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Recep Tayyip Erdoğan, le Magnifique à Djibouti
par Mahdi A., janvier 2015 (Human Village 22).
 

Recep Tayyip Erdoğan a prononcé samedi dernier, 24 janvier, un discours solennel d’un peu plus de trente minutes au parlement devant la représentation nationale toute entière réunie pour l’occasion. L’homme fort de Turquie était bien sûr très attendu. Et force est de constater que Recep Tayyip Erdoğan a placé la barre très haute pour répondre à cette attente. Les membres du gouvernement, l’ensemble de la représentation nationale et les nombreux membres de la délégation turque, composée entre autres de six ministres, de parlementaires, de plusieurs grands chefs d’entreprises, ont applaudi à tout rompre à plusieurs reprises l’intervention. Ce fut un discours très imprégné de références religieuses qui a su toucher l’auditoire : il a conquis les cœurs et les esprits.

Il a débuté son intervention en rappelant que les liens entre la Turquie et la République de Djibouti sont très forts et reposent sur des liens historiques et des valeurs musulmanes identiques. « Pour nous, cette visite apporte les retrouvailles que nous attendions et qui nous manquaient. Ces liens historiques communs remontent à plus de quatre cents ans, c’est le fondement le plus solide de notre fraternité. Une fraternité renforcée par l’histoire », a t-il ajouté.
Il a en outre souligné la communauté de civilisation qui unit nos deux peuples en insistant sur les liens religieux et l’amour que les deux peuples portent au prophète Mohamed. Il a dit par ailleurs qu’il était d’autant plus heureux d’être ici que notre pays compte « le second lieu de prière à abriter un double dôme après Médine, cela en fait un des lieux symboliques de l’histoire de notre civilisation. Nos ancêtres ont vécu des siècles en paix sur cette terre de Djibouti. Cette fraternité ancestrale doit être protégée dans les bons jours comme dans les mauvais ».

Sur le plan économique, il a salué le succès de l’économie djiboutienne sous la conduite du président Ismail Omar Guelleh qui a su créer de formidables opportunités pour la République de Djibouti. Il a su changer le cours de la roue économique et sociale du pays : « Votre pays sous le leadership et la conduite de votre président, mon ami Ismail Omar Guelleh, progresse à pas certains vers la prospérité : Djibouti, un pays stable et situé sur une place stratégique, est également fiable ».
À propos des conflits régionaux et de l’instabilité régionale que connaissent à proximité de leur frontières les deux pays, il a indiqué que nos « situations étaient similaires avec un environnement régional difficile. Nous sommes deux modèles en termes de stabilité. La Turquie et Djibouti vivent dans des zones géographiques difficiles. Nous sommes des éléments de stabilité pour nos régions respectives. Mais l’instabilité qui nous entourent, ainsi que les actes de terrorisme, impactent durement nos deux pays ».
« Il y a beaucoup de responsabilités tant pour Djibouti que pour la Turquie dans le domaine des relations internationales. Nous devons faire face aux difficultés liées à ces géographies rudes et dans le même temps nous devons continuer à rester des éléments de stabilité dans nos régions respectives ».
Il a salué le rôle joué par Djibouti pour contribuer à résoudre la crise en Somalie. Pareillement il salué le pacte du 30 décembre entre la majorité et l’USN qu’il a considéré comme un acquis pour le pays, la démocratie, et le Parlement.
« L’ouverture d’ambassades dans nos pays respectifs a été fructueux pour le renforcement de nos liens et je suis convaincu que les accords commerciaux que nous venons de signer ce matin avec le gouvernement, permettront d’intensifier nos relations économiques. Nous avons décidé de créer une zone économique spéciale qui va renforcer la prospérité de Djibouti et développer notre coopération. Cette zone spéciale va apporter de la richesse pour votre pays et créer de nombreux emplois ».

Il a par ailleurs mis en exergue la volonté de la Turquie de raffermir les liens et les relations culturelles avec le continent africain, notamment à travers l’octroi de bourses universitaires aux étudiants. Cette coopération dans le domaine universitaire a pour objectif de former des cadres de qualité pour accompagner le développement du continent. Elle vise également l’amélioration des relations culturelles et les échanges entre la Turquie et l’Afrique. Il s’agit de nouer des liens forts dès le plus jeune âge. « Il y a 3500 étudiants boursiers africains qui étudient en Turquie, dont 65 sont des étudiants Djiboutiens qui ont reçu des bourses pour étudier en Turquie. Comme je l’ai indiqué au président Guelleh, nous sommes disposés à faire passer à 100 dès la rentrée universitaire prochaine ce nombre d’étudiants ».
Concernant les relations diplomatiques avec le continent, il a indiqué à la Représentation nationale que la Turquie, il y a dix ans, ne disposait que de douze représentations diplomatiques sur le continent. Aujourd’hui, le pays du Bosphore en compte trente-neuf.
« Notre volonté de raffermir ces liens se manifeste également à travers la présence de notre compagnie aérienne nationale, Turkish Airlines. Elle relie actuellement la Turquie à quarante points géographiques en Afrique », et il a ajouté « que depuis ce matin les vols à destination de la Turquie sont passés à un vol par jour. J’ai informé le président Guelleh que Turkish Airlines est disposé à multiplier par deux les vols à destination de votre pays, c’est à dire passer à quatorze vols par semaine ».
Si Erdoğan est unanimement crédité de la forte croissance économique qui a accompagné les douze ans de règne de son parti, il a oublié de préciser que la croissance économique a été divisée par trois ces deux dernières années. La trop grande dépendance de l’économie turque à l’égard de l’Union européenne ou des États-Unis, a eu pour effet que son économie est en berne à la suite de celles des pays occidentaux. D’où la recherche par la Turquie d’Erdoğan de nouveaux marchés où investir, où l’herbe serait plus verte, afin de ne pas dépendre entièrement de l’économie des pays riches. C’est la raison pour laquelle la Turquie voit désormais l’Afrique comme étant un potentiel partenaire économique et qu’elle encourage ses entreprises nationales à investir et à créer des relations économiques avec le continent. Il faut savoir également que la Turquie a perdu le marché égyptien qui lui a été fermé suite au soutien immodéré apporté par Erdoğan aux Frères musulmans et au président renversé, Mohamed Morsi.
Enfin dernier élément expliquant cette ouverture nouvelle de la Turquie sur le reste du monde, la procédure d’intégration de la Turquie à l’Europe qui n’avance pas aussi vite que le souhaiterait la population turque. Au fond, Erdoğan est convaincu que l’Europe ne souhaite pas voir un pays musulman intégrer un Occident judéo-chrétien.

Faisant un pied de nez à Nicolas Sarkozy il a récusé indirectement le fameux discours de Dakar sur le rôle de l’Afrique dans l’histoire, assurant que « personne ne doit douter sur le fait que l’Afrique va s’installer au centre du XXIe siècles. Les plus grandes économies du monde sont noyées dans des crises et le développement de l’Afrique se maintient comme une preuve que vous êtes supérieurs ».

La seconde partie de son intervention a été la plus remarquée. Il a prononcé un discours à charge contre les sociétés occidentales et le système des Nations unies. Il a utilisé cette tribune au Parlement djiboutien pour dénoncer également les méfaits de la colonisation passée, et aussi actuelle. Il a estimé que l’injustice, le pillage et l’exploitation des richesses du continent devaient cesser immédiatement. Il a exhorté les pays du continent « à parler d’une même voix afin de dire que cela suffit. Il est temps de dire que notre travail doit donner ses fruits. Les temps de l’exploitation sans vergogne de l’Afrique sont révolus » a-t-il asséné.
Lorsqu’il parle de colonisation « actuelle », il est plus que probable qu’Erdoğan fait allusion à la Chine, que la Turquie considère comme son principal concurrent sur ce marché africain. Par ailleurs il a estimé que l’Afrique est un continent plein de richesses, de potentialités de croissance, et le succès qu’elle connait aujourd’hui s’explique notamment par l’affection et l’amour que les Africains portent au prophète Mohamed, estimant qu’il ne peut y avoir « de bons résultats sans l’affection et l’amour de Mohamed ». La religion n’est jamais loin dans sa plaidoirie : de Dieu émanerait tout.
Notre civilisation « ne cherche pas à s’élever en marchant sur les autres. Nous rejetons tout cela ». Ajoutant que « dans notre civilisation il n’y a pas d’arrogance. Il y a avant tout de la modestie et de la générosité. Nous considérons que celui qui a le ventre rempli, et qui regarde son frère affamé, n’est pas des nôtres. C’est cette proximité de civilisation qui déterminent la profondeur des relations que nous entretenons qu’elles soient régionales ou internationales ».
Il dénonce l’égoïsme des « sociétés judéo-chrétiennes ». Il souhaiterait que les civilisations musulmanes soient plus solidaires entre elles. Il est évident qu’Erdoğan tourne définitivement le dos à la laïcité prônée par Atatürk pour la Turquie.
« Nous ne pouvons pas dire que Jérusalem ne nous concerne pas ; nous ne pouvons pas dire que la bande de Gaza nous ne concerne pas ; nous nous ne pouvons pas dire que la Palestine ne nous concerne pas. La pauvreté en Somalie, la tristesse de nos frères et sœurs de Myanmar, le drame des enfants qui meurent de froid ou de famine en Syrie, nous ne pouvons pas rester les poings et les pieds liés devant tout cela ».
« À Damas, à Badgad, à Kaboul, des enfants, des personnes âgées, des femmes, des innocents, sont assassinés tous les jours. Nous ne pouvons pas rester silencieux et sans réaction face à ces situations. Avec l’aide de Dieu nous allons continuer à protéger nos sensibilités de la manière la plus forte. Nous allons continuer à accomplir le devoir que nous impose notre civilisation. Nous allons continuer à poser le sceau de l’amour sur tous les problèmes régionaux et globaux que nous rencontrerons. Nous allons utiliser tous les moyens dont nous disposons pour continuer à être un allié puissant et fiable du continent africain afin que cette région soit en paix et qu’elle connaisse enfin la prospérité et la stabilité ».
Le leader turc se positionne sur la scène internationale en chef de file des défenseurs du droit des musulmans opprimés. Il propose une forme de parapluie turc face à ces défis multiples. Il a une vision manichéenne du monde.
Avec la même indépendance de ton, il a poursuivit en prononçant des critiques très vives à l’égard de l’Europe, notamment leur refus d’accueillir des réfugiés syriens, alors que la Turquie a recueilli 1,7 millions de Syriens, le Liban autant, et la Jordanie un million.

« Mais tous ces Européens qui parlent tout le temps des droits de l’homme, savez-vous combien de Syriens ils accueillent ? Leurs portes sont fermées. Ils ont accueilli à peine 130 000 Syriens. Mais de l’argent vous en avez pourtant ? Vous êtes riches ; alors pourquoi n’accueillez-vous pas ces syriens qui vivent sous les bombes ? Pourquoi n’ouvrez-vous pas vos portes plus grandes et où sont les droits de l’homme ? Que faites-vous de la Déclaration universelle des droits de l’Homme ? »
Il a déclaré : « eux ne se soucient pas de nos problèmes. Nous, nous sommes aux côtés des victimes ; c’est notre devoir d’agir en tant qu’êtres humains mais également en tant que musulmans. C’est ce que nous essayons de faire ; nous continuerons à soutenir les plus faibles. Nous avons dépensé à ce jour 5,5 milliards de dollars pour les réfugiés syriens. Vous savez combien la communauté internationale nous a apporté en contribution pour aider ce peuple en souffrance, 250 millions de dollars ».
L’ensemble de la rhétorique développée par l’homme fort de Turquie repose sur des valeurs morales et religieuses. Il a dressé le tableau d’un monde qui opposerait deux civilisations : la judéo-chrétienne et l’islamique. On note très clairement chez lui un rejet de l’« Occident judéo-chrétien » et un mépris total envers une Europe vieillie et égoïste qui regarde sans réaction les situations où des communautés musulmanes souffrent d’injustices ou d’atrocités.
« Ou sont les Nations unies ? Qu’ils existent ou pas nous nous continuerons à faire le nécessaire. Dieu nous le donne au centuple. Il y a douze ans la Turquie ne consacrait que 45 millions de dollars à l’aide au développement. Aujourd’hui, grâce à Dieu, nous avons décuplé ce chiffre. Nous avons porté notre aide au développement à 4,5 milliards de dollars. Nous agissons ainsi car la main qui donne est plus bénéfique que la main qui reçoit. Dieu nous a récompensés. Notre économie a triplé. Quand nous sommes arrivés au pouvoir notre produit intérieur brut était de 230 milliards, aujourd’hui il est de plus 800 milliards de dollars US. Quant à nos exportations elles étaient de 36 milliards, aujourd’hui elles ont dépassé les 158 milliards de dollars ».

En conclusion de son intervention, il a indiqué que cette année son pays va présider le sommet du G20 qui se tiendra en novembre en Turquie. Il a dit à propos de cet évènement qu’il y défendrait les positions et les idéaux de justice, et de solidarité envers les plus démunis. Bref il présente la Turquie comme un grand pays qui a son couvert à la table des grandes nations. Il se propose d’être le porte-parole des pays de même civilisation, des pays en voie de développement. La Turquie serait donc, sous la conduite d’Erdoğan le Magnifique, une sorte de héraut et défenseur du monde musulman.

Enfin, alors que la pratique de l’Islam politique est interdite dans notre pays, car on estime que ce mélange de genre est nuisible à la démocratie du fait notamment de l’instrumentalisation qui pourrait en être faite, on peut s’interroger sur les égards rendus à un président issu d’une mouvance islamiste et dont le parti, l’AKP, est considéré comme très conservateur.
Nous serions nous trompés ? Religion et politique sont-elles les deux faces d’une même pièce de monnaie comme Erdoğan a essayé, avec une grande détermination il faut le reconnaître, de nous le démontrer ?

Mahdi A.

 
Commentaires
Recep Tayyip Erdogan, le Magnifique
Le 27 janvier 2015, par Doualeh egueh ofleh.

Il a surtout montre aux dirigeants politiques qu’il faut travailler, croire et penser aux pauvres au lieu de s’enrichir illégalement.


Recep Tayyip Erdogan, le Magnifique
Le 27 janvier 2015, par moumin farah moumin.

Très bon article de Mahdi Ahmed sur le premier ministre turque ou la vision d’un homme et d’un seul permet de tout changer.


Recep Tayyip Erdogan, le Magnifique
Le 27 janvier 2015, par Abass O.Chirdon.

Face a un monde définitivement contre eux : le monde musulman et sans leadeur. Le Pres. Recep Tayyip Erdogan se veut le porte parole. Dans son discours il souligne que les peuples de même civilisation doivent s’entraider a tous les niveaux, politique, économique, militaire. A mon avis, je pense que son approche se veut plus pragmatique dans un premier temps et qu’elle dépasse le niveau théorique. Aide au Développement Economique des pays pauvres par le Construction immédiat de logement, d’aéroport, de zone économique spéciale etc.

Dans un deuxième temps, Le Président, veut une approche participative. Par exemple Participer aux décisions économiques Internationales. C’est pour cela que dans le prochain sommet du G20 en Turquie, il va mettre sur la table sa vision des problèmes qui déchirent les mondes aujourd’hui.


Recep Tayyip Erdogan, le Magnifique
Le 28 janvier 2015, par Mohamed Ali Houmed.

Erdogan a bien compris que Djibouti est la porte d’entrée sûr pour atteindre le cÅ“ur de l’Afrique.....


Recep Tayyip Erdogan, le Magnifique
Le 31 janvier 2015, par Ilwad E. .

La visite du President turc dans la corne de l’Afrique a bien marqué les esprits. Erdogan utilise sa carte de rassembleur et de défenseur des droits pour s’approcher du continent. L’avenir nous dira si sa visite aura la répercussion escomptée sur Djibouti et ses voisins...

 
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