil de repérage. Il permet d’assurer à celui qui entamera une recherche administrative ou patrimoniale de travailler sur des objets cohérents. Il permet de revoir le fonds traité et de vérifier la cohérence de l’ensemble des dossiers et,le cas échéant, de remettre en jeu certains ordonnancements. Il permet aussi une première maîtrise en matière de logistique : comptabiliser un métrage linéaire de dossiers, évaluer la place nécessaire et le temps à dédier à un classement plus approfondi et s’assurer par un récolement régulier, de la présence ou le cas échéant de l’absence de certaines liasses. C’est donc avant tout un outil de maîtrise de la masse de papier concernée. Il précède la rédaction de ce que nous appelons un inventaire détaillé

Il nous paraissait important enfin, d’introduire dans notre présentation au cours de ce colloque, une réflexion autour de la dimension que peuvent conserver toutes archives pour leur propriétaire.
Ils sont seuls détenteurs de l’autorité sur ces documents.
Les archives sont la preuve de la possession d’un droit : droit de propriété ; elles peuvent aussi être liées à des intérêts financiers ou techniques. Pour une entreprise plus encore que pour l’État, toute action tourne autour d’une évaluation d’un risque qui se traduit par des conséquences financières qui peuvent avoir un impact sur sa pérennité. L’État tout comme les entreprises est dans cette même logique.
Le roi de France a pour cette raison choisi de sédentariser ses archives à partir du XIIe siècle pour les protéger. Il a jeté alors les fondements des archives nationales, tout au moins leur principe.
Les entreprises de leur coté l’ont fait très tôt également en raison de la dimension commerciale (banque) technique (entretien de bâtiments, plans de machines etc.) des documents. Les archives peuvent garder longtemps pour leur propriétaire un intérêt opérationnel.
La RATP dispose ainsi d’un service patrimonial qui conserve les plans des voies ferrées pour que le service technique de cette même entreprise, qui concentre son action et ses priorités sur le fonctionnement du métro en 2011, puisse disposer, grâce à l’action d’un service d’archives patrimoniales des informations sur la construction de ce dernier depuis 1898.
Il est donc nécessaire que ce propriétaire agisse faveur de leur protection dans son propre intérêt, que ce soit dans ses murs ou au sein d’institutions dont la mission première est de préserver ces documents. Ces institutions, la plupart du temps publiques, appartiennent bien sûr à la sphère des professionnels des archives : archives nationales, municipales. Elles doivent alors rassurer les entreprises concernées :
 par des conditions de stockage répondant aux normes définies par la profession,
 par une réelle disponibilité des fonds
 par une valorisation qui passe par leur exploitation, au delà du besoin de l’entreprise elle même, par l’intervention de chercheurs.
Dans le cas de la Compagnie du chemin de fer djibouto-éthiopien, les archives sont à présent à la croisée des chemins là où se retrouvent l’ensemble de ces acteurs : propriétaires éthiopiens et djiboutiens, mais aussi archivistes et chercheurs. ASF veillera avant tout à ne jamais perturber ce précieux équilibre et se tiendra prêt à accompagner tous les autres acteurs dans leur démarche.

Laurent Ducol a commencé sa carrière par une mission de deux ans aux Comores pour mener à bien un projet d’organisation des Archives nationales à la suite de plusieurs missions de la Direction des Archives de France depuis 1984.
A son retour d’Afrique, il a entamé en France, une carrière d’archiviste d’entreprises au sein du ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, puis successivement de trois entreprises dont la RATP en charge du transport ferroviaire et terrestre de la ville de Paris. Il travaille actuellement au sein du cabinet Ernst & Young (audit, commissariat aux comptes et société d’avocats). Après avoir été responsable du service Archives, il est depuis septembre 2009, directeur des Achats du cabinet. Il pilote ainsi toute la dimension externalisée des archives
Depuis 2010, il préside la section des archives économiques et d’entreprises de l’Association des archivistes français. Il a participé à la mission ASF de 2010 en Éthiopie.

Vincent Bouat est conservateur du patrimoine aux Archives nationales, section du Minutier central des notaires de Paris, où il est chargé des référentiels des bases de données afin de normaliser et optimiser l’accès aux 700 000 actes qui y sont analysés. Il est parallèlement responsable des cours de paléographie moderne à l’UPEC (Université Paris-Est Créteil). Enseigne de vaisseau de réserve, il a pris part dans ce cadre à la mise en place d’un plan de classement des archives courantes et intermédiaires de l’état-major opérationnel de la Marine. Il a également œuvré au classement du fonds français de la Bibliothèque de littérature étrangère de Moscou et des archives de l’École française d’Athènes. Il participe enfin aux fouilles archéologiques de Sissi (Crète) menées par l’Université de Louvain. Archiviste paléographe et titulaire d’un DEA d’Histoire, il poursuit une thèse de doctorat portant sur l’histoire religieuse et politique du domaine Armagnac entre le XIIIe au XVIIe siècle. Trésorier de la Société de l’École des chartes et membre de la section des archives centrales de l’Association des archivistes français.

 
Commentaires
Demande de renforcement de capacité sur l’archivage.
Le 21 mars 2017, par Mariam Sangare.

Je suis Madame Mariam Sangare,sous directrice des archives de la mairie de yopougon,la plus grande commune de la cote d’Ivoire.En effet, je veux adhérer a une association internationale d’archivistes pour participer à des formations et séminaires qui pourront m’aider à mieux gérer mon département.

 
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