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Mettre la croissance économique au service du développement humain
par Omar Ahmed Omar, octobre 2021 (Human Village 43).
 

L’année 2020 a été marquée par une crise sans précédent ayant fragilisé les pays du monde entier à la fois sur les plans sanitaire, économique et social. Sur le plan économique, cette crise semble avoir des conséquences beaucoup plus graves que la crise financière de 2009. L’économie djiboutienne étant principalement tirée par la demande, notamment celle de l’Ethiopie, s’est contractée sous l’effet de la pandémie du Covid-19. Après une baisse sensible en 2019 (7,7%) par rapport à 2018 (8,4%), la croissance économique a fortement baissé en 2020 (1,4%). De toute évidence, la crise a eu des effets réels et considérables sur l’économie djiboutienne. Néanmoins, les mesures de riposte engagées par l’État ont permis d’atténuer ces conséquences et la croissance devrait repartir à la hausse cette année (autour de 9,9% selon les prévisions de la Banque africaine de développement [1]).
On saisit l’occasion pour revisiter la stratégie de développement poursuivie par la république de Djibouti à l’aune des indicateurs de développement humain. L’économie djiboutienne repose essentiellement sur le secteur tertiaire et les activités portuaires. Les praticiens et les responsables politiques semblent s’accorder pour reconnaître le caractère non inclusif de sa croissance. La pandémie du Covid-19 a peut-être révélé la vraie nature de la croissance de Djibouti considérée en 2021 comme étant la plus accélérée de l’Afrique. En réalité, cette reprise rapide et forte indique qu’il s’agit d’une croissance volatile et non résiliente qui n’émane pas d’une production locale.
Après avoir examiné la nature du progrès économique récent à travers l’indicateur de croissance, nous en soulignerons les limites.

Croissance économique forte…
Le maintien d’une croissance élevée sur une longue période pourrait témoigner de l’existence d’une bonne stratégie mais pas forcément d’un développement socio- économique. En effet, le taux de croissance constitue un indicateur agrégé valable et pertinent de la performance d’une économie. Un regard rétrospectif du contexte dans lequel cette performance est réalisée suggère que l’épisode de forte croissance s’est caractérisé par une intervention active de l’Etat permettant un financement au-delà de ses capacités. Les investissements dans les infrastructures consentis par l’Etat ont été à l’origine de ces performances. Or, ces niveaux d’investissements ne peuvent pas être soutenus sur le long terme en raison de l’inquiétude quant à la soutenabilité de la dette. De même que l’interventionnisme étatique pourrait entraver le développement du secteur privé.
Comme le souligne également la Banque mondiale, le développement récent de la république de Djibouti s’est fait sans qu’il y ait une transformation économique [2]. Il s’agit essentiellement d’une croissance extensive basée sur une accumulation du capital physique.
Ainsi, la stratégie de développement de Djibouti s’appuie sur un modèle de croissance fondé sur l’accumulation du capital physique, financé par la dette et sollicitant faiblement la contribution de la productivité du travail ou de l’innovation des entreprises. Si cette stratégie permet de stimuler la croissance sur le court et moyen terme, elle n’est pas soutenable sur le long terme. De plus, avoir une stratégie de développement ne se résume pas à la bonne performance de la croissance économique. La définition élargie se rapporte à un ensemble d’actions publiques coordonnées qui permettraient véritablement à Djibouti d’élever le niveau de vie des Djiboutiens et de se hisser en l’espace d’une génération en un pays à revenu intermédiaire de tranche supérieure.

… mais sans prospérité
Malgré les efforts, les niveaux de pauvreté, de chômage et des inégalités demeurent élevés et les différentes initiatives supposées améliorer les conditions de vie n’ont pas débouché sur des résultats probants et durables. Après tout, la réalisation d’une croissance forte n’est pas un objectif en soi, si ce n’est qu’un moyen pour parvenir à une finalité beaucoup plus importante : le développement humain.

Niveaux de développement humain et économique comparés de plusieurs pays africains
Elaboré par l’auteur à partir des données du PNUD et de la Banque mondiale.

L’analyse du niveau de développement humain interroge réellement la stratégie de développement. Le niveau de développement humain de Djibouti se situe bien en deçà de celui que permettrait son niveau de richesse mesuré par le revenu national brut. Cet écart est très significatif comparé à d’autres pays qui ont un niveau de développement humain beaucoup plus élevé que Djibouti pour un revenu national brut inférieur (cf. Graphique). Le niveau de vie de Djibouti se rapproche de celui d’un pays comme Madagascar (0,519) alors que son revenu national brut lui est 6 fois supérieur (cf. Graphique).
Entre 2000 et 2019, l’IDH de Djibouti est passé de 0,360 à 0,524, soit une augmentation de 45%. Malgré cette progression notable, ce score ne permettait pas à Djibouti de sortir de la catégorie des pays à développement humain faible. Pourtant, sur la même période, le revenu national brut a augmenté de 221% [3]. Sur la même période, par exemple, les Comores ont hissé leur niveau parmi la catégorie des pays à développement humain moyen avec un accroissement de la richesse nationale beaucoup moins significatif. Son niveau de développement humain est passé de 0,465 à 0,554, soit une progression de 19,1%, alors que son revenu national n’a crû que de 9,3%. La comparaison de la performance des Comores en matière de développement humain par rapport à Djibouti met en exergue la difficulté de ce dernier à concilier le progrès macroéconomique en termes de croissance et le développement humain. Cela montre qu’il est possible d’améliorer le niveau de développement humain avec un taux de croissance relativement faible mais soutenu. Ce qui signifie que ce pays consacre davantage d’attention au développement humain.
Un constat similaire pourrait être tiré du cas du Kenya. Ce pays a fait progresser son IDH de 0,461 en 2000 à 0,601 en 2019 pour se classer parmi les pays à niveau de développement humain moyen. Même si ces deux pays partaient avec des IDH supérieur à celui de Djibouti, le mérite de leur progrès revient à la nature des réformes engagées.
Pour le cas de Djibouti, deux explications peuvent être avancées pour expliquer le contraste observé entre l’essor de la croissance et un faible développement humain. D’abord, comme il a été rappelé plus haut, cette croissance n’est pas fondée sur des activités internes mais elle est essentiellement impulsée par des secteurs à forte intensité capitalistique et à faible intensité de main-d’œuvre. Ensuite, l’effort de développement humain est handicapé en raison d’un fort accroissement des inégalités entre les couches sociales mais aussi entre la capitale et les régions de l’intérieur. Comme le soulignait le rapport sur le développement humain : « les questions qui gagnent en importance dans un grand nombre de pays ne concernent pas tant la taille du gâteau tout entier, mais la taille relative des parts » [4].

Horizon Taux de croissance
nécessaire
Pour un taux de croissance
annuel moyen de 7,5 %
16 433 $ Seychelles 11 238 $ Maurice
15 ans 12 % 9% 9 293 $
20 ans 9% 7% 13 342 $
25 ans 7% 5% 19 151 $

Sentier de croissance nécessaire, calculs de l’auteur.

À partir de l’équation (1) ci-dessous on peut calculer le nombre d’années nécessaires pour atteindre un niveau de revenu par habitant souhaité en partant du taux de croissance annuel moyen (y) et le revenu par habitant actuel. Aussi, il serait tout à fait possible de déduire le taux de croissance annuel moyen nécessaire à réaliser pour atteindre le revenu par habitant cible.

On peut appliquer cette formule pour répondre par exemple à la question suivante : si le taux de croissance économique de Djibouti se maintient au taux annuel moyen de la période de projection de la direction d’économie (soit 10,1%) et partant de son PIB par tête de 2019 (soit 3406 $), à combien s’élèvera le PIB par tête en 2035 (soit dans 15 ans) ?

Dans l’espace de 15 ans (d’ici 2035) et sous l’hypothèse de croissance retenue, le pays pourrait atteindre un niveau de revenu intermédiaire supérieur, soit 14 227,7073. En d’autres termes, Djibouti pourrait se rapprocher en 2035 du niveau de vie de Seychelles de 2018 (16 433 $) par exemple et dépasser celui de Maurice de 2018 (11 238 $).
On peut également déduire de cette équation le nombre d’années nécessaire pour atteindre le niveau de PIB par habitant de Seychelles de 2018 (soit 16 433 $) si l’on retient le taux de croissance annuel moyen de la période 2021-2025 selon les projections.

Djibouti, à travers sa Vision 2035, projette de tripler le niveau de revenu par habitant d’ici 2035, et cherche à se hisser ainsi dans la catégorie des pays à revenu intermédiaire supérieur5.
Donc, il apparaît clairement que pour atteindre un tel niveau de vie en 15 ans, il faut un taux de croissance annuel moyen de 12%. Fort heureusement, il sera possible de réaliser une telle performance si les facteurs de production sont utilisés de façon optimale en raison du potentiel inexploité.

Conclusion
Si la croissance permet de renseigner sur la stratégie de développement d’un pays et de performance de son économie, elle cache d’autres aspects essentiels du développement. Il est important de souligner qu’elle ne constitue qu’une condition nécessaire et non suffisante.
Une analyse moins descriptive de l’évolution récente de l’économie suggère que le chemin à parcourir demande un changement de modèle de croissance tout en préservant et consolidant les acquis et réalisations. Des interrogations hypothétiques ont permis de donner un aperçu de la nature des défis à relever.

Omar Ahmed Omar , chercheur en économie, Institut d’études politiques et stratégiques (IEPS)
12 octobre 2021


[1African Development Bank, African Economic Outlook 2021. From Debt Resolution to Growth : The Road Ahead for Africa, 2021, p. 9.

[2World Bank, Economic Transformation in Djibouti. Systematic Country Diagnostic, 2018.

[3UNDP, Briefing note for countries on the 2020 Human Development Report : Djibouti, 2020, p. 3.

[4PNUD, Rapport sur le développement humain 2020. La prochaine frontière : le développement humain et l’anthropocène, 2020, p. 6.

 
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