Human Village - information autrement
 
Deux conteneurs d’armes interceptés par les Éthiopiens
par Mahdi A., mars 2020 (Human Village 38).
 

Selon une information rapportée par la presse éthiopienne, le 10 de ce mois les services de renseignement (NISS) auraient intercepté deux conteneurs de marchandises, dont les manifestes mentionnaient du matériel électronique. Une fouille en règle aurait permis de débusquer des armes légères et des munitions en quantités importantes dissimulées parmi les produits déclarés.

« Le Service national éthiopien de renseignement et de sécurité (NISS) a déclaré hier dans un communiqué qu’il avait repéré un réseau mondial de contrebande d’armes chargé d’envoyer deux conteneurs d’armes à feu illégales en Éthiopie via Djibouti. Selon une déclaration du NISS publiée par les médias affiliés à l’État, l’expédition des armes venait du port de Mersin, en Turquie. Les conteneurs sont passés par Djibouti où ils sont restés plus de cinq mois avant d’être introduits en Éthiopie. Quelques 501 boîtes d’armes contenant plus de 18 000 pistolets de fabrication turque et valant plus d’un demi-milliard d’ETB ont été interceptées puis confisquées. Les 229 colis de matériel électronique qui servaient à cacher l’expédition des armes ont également été saisis, selon le communiqué, qui ajoute que le NISS surveillait de longue date ce réseau. À la suite de cette interception, le NISS a déclaré avoir appréhendé 24 personnes soupçonnées d’être impliquées dans cet envoi d’armes et que d’autres enquêtes étaient en cours. » [1].
Addis Standard ajoute que l’enquête n’allait pas en rester là, le gouvernement était décidé à démanteler l’organisation de cette affaire ainsi que ses ramifications internationales. D’ores et déjà, sept personnes de nationalité étrangères auraient été identifiées par les enquêteurs du NSII, dont deux ressortissants soudanais appréhendés grâce au concours précieux des services spécialisés soudanais. Pour démêler la pelote de laine de ce trafic, et ses complicités à l’extérieur, le NISS a indiqué collaborer étroitement avec ses homologues djiboutiens, soudanais, libyens, américains.

Les choses auraient pu en rester là et l’affaire suivre son cours comme d’habitude entre services spéciaux habitués à collaborer. Cependant, l’intervention sur les ondes de la BBC hier, vendredi 13, du président de l’Autorité des ports et des zones franches (APZFD), Aboubaker Omar Hadi, révèle un certain attentisme de la part des autorités djiboutiennes. Il précise en effet que les autorités portuaires djiboutiennes restent en attente des références des deux conteneurs incriminés qui auraient transité par les ports de Djibouti. Aboubaker Omar Hadi explique avoir relancé le directeur de l’Ethiopian Shipping Lines (ESL) lors d’un entretien téléphonique jeudi 12 mars, afin d’obtenir la transmission d’éléments essentiels pour faire avancer l’enquête. D’autant plus que les containers seraient restés cinq mois au terminal de Djibouti avant de partir pour l’Éthiopie. Djibouti souhaite faire toute la lumière et mener sa propre enquête pour déterminer comment ces faits ont pu se produire, tout en vérifiant les éléments avancés. Rendre publique l’absence d’entraide entre les deux entités, APZFD et ESL, laisse penser, malgré l’affirmation de la NISS, que les limiers de la SDS n’ont pas d’éléments tangibles concernant cette opération criminelle. Comment comprendre cette rétention d’information de la part de la partie éthiopienne ?

À la question de savoir comment cette opération illégale a pu être réalisée sans que l’opérateur portuaire s’en aperçoive, Aboubaker Omar Hadi a répondu qu’en l’état des éléments en sa possession, ces conteneurs seraient rentrés sur le territoire djiboutien sans être identifiés comme contenant des armes. Il estime que la réputation de l’infrastructure portuaire ne peut pas être entachée par cette cargaison dissimulée dans d’autres produits, du fait qu’il est impossible techniquement de contrôler le contenu de tous les conteneurs déchargés sauf à ralentir considérablement la chaine de transport. Son organisation décharge les conteneurs en se basant sur les documents de connaissement, qui sont présumés conformes. Il ajoute que si les conteneurs étaient en multimodal, il est du ressort d’ESL de répondre aux questionnements, cette entreprise étant alors été en charge de l’acheminement de bout en bout, c’est-à-dire depuis le port turc jusqu’à son client final en Éthiopie. En outre, le paiement des produits commerciaux contenus dans les deux conteneurs destinés au marché local a nécessairement été transféré – du fait du contrôle des changes - par l’intermédiaire des banques éthiopiennes. Ces dernières seraient donc plus à même de lever le voile sur une partie des commanditaires de cette cargaison. En précisant ces éléments, le président du DPFZA veut rétablir les responsabilités de chacun.

Une analyse des responsabilités juridiques d’un opérateur portuaire semble donner raison à Aboubaker Omar Hadi. « L’opérateur [portuaire] qui prend en charge un conteneur, en devient juridiquement responsable. Cette prise en charge est consécutive à l’accomplissement de plusieurs opérations de contrôle. A l’entrée du conteneur sur terminal, l’opérateur a pour mission de recevoir et reconnaitre la marchandise. Pour ce faire, il procède au pointage et à l’examen extérieur des conteneurs.
Car si le transporteur maritime est censé vérifier le contenu du conteneur, et qu’il a la faculté de procéder à son ouverture à tout moment pour vérifier l’état de la marchandise, l’opérateur de terminal n’a pas cette faculté. Le transporteur qui accepte délibérément de ne pas procéder au contrôle de la marchandise empotée, accepte implicitement de faire confiance aux déclarations du chargeur sur le document de transport.
Le transporteur peut décider de taxer le fret en fonction de la nature de la marchandise. En revanche, l’opérateur [portuaire], généralement payé « à la boite », n’a pas la liberté de décider de l’ouverture d’un conteneur. Il a pour mission de restituer le conteneur dans l’état dans lequel on lui a confié. L’opérateur ignore donc le nombre, l’état et le poids des colis contenus dans les conteneurs dont il a la charge.
 » [2].

Enfin Aboubaker Omar Hadi a, dans une réaction indignée, tenu à affirmer qu’il ne pouvait laisser dire sur les réseaux que Djibouti chercherait à déstabiliser ou saper le processus de réconciliation en cours en Éthiopie. Il rappelle une vérité toute simple : l’essor économique de Djibouti est intrinsèquement lié à la croissance éthiopienne, sans compter les autres conséquences sécuritaires, humanitaires, ou migratoires qu’occasionneraient un déraillement du géant éthiopien dont la population est de l’ordre de 110 millions d’habitants... La part du fret éthiopien dans l’ensemble du trafic national a représenté 87,17% en 2017, et 93,55% en 2018. Ces données corroborent les affirmations d’Aboubaker Omar Hadi : pourquoi Djibouti participerait à alimenter en armes un quelconque conflit dans la région ?, cela reviendrait à se faire soi-même hara-kiri. Bref, il veut mettre fin aux spéculations et élucubrations nauséabondes de ceux qui veulent nuire à la qualité de la relation entre les deux États. Demandons-nous d’ailleurs qui pourrait tirer profit d’une dégradation de la relation commerciale entre les deux voisins ? Comment expliquer que cette étrange affaire de cargaison d’armes émerge, comme un cheveu sur la soupe, et fasse la une des journaux, au moment le moins opportun pour Djibouti, puisque les infrastructures portuaires doivent - drôle de coïncidence - être soumises à une inspection par les gardes-côtes américains (Departement of Homeland Security) du code ISPS (International Ship and Port facility Secutity) dans une dizaine de jours, le 23 mars. Pour rappel, des restrictions de sûreté (ISPS) aux navires à destination des États-Unis depuis les ports de Djibouti avaient été imposées par les gardes-côtes américains, à l’exception de deux d’entre eux : le Doraleh Container Terminal (DCT) et le Doraleh Oil Terminal (Horizon), il y a un an, le 30 mai 2019. Djibouti escompte récupérer ses lettres de noblesse, dans la foulée de ce prochain contrôle pointilleux relatif au respect des directives ISPS. Quelles conséquences pourraient avoir ces deux conteneurs retrouvés chargés d’armes à la veille de l’arrivée des inspecteurs des gardes-côtes américains sur l’appréciation que ces derniers doivent délivrer ? Dans la guerre des ports qui fait rage, la concurrence portuaire régionale peut se frotter les mains : cet extraordinaire hasard de calendrier pourrait bien lui être favorable. Quel est le rôle de l’Éthiopie dans cette tambouille ? Pourquoi tarde-t-elle à communiquer les éléments qui pourraient peut-être révéler une grotesque manipulation de mains extérieures pour nuire aux intérêts de notre pays ? Comment expliquer que les scanners des douanes éthiopiennes installés à Galafi, Milhé, ou encore Awash, n’aient pu déceler les produits illicites lors des inspections effectuées pourtant systématiquement, par ces derniers ? La teneur de l’audience de notre ambassadeur plénipotentiaire à Addis Abeba, Mohamed Idriss Farah, avec le ministre des Affaires étrangères de notre grand voisin, vendredi 13, a très probablement porté sur ces questions en suspens. Djibouti réclame une transparence sur les tenants et aboutissants de ce qu’elle estime être - jusqu’à preuve du contraire - une cabale montée de toute pièce.

On ne peut passer sous silence le débat nécessaire qu’il faudra tenir pour renforcer la surveillance, comme par exemple décider d’augmenter le pourcentage de conteneurs sélectionnés aléatoirement pour un contrôle plus approfondi. On pourrait également s’équiper en prévision des coups tordus de la concurrence en matériels pour effectuer par les douanes une sorte de radioscopie de tous les conteneurs ou véhicules en transit à l’aide d’outils performants, comme des rayons X, gamma ou neutrons, qui permettent de voir à travers les conteneurs les plus épais. Ce contrôle ne prend que quelques minutes et réduit à peine le temps de passage et donc maintient la compétitivité. Djibouti ne peut plus se permettre de laisser subsister la moindre faille. Nous sommes confrontés à ce qui est, ni plus ni moins, une guerre économique. N’ayant pas peur des mots !

Mahdi A.


 
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