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Le Somaliland, sixième État fédéré de Somalie ?
par Mahdi A., septembre 2019 (Human Village 37).
 
Cartographie : Monde diplomatique

Le Somaliland, ancienne colonie britannique, s’est autoproclamé indépendant de la République de Somalie le 18 mai 1991. C’était auparavant une des dix-huit régions administratives de ce pays. Depuis lors, cette contrée considérée comme « renégate » par Mogadiscio, n’a eu de cesse de militer activement auprès de la communauté internationale pour faire reconnaitre son indépendance. Force est de reconnaitre que, malgré quelques succès tangibles - sécuritaires, démocratiques – et un potentiel considérable, le Somaliland peine à s’extirper de la pauvreté. Son essor reste tributaire de l’acceptation de sa sécession par la République fédérale de Somalie, ce qui n’est absolument pas à l’ordre du jour !

Nullement défaitiste, le Somaliland s’est évertué à travers des cheminements clair-obscur, à devenir membre à part entière des Nations unies. Pas une mince affaire, comparable au supplice de Tantale… En effet, il s’agit d’obtenir le soutien de neuf membres du Conseil de sécurité sur quinze, dont impérativement les cinq membres permanents, avant d’obtenir l’accord d’une majorité des 193 pays membres lors d’un vote en assemblée générale.
La dernière résolution du Conseil de sécurité sur la question somalienne (n° 2472/2019, du 31 mai 2019), ne laisse pas subsister le moindre doute sur la position onusienne par rapport aux velléités sécessionnistes somalilandaise. Le préambule de la déclaration met les points sur les « i » une fois pour toute en « [r]éaffirmant son attachement à la souveraineté, à l’intégrité territoriale, à l’indépendance politique et à l’unité de la Somalie ». Les rêves somalilandais viennent-ils définitivement d’être balayés par cette instance onusienne ? Les autorités gouvernementales somalilandaises, qui n’en sont pas à leur première déconvenue, ont bien conscience que ce dernier revers, conjugué à l’intensification des pressions, y compris de ses alliés les plus proches, dans cette phase considérée comme un « tournant critique », peut s’avérer fatal. Le seul soutien des Émirats dans la poursuite de cette quête, parait bien mince. La reprise sera plus tendue, moins aisée qu’à l’ordinaire…

Le Conseil de sécurité a son agenda et semble bien décidé à le mener à terme dans les délais impartis. Le « plan de transition » de la République fédérale de Somalie - qui prévoit une union de six États fédérés incluant le Somaliland - se met irrémédiablement en branle. Le Somaliland peut-il s’en dissocier, au risque de voir l’étau se resserrer et ses frontières, ainsi que ses espaces maritimes et aériens, être fermées ? Cette situation rend le statu quo intenable...

Donald Y. Yamamoto

Rebâtir la Somalie sous la férule américaine
Les États-Unis d’Amérique sont déterminés à appuyer la refondation des institutions nationales somaliennes et à rétablir l’autorité fédérale sur l’ensemble du territoire, quitte à taper du poing sur la table si nécessaire. Les déclarations de Donald Y. Yamamoto, alors candidat au poste d’ambassadeur en Somalie, devant le comité sénatorial des relations extérieures, le 23 août 2018, sont éclairantes. Pour lui, les indépendances ne sont absolument pas inscrites dans l’agenda américain. Bien au contraire, il a loué « la réémergence d’un système de gouvernance fédéralisé dans un pays qui a commencé à s’affirmer en tant que partenaire interne et internationale légitime et crédible. Le gouvernement fédéral de Somalie (FGS) et ses États membres travaillent ensemble pour élargir la gouvernance […] ».
Il a notamment assuré que, s’il était confirmé dans sa fonction, il s’attèlerait entre autres à « construire des institutions démocratiques et des structures de gouvernance, notamment en aidant le gouvernement somalien à organiser des élections générales directes en 2020/2021. Des élections “une personne, une voix” seront essentielles pour transférer l’influence politique des courtiers au pouvoir ». La réouverture de l’ambassade américaine à Mogadiscio, fermée depuis vingt-huit ans, le 5 décembre 2018 par l’ambassadeur Yamamoto après la confirmation sénatoriale, témoigne de la détermination américaine. Ce dispositif diplomatique, couplé à un engagement militaire sans précédent depuis l’opération Restore Hope (1992), peut donner l’impression que l’objectif de « réémergence d’un système de gouvernance fédéralisé » sera mené au pas de course, sous « pression maximale », et probablement avec la finesse d’un bulldozer.
Aline LeBoeuf, chercheuse à l’Institut français des relations internationales (IFRI) semble confirmer cette analyse dans une publication récente. Elle insiste sur les moyens militaires déployés pour contribuer à la pacification du pays et retirer aux shebabs les zones encore sous leur domination. Au point, d’ailleurs, d’en faire le premier théâtre d’intervention du commandement militaire américain pour l’Afrique (AFRICOM). « De 50 conseillers en 2016, l’effectif américains est passé à plus de 500 militaires en 2018. Les premières frappes de drones dans le pays ont eu lieu en 2011. […]. Leur nombre est ainsi passé de 34 frappes en 2017, à 47 en 2018, et à 41 pour les six premiers mois de 2019, contre seulement 14 en 2016 » [1].
Cet intérêt pour la revitalisation de la Somalie se manifeste par la reprise en main de la stratégie globale des troupes engagées par l’AMISOM (20 626 militaires actuellement, ils ne seront plus que 19 626 à partir du 28 février 2020), que le nouveau chef du commandement américain pour l’Afrique, le général Stephen J. Townsend, veut plus offensive, plus efficace. Il s’agit de déloger les groupes armés des territoires occupés, conformément aux directives de la résolution onusienne 2472 (2019). Elle prévoit également que la composante sécuritaire somalienne en cours de renforcement (16 000 hommes dans les rangs de l’armée fédérale, enregistrés à l’aide de la biométrie au 3 mars 2019), prenne progressivement le relais. Dans un objectif de sécurisation de la population et d’entreprises militaires de reconquête, il est prévu « qu’elles prennent la direction des opérations d’ici à décembre 2021 ; […]. L’AMISOM doit aussi fournir à la police et aux autorités somaliennes l’appui nécessaire pour qu’elles instaurent un climat sûr pendant la période menant aux élections » [2]. Un effort militaire supplémentaire américain n’est pas exclu si le besoin s’en faisait sentir, la base aérienne de Baledogle, située à une centaine de kilomètres de la capitale fédérale, Mogadiscio, disposerait de plus de 800 lits selon la chercheuse Aline LeBoeuf.

Anticipant les décisions onusiennes en faveur d’un développement sans précédent des opérations militaires, l’AFRICOM organisait « en juillet 2019 l’exercice Justified Accord en Éthiopie avec tous les contributeurs de troupe de l’AMISOM pour améliorer la conduite des opérations de paix ». [3]. La volonté d’aller de l’avant est manifeste, sera t-elle suffisante pour maintenir les villes libérées sous l’autorité de l’administration somalienne, alors qu’un retrait des troupes de l’AMISOM est annoncé ?

Le choix du Conseil de sécurité de désigner, le 31 mai dernier, le diplomate James Swan comme représentant spécial du secrétaire général pour la Somalie, montre la volonté américaine d’être un acteur de premier plan dans le pilotage de la refondation de la Somalie. James Swan est un bon connaisseur de la région, où il a été notamment en poste comme ambassadeur à Djibouti. On pourrait en dire tout autant de l’actuel secrétaire d’État aux Affaires africaine, Tibor Nagy, récemment encore en fonction à la chancellerie d’Addis Abeba en Éthiopie, et de Donald Yamamoto qui a officié de nombreuses années dans la Corne - Djibouti, Éthiopie, Érythrée, Kenya... Pour le coup, ce ne sont pas les planètes qui sont alignées, mais bien les hommes ! Pour le pire ou le meilleur ? L’avenir nous le dira. Pour sa part, James Swan n’a pas caché son optimisme sur la refondation de la Somalie le 21 du mois dernier, dans le compte rendu au Conseil de sécurité de sa première tournée en juillet avec les autorités à Mogadiscio et des responsables des États fédérés du Somaliland et du Puntland. « Pour la première fois en trois décennies, des étudiants somaliens ont passé des examens harmonisés au niveau national », s’est aussi félicité le représentant de la Somalie. S’il y a des signes clairs de stabilisation nationale, ces gains sont cependant précaires et doivent être soutenus par la communauté internationale, a-t-il insisté » [4].
Cette évidente mainmise américaine sur les affaires somaliennes ne laisse pas de marbre le délégué de la Russie qui, au cours de la même séance, a signalé les lignes à ne pas franchir : « une lutte efficace contre les problèmes que connaît la Somalie n’est possible que dans le respect le plus strict de la souveraineté somalienne, sans interférence d’aucune sorte » [5].

Djibouti, faiseur de paix ?
Il n’est pas difficile, dans l’entrelacs de l’intense ballet diplomatique à Djibouti de hautes personnalités concernées par la question somalienne, de décrypter les enjeux de ces consultations feutrées… Elles visent à changer de paradigme pour faire renaître, la Somalie de ses cendres. Le premier des quatre mouvements de cette offensive diplomatique de réconciliation a été une visite, du 6 au 9 août, du chef du Commandement américain pour l’Afrique, Stephen J. Townsend. Elle intervient presque dans la foulée de sa prise de fonction. Le président de la République fédérale de Somalie, Mohamed Abdullahi Farmaajo, a été reçu le 19 août par Ismail Omar Guelleh. Mohamed Moursal Cheick, président de la Chambre basse somalienne, et son collègue à la tête du Sénat, Abdi Haji, ont eu une audience au palais présidentiel le 25 du même mois. Le président de la République auto-proclamée du Somaliland, Moussa Bihi Abdi, a fermé le bal. Au cours de cette longue visite, du 2 au 7 septembre, Ismail Omar Guelleh a dû rappeler à son hôte que la volonté de rupture n’a pas produit de résultats probants jusqu’à présent. Ce premier constat, en appelle un second inévitablement. L’évolution nécessaire doit permettre à l’État fédéré de peser, pendant qu’il en est encore temps, sur le cours des futures institutions de la République fédérale de Somalie avant l’adoption de la nouvelle Constitution par le Parlement bicaméral fédéral somalien prévue au plus tard, pour fin décembre 2019. Le temps est compté et reste tributaire du calendrier électoral 2020/2021.
Ismail Omar Guelleh a-t-il su se montrer persuasif dans sa plaidoirie pour soutenir le retour du Somaliland dans le giron de la Somalie ? Difficile de voir comment Moussa Bihi Abdi se sortira de ce guêpier, et parviendra à catalyser les déceptions et rancœurs des siens lorsqu’il faudra annoncer l’enterrement du rêve tant désiré. Jouer la carte du réalisme sera t-il suffisant ? Moussa Bihi pourra toujours faire miroiter, les énormes investissements, notamment américains, et saoudiens, attendus en contreparties de ce retour au sein du foyer somalien ; mieux, pour faire passer la couleuvre, promettre la négociation d’un référendum d’autodétermination après une période transitoire, de cinq ou dix ans… Même s’il est bien connu que les promesses n’engagent que ceux qui les croient !

En cas d’entêtement du Somaliland, l’ambassadeur de la République fédérale de Somalie aux Nations unies, Abukar Dahir Osman, donne à voir dans une déclaration du 21 août dernier la réaction qui pourrait être celle de Mogadiscio. Il « a expliqué que les articles 53 et 54 de la Constitution confèrent au Gouvernement fédéral l’autorité exclusive pour engager des accords internationaux avec d’autres États, dont les traités relatifs aux frontières internationales, qu’il s’agisse des frontières terrestres et maritimes ou du contrôle de l’espace aérien de la Somalie. Alors que le contour du nouvel État somalien est en train de se dessiner, M. Osman a rappelé qu’il est normal que cette évolution connaisse des divergences. Nous encourageons nos partenaires à voir ces divergences comme une part normale du processus de reconstruction de l’État. Le fédéralisme est en train de se consolider, a-t-il assuré, avant d’appeler le Conseil de sécurité et les partenaires internationaux à appuyer ce processus. » [6].
Cela reviendrait à organiser l’asphyxie de la région rebelle en la coupant de ses liens commerciaux et de bon voisinage avec les pays limitrophes pour la forcer à réintégrer le cœur de la fédération somalienne, tout en lui garantissant d’y conserver une très large autonomie. Il faut se faire une raison : le « proconsul » Yamamoto ne parait pas prêt à ouvrir la boite de Pandore, qui sonnerait le glas de la Somalie telle que l’on la connaît, et produirait un morcellement en petits États plus ou moins viables, avec le danger de voir les Shebabs y prospérer - sans compter la crainte d’un effet domino sur les régions frondeuses d’Éthiopie qui se verraient pousser des ailes. Quelles que soient les complexités de la problématique, Ismail Omar Guelleh semble avoir choisi son camp.

Mahdi A.


[1Aline LeBoeuf, « La compétition stratégique en Afrique. Approches militaires américaine, chinoise et russe », Études de l’Ifri, août 2019, PDF en ligne.

[2Résolution 2472 (2019) du 31 mai 2019, voir en ligne.

[3Aline LeBoeuf, art. cit.

[4Somalie : devant le Conseil de sécurité, le Représentant spécial fait état d’une « fenêtre de plus en plus étroite » pour la réussite des réformes, le 21 août 2019, voir en ligne.

[5Somalie : devant le Conseil de sécurité, le Représentant spécial fait état d’une « fenêtre de plus en plus étroite » pour la réussite des réformes, le 21 août 2019, voir en ligne.

[6Somalie : devant le Conseil de sécurité, le Représentant spécial fait état d’une « fenêtre de plus en plus étroite » pour la réussite des réformes, le 21 août 2019, voir en ligne.

 
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