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Présentation des conclusions du rapport d’évaluation par les pairs
par Mahdi A., mars 2018 (Human Village 32).
 

Après un accouchement difficile, ce matin, lundi 26 mars, a été présenté officiellement au palais du Peuple, les conclusions du rapport d’autoévaluation du Mécanisme africain d’évaluation par les pairs (MAEP) concernant la gouvernance du président Ismaïl Omar Guelleh en République de Djibouti. C’est un mécanisme audacieux, innovant, différent de ce qu’on a habituellement, avec une double évaluation qui consiste en une analyse globale très fouillée de la gouvernance. Elle porte sur quatre domaines de la gouvernance : gouvernance politique et démocratique ; gouvernance économique ; gouvernance d’entreprise ; et développement économique et social.
Cette analyse se fonde sur des études fiables réalisées par des instituts de recherche recrutés pour le mécanisme. Des enquêtes statistiques, des enquêtes sur le terrain, des sondages ont été réalisés. Tout cela a débouché sur l’élaboration du rapport. Vous l’aurez compris, le MAEP ne veut rien laisser au hasard. C’est un travail extrêmement sérieux et technique qui a été effectué par ces instituts de recherche. « L’évaluation faite dans le cadre du MAEP, lorsqu’elle est exempte de toute manipulation politique, a démontré sa pertinence dans plusieurs pays africains, notamment au Kenya où ses recommandations ont été prémonitoires face aux violences politiques interethniques qui ont suivi les élections présidentielles de 2007. À l’aube du 35e anniversaire de notre indépendance, le MAEP nous permettra de dresser un premier bilan complet du chemin parcouru jusqu’à aujourd’hui. Il mettra à jour nos atouts tout comme nos lacunes, et nous incitera à la recherche de solutions adéquates », estimait Aden Omar Abdillahi, chercheur au CERD [1].
L’objectif du rapport n’est pas uniquement de souligner les manquements, les insuffisances, mais aussi de mettre en avant les bonnes pratiques de chaque pays évalué. Alors le verre est-il à moitié plein… ou à moitié vide ? A écouter discourir le Premier ministre, Abdoulkader Kamil Mohamed, et le ministre des Affaires étrangères, Mahmoud Ali Youssouf, il semblerait qu’ils voient le verre à moitié-plein… Mais qu’en est-il réellement ?

Un président peut être épinglé, sa politique peut être critiquée
Contrairement aux idées reçues dans notre petit pays, le président peut être épinglé, sa politique peut être critiquée dans tel ou tel domaine, à charge pour lui de se défendre. C’est la gouvernance du président Ismaïl Omar Guelleh qui aurait été évaluée, sans complaisance et en toute indépendance. Mais comment parvenir à cet objectif de franchise lorsque la culture de la critique de la gouvernance fait défaut ? Pour répondre à ce questionnement, nous avons demandé son avis à Kojo Busia, responsable en chef du programme MAEP à la Commission économique pour l’Afrique (CEA) : « Aucune culture africaine n’a cet esprit d’autocritique. C’est pourquoi ce mécanisme d’apprentissage doit être placé au premier rang des priorités. Ce n’est pas facile. Aucun individu ne peut facilement accepter de faire son autocritique ou une critique de sa famille. C’est très difficile, et cela n’est pas unique ! Je ne pense pas que Djibouti soit différent, en ce sens, en termes de services. C’est un pays africain, mais chacun apprend, et la beauté du MAEP tient à ce processus d’apprentissage. Tout le monde apprend l’un de l’autre, et collectivement, et cela change notre culture de la transparence et de notre responsabilité vis-à-vis des citoyens. Même si l’autoévaluation n’est pas objective, même si elle n’est pas en tout cas aussi objective et équilibrée que souhaitée, la mission d’évaluation du panel continental permettra de trouver une solution équilibrée. Soyez convaincus que le rapport du pays qui sera présenté aux plus hautes autorités du pays, sera définitivement équilibré, même si le rapport d’auto-évaluation du pays tente de cacher quelque chose.
D’ailleurs, tout ce que l’on tentera de cacher sera un jour connu, d’une manière ou d’une autre. L’objectif consiste en définitive à obtenir une évaluation ouverte et honnête de vos faiblesses et de vos forces, et ensuite laissons l’extérieur juger […] Bien sûr, nous pouvons échouer, mais le plus important est d’apprendre pour aller de l’avant, et c’est exactement ce que je tente d’encourager. Ce n’est qu’un début, même pour Djibouti, chacun devra apprendre, tirer des leçons des succès et des échecs, et nos institutions pourront ainsi s’améliorer. C’est cela le futur de l’Afrique, c’est l’Afrique de demain et non celle d’hier ou d’aujourd’hui. » [2]. L’adhésion au MAEP est libre et laissée à l’appréciation de chaque pays qui souhaite tenter l’expérience. À partir du moment où l’on accepte les règles, il faut aussi accepter la critique !

La tentation du pouvoir absolu...
Le rapport d’évaluation relève de graves dysfonctionnements, en particulier que les capacités des mécanismes de contrôle et d’équilibrage des pouvoirs, ce que l’on nomme les corps intermédiaires, seraient marginalisées face à la prééminence de l’exécutif. Aucun champ d’action n’échapperait au pouvoir hypercentralisé et personnel du chef de l’État qui cumulerait toutes les casquettes. Les éminentes personnalités mettent en exergue un règne qui serait sans partage et où la séparation des pouvoirs est quasi inexistante. « Le Président de la République reste l’autorité dominante, du fait de son cumul des fonctions de Chef de l’État, Chef du Gouvernement, Chef suprême des forces armées, Président du parti régnant et Président du Conseil supérieur de la Magistrature ».
Le problème dans notre pays, est que l’on considère que la politique est réservée aux politiques, que les affaires de l’État ne concernent pas la population, comme si cette dernière était encore un enfant, et qu’elle ne peut réfléchir pour elle-même ni pour son pays. Le MAEP a été crée afin d’être porteur d’un certain nombre d’éléments de changement. Ce ne sont pas les citoyens contre les élus, mais une sorte de « new deal » qui va dorénavant régir les rapports entre les pouvoirs publics et la population. Les citoyens veulent être mieux informés, pour ce faire il appartient au gouvernement de trouver les moyens les plus appropriés afin de mieux échanger, mieux communiquer avec ses administrés. Pour l’heure c’est plutôt l’impression de ne pas compter qui prédomine, de ne pas avoir droit à la parole dans la prise des petites et grandes décisions politiques, économiques, et sociales… Comment expliquer cette situation ? Comment faire émerger une nouvelle citoyenneté dans ces conditions ?

« Si les faiblesses de la décentralisation constituent une préoccupation majeure quant à l’état de la démocratie et la gouvernance politique à Djibouti, plusieurs questions se posent au niveau central sur le processus de démocratisation dans un régime où le parti au pouvoir ressemble encore à un parti unique, où la séparation des pouvoirs est plus théorique que réelle, compte tenu d’énormes pouvoirs que la Constitution et la pratique politique accordent au Président de la République, et où le processus électoral est fermement contrôlé par le pouvoir. Les mécanismes de contrôle et d’équilibrage des pouvoirs sont encore impuissants face à la prééminence de l’Exécutif, et compte tenu de la faiblesse des médias et de la société civile dans la promotion et la défense des droits et libertés des citoyens.
XIII. Le Parlement arrive difficilement à exercer son rôle et ses prérogatives constitutionnelles de contrôle de l’action gouvernementale. Il élabore très peu de propositions de lois, du fait de la faiblesse de ses capacités. L’essentiel des lois provient des initiatives du gouvernement.
Pour promouvoir une véritable démocratisation de l’État djiboutien, il est indispensable de renforcer les capacités institutionnelles du Parlement et d’approfondir l’indépendance du système judiciaire ».

Interrogé dans nos colonnes, Abdoulatif Coulibaly, ministre sénégalais de la « bonne gouvernance » nous donnait son sentiment sur la question de la concentration du pouvoir en règle général : « Personnellement je ne pense pas qu’on puisse parler de développement dans un pays où le gouvernement, ou bien un seul homme pense vouloir faire le bonheur de son peuple à son insu et en dehors de toute possibilité à ce peuple de dire ce qu’il pense » [3].

Un constat s’impose, même si partager le pouvoir n’est pas chose facile, un effort conséquent devra être fait sur ce point afin d’encourager la prise d’initiative de tous les habitants… Dans le même ordre d’idées, on ne devrait pas faire de la prison ou subir des mesures coercitives pour avoir exprimé une opinion ou avoir abordé, dans un article de presse, des sujets délicats. La liberté de la presse devrait être une réalité... dans la pratique. Ceci explique sans doute cela, la presse est malheureusement trop absente du débat public et n’en rend pas correctement compte. Elle devrait mieux rendre publics des éléments de connaissance politique, techniques, juridiques, scientifiques permettant de mieux comprendre les enjeux des projets afin de permettre aux populations de n’êtres pas absentes des débats de société. Quel niveau de participation est-il reconnu au citoyen ?
« La liberté d’opinion et d’expression, qui est reconnue à chaque citoyen d’exprimer et de diffuser librement ses opinions par la parole, la plume et l’image, trouve ses limites en réalité. Une partie de la population a le sentiment que la liberté d’opinion et d’expression n’est pas suffisamment garantie par les pouvoirs publics. A la question “À votre avis, avez-vous la possibilité d’exprimer librement vos opinions sans être inquiété ?”, 55,3 % ont répondu par la négative contre 38,7%. En dehors des médias officiels, le pays se caractérise par l’absence d’une presse indépendante notamment de journaux privés. Toutefois, il demeure largement ouvert aux médias étrangers et à la presse internationale, à la fois audiovisuelle et écrite ». On ne peut apprécier la stabilité d’une société, lorsqu’une chape de plomb la recouvre.

Donner le pouvoir d’agir
Le document recommande notamment d’encourager les différents corps de métier à se réunir, à se fédérer, à s’organiser par groupement, par secteur, afin de devenir une force de proposition, de conseil, et de pouvoir se faire entendre par les autorités politiques. Ce constat est aussi valable en ce qui concerne la « société civile », qui brille par son absence comme force d’innovation, de transformation, de proposition… Pareillement, il préconise de renforcer la confiance des investisseurs par des réformes destinées à améliorer le climat des affaires, mais également de mettre l’accent sur l’amélioration des statistiques économiques pour soutenir la prise de décision des décideurs politiques. Enfin les éminentes personnalités ne manquent pas de saluer les mesures projetées pour rendre la croissance plus inclusive, comme la « vision 2035 ».

« XXIV. La République de Djibouti a besoin de procéder à une restructuration profonde de son économie en visant la diversification de ses activités industrielles et la création d’emplois. Elle dispose d’un potentiel non négligeable mais largement sous-exploité dans les secteurs de la pêche, du tourisme, des énergies renouvelables dont l’énergie géothermique. La résorption du chômage qui frappe 48,40% de la population djiboutienne ne sera possible qu’à travers l’adoption des réformes ciblant particulièrement les micro et PMEs, pour résoudre leurs problèmes d’accès au crédit et pour améliorer leurs capacités managériales.
XXV. La MAEP constate avec satisfaction que le Gouvernement a conçu des programmes pour restructurer son économie et réduire sa dépendance à l’égard des activités à forte intensité capitalistique dans les infrastructures portuaires et dans les transports. Encore faudra-t-il créer une intégration des PME en amont et en aval de ces grands projets d’investissements envisagés, y compris dans l’exploitation des ressources naturelles du pays.
XXVI. Le pays doit également résoudre rapidement la problématique des lourdeurs administratives et judiciaires, en procédant rapidement au renforcement des capacités de l’administration et luttant contre l’impunité car, même si le secteur privé est unanimement reconnu comme étant le moteur de développement, celui-ci ne peut pas se développer sans que l’État lui crée un environnement et un cadre législatif et règlementaire incitatifs ».

Recommandations
Il alerte le gouvernement sur de nombreux fléaux qui le guettent comme son exposition à la corruption, au non respect des textes et le blanchiment des capitaux. Il constate que, bien que les revenus tirés des rentes d’emprises militaires étrangères sur le sol national ou des activités portuaires, soient très élevés, 42% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, et environ 50 % est au chômage. Aussi, il souligne l’urgence de lutter contre la pauvreté, et l’exclusion afin de prévenir des situations d’instabilité, ainsi que la nécessité de renforcer les capacités de « suivi évaluation des programmes de développement ». Il encourage par ailleurs les autorités à apporter une attention particulière aux poches vides, en engageant à la mise en place rapide de mesures d’assistances ciblant plus spécifiquement les plus démunis, les plus vulnérables, mais aussi d’impliquer davantage les organisations communautaires dans « des démarches de proximité », etc.
« La situation commande aux pouvoirs publics de renforcer la solidarité envers les plus démunis, à travers des mécanismes de prévention et de correction des ségrégations sociales et territoriales qui développent çà et là. C’est le sens même du développement durable, un modèle qui rejette l’exclusion, qui promeut l’égalité d’accès aux services de base et qui met les individus et les groupes sociaux vulnérables à l’abri de la marginalisation. L’inclusion constitue, par conséquent, un choix fondamental du modèle social souhaité pour Djibouti. »

On notera que ces recommandations des pairs n’ont pas de caractère contraignant et que le gouvernement peut les appliquer ou non… C’est à sa guise ! C’est la raison pour laquelle le rapport doit être diffusé le plus largement au niveau national, pour que les acteurs de la gouvernance se l’approprient. Puisqu’il y aura des rapports tous les deux ans, le chef de l’État devra se soumettre à nouveau à l’évaluation pour mesurer les progrès réalisés par le pays. Il doit servir d’instrument important de base pour interpeller le gouvernement sur la gouvernance. La participation est un droit, même si, force est de constater que, dans la pratique, ce n’est pas gagné d’avance.
Malheureusement le MAEP est mal en point. Cette structure continentale qui devait servir de référence de modèle en matière de gouvernance démocratique en Afrique, de transparence dans la gestion des affaires des États, de moralisation de la vie publique et de bonne gouvernance, a été ébranlée par des malversations financières commises par des individus peu scrupuleux tapis à l’échelon supérieur.
« Le MAEP pose des principes, des objectifs à atteindre, c’est un exemple qui tend à dire aux Africains comment faire pour avoir une gouvernance plus transparente et plus à l’écoute des citoyens. Mais il faudrait que le MAEP soit lui même un modèle de bonne gouvernance. Ce n’est pas encore gagné ! », nous confiait Abdoulatif Coulibaly, ministre sénégalais de la « bonne gouvernance » [4].

On conviendra que le MAEP n’est pas la solution miracle, mais un pas dans la bonne direction…

Mahdi A.

Note : les citations sans autre référence sont extraites du rapport.


[1« Noter le travail des dirigeants africains… c’est possible ! », Human Village, janvier 2012.

[4« Abdoulatif Coulibaly… », op. cit.

 
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