Au moment de l’indépendance de Djibouti, le 27 juin 1977, les nouvelles autorités fixent le cadre constitutionnel de la jeune république avec deux lois constitutionnelles de transition : la première proclame l’indépendance et fixe un cadre institutionnel provisoire, la seconde précise l’organisation des pouvoirs. Ces deux textes fondamentaux ont servi de base à l’élaboration de la première Constitution de 1981, à sa révision en 1992, et enfin à la version actuelle de 2010.
En effet, le 21 avril 2010, le Parlement djiboutien adoptait une série d’amendements constitutionnels qui allaient transformer durablement le visage des institutions héritées de l’ère Hassan Gouled. Quinze ans plus tard, un examen critique s’impose.
Depuis son adoption en 1992 puis sa révision substantielle en 2010, la Constitution de la République de Djibouti a posé les bases de la stabilité institutionnelle. Elle a permis l’organisation régulière d’élections et l’affirmation d’une identité nationale forte. Toutefois, à l’heure où notre pays fait face à de nouveaux défis économiques, sociaux, géopolitiques et environnementaux, il devient urgent de repenser certaines de ses dispositions à la lumière de nos ambitions démocratiques.
Puisque Djibouti aspire à renforcer son état de droit et à mieux intégrer sa diaspora dans son développement, deux dispositions soulèvent des interrogations démocratiques profondes : la limite d’âge fixée à 75 ans pour être candidat à la présidence, et l’interdiction de facto faite aux binationaux de se présenter à des élections nationales ou locales.
En effet l’article 23 de la Constitution adoptée en 2010 déclare « que tout candidat à la présidence de la République doit être de nationalité djiboutienne, à l’exclusion de toute autre, jouir de ses droits civiques et politiques et être âgé de quarante ans au moins et de soixante quinze ans au plus à la date de dépôt de sa candidatures ».
La seconde restriction, spécifique aux binationaux de se porter candidats aux élections est effectivement appliquée par les commissions électorales, et repose principalement sur l’article 48 de la Constitution de 2010 qui précise qu’une loi organique détermine les conditions d’éligibilité, le régime des inéligibilités et des incompatibilités
Ces restrictions, bien qu’inscrites dans la loi fondamentale, méritent aujourd’hui d’être repensées à la lumière de l’évolution des normes démocratiques dans le monde et de l’expérience accumulée depuis l’indépendance.
Une limite d’âge politiquement stérile
La Constitution djiboutienne interdit depuis 2010 à toute personne âgée de plus de 75 ans de se présenter à la magistrature suprême. L’intention initiale peut paraître noble : assurer un leadership dynamique, actif, et moderne. Pourtant, à l’analyse, cette disposition ressemble davantage à une mesure de filtrage politique qu’à un véritable garde-fou démocratique.
Dans les grandes démocraties du monde, cette barrière n’existe tout simplement pas. Les États-Unis, par exemple, ont élu Joe Biden à l’âge de 78 ans. Il a pensé briguer un second mandat à plus de 80 ans. La France, l’Inde, l’Allemagne, ou encore l’Italie ne fixent aucun âge maximal. C’est le peuple qui juge, par son vote, de la vigueur et de la capacité d’un candidat. Pourquoi Djibouti devrait-elle imposer ce plafond, alors même que l’espérance de vie augmente, que les capacités cognitives se prolongent bien au-delà de 75 ans, et que certains des esprits les plus éclairés de notre pays approchent ou dépassent cet âge ?
En Afrique, le Cap-Vert, le Ghana ou le Botswana, trois pays souvent cités comme modèles de stabilité démocratique, n’imposent pas non plus d’âge maximal à la présidence. Ce choix s’ancre dans un principe fondamental : la confiance dans la maturité politique des électeurs.
La diaspora, exclue par la loi, sollicitée dans les discours
L’autre barrière légale soulève encore davantage d’incompréhension : l’interdiction faite aux binationaux de se porter candidats aux élections. Cette disposition constitutionnelle empêche des milliers de Djiboutiens vivant à l’étranger — souvent diplômés, expérimentés, engagés — de participer pleinement à la vie politique de leur pays d’origine.
Cette exclusion ne repose pas sur des faits mais sur des soupçons : soupçon d’allégeance partagée, crainte de l’influence étrangère, peur du changement. Or dans les faits, la diaspora djiboutienne est un pilier silencieux du développement national. Elle contribue à l’économie par les transferts de fonds, soutient les familles, finance des projets sociaux, et relaie l’image de Djibouti à l’international.
Beaucoup de ces exilés volontaires ou forcés n’ont jamais renié leur appartenance. Leur crime ? Posséder un deuxième passeport, souvent acquis pour des raisons de sécurité, d’opportunité professionnelle ou de regroupement familial.
Le vent du changement souffle en Afrique
Djibouti ne serait pas seule à réviser sa position. Plusieurs pays africains ont compris que la diaspora est une force, non une menace.
– Le Sénégal a créé des sièges à l’Assemblée nationale réservés à ses ressortissants vivant hors du pays. Des binationaux sont députés à part entière.
– La Tunisie a donné aux Tunisiens de l’étranger un droit de vote et d’éligibilité, y compris à l’Assemblée nationale.
– Le Maroc, dans sa Constitution de 2011, a reconnu la double nationalité et renforcé les droits politiques de ses expatriés.
– Le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont ouvert l’accès aux mandats électifs à leurs ressortissants binationaux, à condition d’une durée de résidence minimale ou d’une déclaration d’allégeance.
Dans tous ces cas, le résultat est le même : des élites compétentes, loyales, formées aux standards internationaux, sont revenues contribuer au développement de leur pays.
Un appel à la réforme : ouvrir plutôt que verrouiller
Djibouti est à la croisée des chemins. Le pays jouit d’une position stratégique, d’une stabilité rare dans la région, et d’une population jeune, connectée, en attente d’une gouvernance ouverte. Pour cela, il faut réviser la Constitution. Non pas pour bouleverser l’équilibre institutionnel, mais pour l’adapter au temps présent, la purifier des réflexes de fermeture et faire confiance à l’intelligence collective du peuple djiboutien.
Concrètement, deux propositions s’imposent :
1. Supprimer la limite d’âge de 75 ans pour toute candidature à la présidence.
2. Autoriser les citoyens binationaux à se présenter à toutes les élections, nationales et locales, à condition de respecter certaines règles de transparence, de résidence, ou d’engagement de loyauté exclusive à la République.
Djibouti ne doit pas se priver de ses enfants
La démocratie ne se mesure pas seulement à l’organisation d’élections ou au respect du protocole. Elle se mesure à sa capacité à inclure, à évoluer, à s’ouvrir à toutes ses forces vives, qu’elles soient à Djibouti, à Tadjourah, à Paris ou à Montréal. Les barrières d’âge ou de nationalité sont des reliques d’un temps révolu. Le XXIe siècle appelle à la confiance, à l’unité, et à l’intelligence collective.
La balle est dans le camp du législateur. Il est temps de moderniser notre Constitution, non pour imiter les autres, mais pour être à la hauteur de ce que Djibouti mérite : une démocratie digne, ouverte, et représentative de tous ses enfants.
Omar M. Elmi
Salam aleikum
Je voudrais féliciter et remercier M Omar Elmi pour cet article très bien écrit dont l’analyse et la réflexion doit inspiré l’ensemble de nos compatriotes épris de l’avenir de notre pays. Il incombe à tout un chacun d’apporter sa modeste contribution pour bâtir un avenir meilleur et léguer un pays en paix et prospère aux générations suivantes. Que Dieu exauce nos prières.
Amin.