Human Village - information autrement
 
Emmanuel Macron à Djibouti pour donner de la cohérence et du sens à la relation
par Mahdi A., décembre 2024 (Human Village 52).
 

Le président français va séjourner à Djibouti, pays essentiel pour la sauvegarde des intérêts de la France, pour sa deuxième visite dans le pays [1]. Il est attendu sur la concrétisation de ses promesses de développement économique, notamment dans les secteurs aéroportuaire et touristique. Fera-t-il des annonces concrètes allant dans le sens d’une nouvelle relation entre la France et Djibouti ? Par ailleurs, la ministre de l’Éducation nationale, Anne Genetet, et le ministre des Armées et des anciens combattants, Sébastien Lecornu, devraient faire partie de la délégation. Cela montre-t-il les sujets prioritaires pour la France ?

Au menu de cette rencontre ce ne sont cependant pas les sujets qui manquent. Il sera question de piraterie en haute mer, de la situation régionale et en particulier du Soudan, de la prolongation et de l’élargissement de la mission Atalante, du service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum) chargé de lutter contre les manœuvres informationnelles hostiles aux intérêts français, de la sécurisation de la mer Rouge dans le prolongement du récent accord franco-saoudien, mais aussi de coopération culturelle, universitaire et économique.

Happy Birthday Mr. President
Attendu vendredi 20 décembre en fin d’après midi à Djibouti, Emmanuel Macron, hasard du calendrier, fêtera à minuit ses 47 ans sur le sol djiboutien lors d’une soirée de réveillon sur la base des Forces françaises (FFDJ).
La visite officielle commencera le lendemain, avec notamment un entretien avec son homologue, Ismail Omar Guelleh. Pour la France, il s’agit de marquer un rééquilibrage de la politique de Paris au bénéfice de l’Indopacifique, à la suite du renouvellement, le 24 juillet dernier, de l’accord de défense qui prévoit un léger accroissement de la présence militaire française. Cet accord, âprement négocié depuis 2021, autorise l’armée française à stocker du matériel en vue d’une mobilisation plus rapide des troupes en cas de catastrophe naturelle ou humanitaire, des situations comparables à celle vécue à Mayotte actuellement.

Allocation annuelle rehaussée
Interrogé mardi 15 octobre dernier, en commission des affaires étrangères, par le sénateur Pascal Allizard sur le contenu de la réforme du traité de coopération en matière de défense (TCMD), qui unit la France et Djibouti, Sébastien Lecornu, indiquait que « le traité rénové de Djibouti a fait de l’objet de longues discussions avec notre partenaire. Ce nouveau traité porte la contribution à 85 millions d’euros par an [2], ce qui permettra à l’État djiboutien d’investir dans des infrastructures et des services publics qui profiteront à nos troupes sur place » [3].
Le renforcement des relations entre les deux pays va dans le sens du rapport du député Benoit Bordat portant sur la politique française de défense en Afrique [4]. Concernant Djibouti, il expliquait que « d’un point de vue géographique et maritime, Djibouti occupe une place centrale dans la politique africaine de la France. Je rappelle qu’il s’agit là d’un pays francophone entouré de pays anglophones.
La base française de Djibouti a récemment démontré son importance stratégique lors de l’opération Sagittaire en avril 2023, soulignant la réactivité des forces françaises face aux crises émergentes. Il importe donc d’observer la situation dans sa globalité : si la France ne quitte pas l’ensemble du continent africain, il importe néanmoins de s’interroger et peut-être de revoir nos fonctionnements. Je m’inquiète pour l’évolution de Djibouti, ce tout petit pays très regardé par les Chinois et les Américains, dont l’emplacement est stratégique pour nous. Nous avons donc besoin de solidifier nos accords et nos échanges avec ce pays. »

Le député Yannick Favennec-Becot, s’est également exprimé sur le partenariat franco-djiboutien : « Je souhaite revenir sur Djibouti dont vous avez à juste titre rappelé l’importance stratégique pour la France, tout en disant qu’effectivement rien n’est acquis compte tenu de son environnement politique et que nous devons y prêter une meilleure attention. La France et l’armée française ont tout intérêt à entretenir cette amitié et cette coopération en appuyant la montée en puissance de l’armée djiboutienne et en revoyant à la hausse l’aide publique au développement sous peine de voir d’autres puissances prendre le relais. La renégociation du traité de coopération doit par conséquent être gagnant-gagnant et être valorisée à juste titre.
Le monde change, particulièrement dans cette partie de l’Afrique ; Djibouti change. C’est la raison pour laquelle notre coopération doit évoluer dans le sens d’un équilibre et de plus de considérations envers cet allié fidèle » [5].
Le président de la commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale, Thomas Gassilloud, rappelle que « dans les grands axes, notre base à Djibouti sert à appuyer les opérations françaises, ce qui fut le cas notamment lors de l’opération Sagittaire, mais également à effectuer un travail de coopération avec l’État djiboutien au niveau régional. Je crois que nous assurons à ce titre la police du ciel à Djibouti. Il convient également de mentionner les actions civiles ou militaires que nous pouvons effectuer sur place. Enfin, nous disposons à Djibouti d’un complexe d’entraînement terre-air-mer assez exceptionnel, pour préparer nos manœuvres interarmées. [6] ».

Aspides et mer Rouge
Les zones du Bad-el Mandeb et de l’Indopacifique sont prioritaires pour l’UE et la France. L’amiral Nicolas Vaujour a déclaré le 23 octobre 2024 que « le premier choc est le conflit au Proche et Moyen-Orient. La Marine est engagée dans la mission ASPIDES, qui vise à protéger le trafic commercial. Nous avons renforcé nos liens avec les industries du shipping, notamment CMA-CGM, pour la coordination. En décembre dernier, nous avons abattu deux drones aériens, puis, en mars, un hélicoptère Panther a abattu un drone aérien avec sa mitrailleuse, démontrant ainsi l’agilité et l’inventivité de nos marins et de nos équipages d’hélicoptères : ils avaient expérimenté ce mode d’action puis l’avait testé à Toulon et ils l’ont appliqué en opération. Nous avons également détruit trois missiles balistiques en opération, une première pour les armées françaises. Enfin, en août dernier, nous avons également détruit des drones de surface avec la frégate de défense aérienne Chevalier Paul, en protection d’un bâtiment de commerce.
Peu de marines sont capables de telles performances, nous sommes dans un cercle très fermé. Nous travaillons au quotidien pour améliorer notre préparation opérationnelle face à ces nouveaux modes d’action. […] Le détournement du trafic maritime vers le cap de Bonne-Espérance, en raison des tensions et attaques dans le détroit de Bab-el-Mandeb, représente un changement significatif pour la géopolitique maritime, mais aussi pour des territoires comme La Réunion - environ 60 % du trafic mondial est redirigé au large de La Réunion, qui devient un point stratégique pour la surveillance maritime et la gestion des risques, ce qui représente aussi un défi de sécurité environnementale puisque des navires s’approchent de l’île, ne serait-ce que pour obtenir de la connexion à internet - nous avons dû prendre des mesures de régulation pour protéger l’écosystème local. Ensuite, ce détour allonge les routes commerciales maritimes, ajoutant par exemple dix jours de transit entre Shanghai et l’Europe, ce qui entraîne une augmentation des émissions de gaz à effet de serre de 15 % : la résolution des crises maritimes n’a pas seulement des implications économiques et sécuritaires, mais également environnementales. […]
Le “recomplètement” des missiles Aster a effectivement été une question, surtout après les tirs en mer Rouge, même si nous y pensions auparavant. L’année dernière, j’avais évoqué ma stratégie d’accès global, qui repose sur deux piliers : des partenaires et la capacité à ravitailler, notamment en munitions complexes comme les missiles. Nous avons effectué un ravitaillement à Djibouti avec un avion A400M, qui a transporté des missiles jusqu’à Djibouti. Là-bas, avec une grue, nous avons chargé les missiles. Depuis, nous avons fait un pas de plus avec les bâtiments ravitailleurs de force (BRF). Jusque-là, ces bâtiments étaient employé au ravitaillement de bombes sur le porte-avions ; il fallait aller plus loin, en étant capables de ravitailler en missiles Aster. Désormais, grâce aux BRF, nous pouvons ravitailler une frégate à quai, sans passer par la terre, donc en se passant des autorisations diplomatiques, ce qui est précieux - il nous suffit de transférer un missile du BRF directement dans le système de lancement vertical de la frégate via une grue. Cela n’était pas prévu à l’origine, une solution a été trouvée en ajustant légèrement la position du bateau. Nous sommes donc capables de ravitailler nos frégates en autonomie à quai. Nous avons aussi testé avec succès le ravitaillement en mer de missiles Aster sur le Charles de Gaulle, car la grue et le système de câbles du porte-avions permettent de le faire, contrairement aux frégates. En fait, nous sommes les seuls à pouvoir ravitailler en mer, avec les Américains - mon homologue américaine l’amiral Lisa Franchetti a été surprise que nous y soyons parvenus, parce que les Américains viennent tout juste d’acquérir cette compétence, avec l’avantage qu’ils y parviennent aussi avec leurs frégates. Je rappelle que certains pays européens ont dû sortir de la mer Rouge pour ravitailler, faute d’autorisation des pays environnants de ravitailler dans leurs ports » [7].

Crise au Soudan
La crise au Soudan sera également au cœur des échanges, d’autant plus que Djibouti occupe la présidence de l’institution régionale IGAD. La France a été à l’initiative de la conférence réunie en avril dernier à Paris pour venir en aide à ce pays. Jean-Noël Barrot, ministre des Affaires étrangères, décrivait en commission sénatoriale l’engagement fort qui est celui de la France sur ce sujet : « La voix de la France est singulière en Afrique et elle est confrontée à de nombreux défis : crise économique, inégalités, tensions sociales, conséquences du dérèglement climatique... La France est à l’initiative pour agir aux côtés de ses partenaires africains, y compris dans les situations les plus compliquées.
Au Soudan, où une personne sur deux a besoin d’une aide d’urgence, la France est présente. En six mois, grâce à nos efforts, 90 % des 2 milliards d’euros d’engagements financiers promis lors de la conférence de Paris pour le Soudan du mois d’avril ont été décaissés. Des avancées ont été obtenues en matière d’accès humanitaire, dont la réouverture du couloir d’Adré entre le Tchad et le Darfour. J’ai travaillé, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies, avec mes homologues allemand et américain et avec le Haut Représentant de l’Union européenne. Nous ne relâchons pas nos efforts. » [8].

Prolongation d’Atalante et renforcement des liens avec l’UE
Enfin, on ne peut pas manquer de signaler que la visite d’Emmanuel Macron coïncide avec l’annonce officielle le 16 décembre par l’UE que le mandat de la force navale Atalante est prolongé jusqu’au 28 février 2027. « Parallèlement, le Conseil a actualisé le mandat de l’opération Atalante afin de renforcer la sécurité maritime au large des côtes de la Somalie, dans le golfe d’Aden, dans l’océan Indien occidental et dans certaines parties de la mer Rouge, et de mieux soutenir la mise en place d’une architecture régionale de sécurité maritime plus large. Avec son nouveau mandat, l’opération continuera à lutter contre la piraterie et à réduire les trafics illicites en mer. Les synergies avec l’opération maritime Aspides, qui protège actuellement la marine marchande en mer Rouge, seront renforcées. Parallèlement, le Centre de sécurité maritime (CSM) de la Corne de l’Afrique, qui soutient à la fois Atalante et Aspides, est rebaptisé CSM Océan Indien et son rôle est renforcé. […] Pour renforcer l’approche régionale, les missions et l’opération appuieront les efforts de renforcement des capacités des forces de sécurité maritime régionales et, en particulier, djiboutiennes, dans la mesure de leurs moyens et de leurs capacités » [9].
Cette proximité conforte l’idée d’une cohérence entre le renouvellement de l’opération Atalante et du traité militaire. Concernant la base militaire du Héron, des points d’accords ont pu être trouvés notamment sur la rétrocession dans deux ans de la moitié de la superficie à la partie djiboutienne. De même, on peut supposer un rapprochement avec la position exprimée par Ismail Omar Guelleh dans un entretien vidéo avec François Soudan, le 8 septembre 2022 : la participation des forces marines nationales aux opérations Atalante de sécurisation maritime autour du Bad-el Mandeb [10]. Il s’agit probablement de « se montrer ingénieux pour savoir tirer le meilleur parti de nos forces » [11] et obtenir le même résultat qu’avec le Japon pour le financement des garde-côtes. Ismail Omar Guelleh veut voir les forces navales monter en gamme et renforcer la flotte existante.

Contradiction entre discours et pratique ?
On peut supposer qu’Emmanuel Macron va présenter une nouvelle page des relations entre les deux pays, reprenant les préconisations du général Thierry Burkhard : « Nous devons maintenir notre influence, mais celle-ci ne relève pas que de la puissance militaire : une influence efficace demande un effort interministériel. Il faut que nous ayons la volonté de parler à la jeunesse africaine, par le sport, le développement ou la culture. Sinon, il manquera toujours quelque chose. » [12].
Notons toutefois que cette politique plus solidaire, plus entrepreneuriale notamment à l’égard du partenaire djiboutien obligera à des arbitrages délicats au moment où les crédits se contractent, avec un projet de loi de finance pour 2025, qui prévoit une baisse de plus de 20% sur l’aide qui vise à soutenir les pays et les populations les plus vulnérables. Michelle Gréaume, vice-présidente de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, n’avait d’ailleurs pas manqué de s’en alarmer auprès de Jean-Noël Barrot, ministre des Affaires étrangères, en constatant « que l’objectif d’atteindre 0,7 % du revenu national brut en 2025 consacré à la lutte contre les inégalités mondiales, un objectif issu d’une loi de 2021, ne sera pas atteint. Pire, cette trajectoire n’a cessé de s’inverser à partir de 2023, avec une diminution à l’époque de 1,6 milliard d’euros, puis un nouveau coup de rabot en février dernier de 742 millions d’euros. Aujourd’hui, vous nous proposez, dans le projet de loi de finances pour 2025, une coupe de 1,3 milliard d’euros, soit des crédits inférieurs de 23,3 % à ceux de 2024 ! Il faut faire des économies, dites-vous...
Ces différents renoncements représentent près de 21,2 milliards d’euros désinvestis du développement international d’ici à 2030 et je le regrette. Monsieur le ministre, l’APD n’est pas de la charité, elle permet d’atteindre collectivement les objectifs de développement des Nations unies. Une telle réduction empêche la mise en oeuvre effective d’une politique étrangère en faveur de la solidarité et de la mise en place des droits humains. » [13].

Mahdi A.


[1Emmanuel Macron est déjà venu à Djibouti le 11 mars 2019.

[2Au lieu de 30 millions d’euros annuels actuellement.

[3Compte rendu de la commission des affaires étrangères du Sénat. Audition de Sébastien Lecornu, ministre des armées et des anciens combattants, sur le projet de loi de finances pour 2025, 14 octobre 2024.

[4Rapport n° 2461 enregistré le 10 avril 2024 par la commission de la Défense nationale et des forces armées. Voir en ligne sur le site de l’Assemblée nationale.

[5Rapport n° 2461 enregistré le 10 avril 2024 par la commission de la Défense nationale et des forces armées. Voir en ligne sur le site de l’Assemblée nationale.

[6Idem.

[7Compte-rendu de la commission des affaires étrangères du Sénat, 23 octobre 2024. Voir en ligne.

[8Compte-rendu de la commission des affaires étrangères du Sénat, 22 octobre 2024. Voir en ligne.

[10« Djibouti 2022, l’âge des défis », You Tube, 8 septembre 2022.

[11Djibouti renforce les capacités de sa marine, Human Village, novembre 2021.

[12Compte-rendu de la commission des affaires étrangères du Sénat, 22 octobre 2024. Voir en ligne.

[13Idem.

 
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