Dans le courant du mois d’août bruissaient en ville des rumeurs de pénalités élevées distribuées comme des petits bonbons par les services des douanes. Ces sanctions financières étaient mal vécues par certains transitaires, qui les considéraient excessives et contraires à la règlementation. L’Association des transitaires (ATD) a invité notre rédaction à son siège avec l’intention de porter le différend sur la place publique et faire entendre un autre son de cloche.
Les principaux membres élus du comité de l’ATD estimaient ne pas être assez écoutés par les responsables de la douane, et que leurs revendications n’étaient pas suffisamment prises en compte. Ils faisaient valoir, avec moult détails, que les réponses apportées par la douane ne les convainquaient pas. Ils nous disaient ne pas parvenir à faire entendre leur point de vue et voulaient peser en exposant les raisons de leurs mécontentements.
Quelle est l’origine de cette crise dans le couple ?
Pour assurer un fonctionnement optimal du corridor, malgré les contraintes liées à la crise sanitaire du Covid, la douane a accéléré la mise en œuvre d’une solution informatique dont le déploiement était initialement prévu en fin d’année. La crise sanitaire a bouleversé l’agenda ! De quelle innovation s’agit-il ? La dématérialisation des documents douaniers, opérationnelle depuis le 26 mars 2020 ! Cette nouvelle étape, annoncée de longue date, était attendue et a été plutôt bien accueillie par les utilisateurs, puisque c’en est fini des déplacements incessants à l’autre bout de la capitale au département transit de la douane, situé dans une bâtisse mitoyenne du DMP à Doraleh, pour la remise de la paperasse nécessaire au dédouanement des produits destinés à l’exportation de marchandises, principalement éthiopiennes, et l’obtention du bon de sortie du camion chargé de la marchandise et de la feuille de route (T1) indispensable pour circuler dans le corridor. Ces étapes ont été simplifiées au point que toutes ces opérations sont dématérialisées et peuvent être réalisées 7j/7, à toute heure. Concrètement, les transitaires se voient confier les clés de la douane… Il leur revient d’éditer eux-mêmes les documents de sortie et la feuille de route. Peu de personnes en ont conscience, mais c’est véritablement un Big Bang dans le fonctionnement de la douane. Les améliorations ne s’arrêtent pas là. Le paiement des frais douaniers inhérents aux opérations ne s’effectue plus par opération, mais chaque semaine avec une facture regroupant les opérations de la semaine écoulée. Ces différentes mesures visent à réduire au maximum les interactions entre les agents de la douane et les utilisateurs. Selon le directeur des opérations, Khaire Abdillahi Daher la douane compte franchir une autre étape dans la numérisation, d’ici la fin novembre 2020, avec le lancement d’une solution sécurisée de paiement en ligne.
Le nouveau système de la douane est basé sur la confiance, le contrôle s’effectue a posteriori. En quoi consiste cette vérification ? La mission des agents sous la supervision de Rhama Omar Bogoreh, directrice du département transit, est de vérifier que la documentation complète a été scannée de manière lisible et jointe à l’envoi, en s’assurant de la sincérité des informations et donc éviter la fraude, et enfin, que la déclaration a été dûment complétée et tamponné. La tâche est sans aucun doute fastidieuse : il faut contrôler entre 1400 et 1600 déclarations quotidiennes. Une vingtaine de personnes seulement sont chargées de cette mission. Si l’on se fie aux plaintes des transitaires pénalisés, on peut estimer qu’elles s’acquittent méticuleusement du contrôle. Ce travail d’inspection est d’autant plus crucial qu’avec la procédure dématérialisée la douane a fait le pari de la confiance envers ses partenaires.
Cependant, comme on ne vit pas dans le monde des Bisounours, comment la douane compte-t-elle se prémunir des abus ?
Interrogé sur ce point, le directeur général de la Douane, Gouled Ahmed Youssouf explique que la confiance octroyée est en réalité un régime sous probation, et qu’elle peut être retirée - à titre individuel aux entreprises récidivistes qui ne se conformeraient pas à la réglementation - à la suite des contrôles réalisées par ses agents. La dématérialisation n’a jamais été conçue pour fonctionner en roue libre, sans aucune supervision : « Nous avons rendu le travail plus fluide, avec la possibilité de pouvoir y accéder à toute heure. Mais pour ce faire, les utilisateurs doivent accepter les barrières mis en place pour éviter les abus, et le cas échéant qui permet de sanctionner les contrevenants. C’est la raison d’être du système de pénalités auquel vous faites allusion. »
Une thérapie de couple pour crever l’abcès et se dire enfin la vérité
Pour crever l’abcès et jouer carte sur table, Gouled Ahmed Youssouf a tenu parole. Ses services ont organisé deux réunions contradictoires – les 7 septembre et 8 octobre dernier -, où étaient présents pour représenter la Douane, Khaire Abdillahi Daher directeur des opérations, et Rahma Omar Bogoreh, directrice du département transit, et côté ATD, Robleh Mohamed Barreh, président, Bogoreh Ali Meidal 2e vice-président, Robleh Abdillahi Abdi, secrétaire général, et deux autres membres, Hassan Ahmed Doualeh, et Bourhan Ali Mohamed. Dans une ambiance crispée au début, plusieurs transitaires ont raconté leur quotidien, les difficultés rencontrées, mais aussi comment la digitalisation les avait aidés. Après chaque intervention, le débat s’installe. S’éparpille, parfois. Les doléances et les propositions se succèdent. Tout à la fois ferme et courtois dans la formulation de ses plaintes à l’égard de la douane, le président de l’ATD, Robleh Mohamed Barreh, monte au créneau et fait valoir les arguments de la corporation pour dénoncer des pratiques jugées excessives. Il s’insurge contre une solution qui devait rendre la vie plus facile, et qui est devenu pour certains un cauchemar, entrainant le blocage pendant plusieurs jours sans raison valable de camions pourtant chargés. « Comment expliquer une pénalité sur des conteneurs doublement scellés qui vont circuler sur un couloir clairement délimité ? C’est complètement injustifié notamment pour des erreurs de poids ou d’oubli de tampon. On peut parler d’erreur documentaire, mais absolument pas de fraude. La douane les qualifie de non conformes, c’est un terme fourre-tout. Les douaniers positionnés le long du corridor contrôlent avec attention que les scellés apposés sur les portes du conteneur n’ont subi aucun dommage. Ces verrous garantissent aux douaniers présents à la barrière de sortie des ports, à PK20, à PK51, ou encore aux frontières de Galafi-Galile-Balho que durant toute la circulation de la marchandise sur le corridor, elles n’ont pas été manipulées d’une quelconque manière, et que donc rien n’a été déversé sur le marché local illégalement. En ayant connaissance de cette réalité, comment la douane peut-elle justifier des pénalités pouvant aller jusqu’à 300 000 FDJ ? Nous gagnons 50 dollars par conteneur, à ce rythme-là plusieurs transitaires risquent sous peu de mettre la clé sous la porte si rien n’est fait pour corriger cette situation intenable ».
Bogoreh Ali Meidal demande à ce que les pénalités ne portent que sur la déclaration et non sur le nombre de conteneurs contenus dans le document. Il met en exergue un point important à ses yeux : la relation clientèle/douane. Il estime que la relation ne doit pas reposer sur un rapport de force mais sur une collaboration, une relation de type commercial. Il faut instaurer un rapport de convivialité, une relation de service. Robleh Abdillahi Abdi partage l’avis de ses collègues et complète en affirmant que 90% des pénalités sont payées par les sociétés locales de transit et non le client final. Pour la plupart, les infractions constatées seraient imputables à des erreurs bénignes, dues à la négligence de leur personnel. C’est la raison pour laquelle il demande un accompagnement, une compréhension plus grande. « Rendez-vous compte que lorsque la déclaration concerne 50 conteneurs, la pénalité ne porte pas sur la déclaration incriminée mais sur les 50 feuilles de route (T1) qui en découlent. Si l’erreur est constatée avant que le conteneur n’ait quitté l’enceinte du port, la pénalité est de 10 000 par conteneur, dans le cas où le convoi a franchi la barrière, on monte à 25 000… La pomme de discorde se situe à ce niveau-là. Comment justifier d’une pénalité de 300 000 FDJ pour l’oubli d’un tampon alors que l’on utilise une adresse personnalisée lorsque l’on communique avec la douane ? », se lamente le secrétaire général de l’ATD.
Les commentaires fusent.
Florilèges : « Si la dématérialisation cause autant de pénalités, on est prêt à s’en passer » ; « Il y a des problèmes de scans effectués où le texte est illisible ». « Il peut arriver qu’un document manque par oubli, pour autant il ne faut pas compliquer et nous condamner à payer des sommes importantes. Pourquoi compliquer ? Que l’on nous appelle et on renvoie le document manquant ou on le scanne à nouveau. C’est aussi simple. Il n’y a pas de dédouanement ici, la marchandise va en Éthiopie. Nous, en notre qualité de transitaire, on fournit un service. Cela s’arrête là ! » ; « On a des papiers qui nous ont été remis par notre client. Il est écrit 10 000 cartons sur le document et cela s’arrête là. Pour nous, c’est 10 000 cartons. Ce que les Éthiopiens cachent dans le conteneur, ou dissimulent même lorsque la marchandise n’est pas conteneurisée cela ne nous regarde pas. D’ailleurs l’Éthiopie s’est opposée, au prétexte d’un risque de congestion, à ce que les conteneurs soient scannés à Djibouti par la douane, en expliquant qu’ils allaient scanner la marchandise eux-mêmes à la frontière » ; « Nous on a un impératif d’efficacité : en 24 heures le camion doit être chargé, et 24 heures plus tard il doit être au poste frontière. Mais ce n’est pas le cas malheureusement pour toutes les marchandises. Car pour un petit problème la douane va bloquer le conteneur durant un certain temps. Vous prenez cette décision sur des critères que l’on a du mal à comprendre ». « La douane pense que le conteneur nous appartient. En cas d’erreur de documentation par exemple de la part de la douane éthiopienne, c’est nous qui sommes pénalisés. Nous, on a rien à voir. On nous dit que nous aurions dû être plus vigilants en récupérant les documents douaniers » ; « On accepte les pénalités par déclaration, pas par conteneur » ; « Pis lorsque le dossier est bloqué par la douane car un document manque par exemple, et alors, que nous sommes acquittés des frais, on ne peut pas facturer notre client puisque le dossier est en instance. A cela s’ajoute le fait que lorsque la marchandise est bloquée alors qu’elle a été chargée sur un camion appartenant à l’une de nos sociétés, et que ce dernier doit acheminer au client final en Éthiopie la marchandise, on perd encore de l’argent car pendant le temps où le camion est immobilisé, il ne travaille pas, ne rapporte donc pas d’argent, puisque la facturation est au trajet et non à la journée… Imaginez-vous que cette mésaventure m’est arrivée récemment, j’ai eu huit jours durant un camion bloqué pour trois fois rien. Bref, ce que l’on demande, c’est que, quel que soit le problème, il soit réglé dans un délai ultra rapide ».
Bien que la situation soit ainsi dépeinte sous un jour bien sombre, des propos contredisent ou nuancent cette description. Ils émanent de transitaires, également présents lors de la réunion contradictoire : Hassan Ahmed Doualeh, et Bourhan Ali Mohamed.
Hassan Ahmed Doualeh, rappelle sa longue carrière dans ce métier, et les leçons qu’il a tiré de son expérience à la tête de l’ATD, de sa création jusqu’à l’élection de la nouvelle équipe il y a quelques mois : « Qui se rappelle qu’à une période la marchandise quittait le port avec juste un Gate Pass pour s’élancer sur le corridor, sans autre document ni contrôles incessants. Aussi soyons un peu honnête avec nous même : à qui la faute si la douane a été contrainte de revoir ses procédures pour suivre de manière plus efficace la marchandise durant toute la traversée du corridor ? » Pour le doyen des transitaires djiboutiens, il ne faut pas chercher très loin : « des transitaires indélicats sont à l’origine des nouvelles mesures des douanes. Est-il besoin ici que nous désignions nommément les personnes auxquelles je fais allusion et que nous avons tous à l’esprit ? Durant la longue période où j’ai présidé l’ATD, je me suis embarqué dans la défense de transitaires aux visages d’anges, à l’apparence innocente, à qui on aurait donné le bon Dieu sans confession. Mais il m’a été obligé de reconnaitre la réalité des infractions commises par ces personnes, lorsque les responsables de la douane m’ont présenté des preuves accablantes. Aussi si j’avais un conseil à donner au nouveau comité de l’ATD, c’est de ne pas se précipiter dès qu’un litige survient entre la douane et un des membres de l’ATD. La douane n’a aucune raison de nuire à notre activité. Vous voulez mon opinion franchement. Comparez la douane au reste de l’administration. Comparez même la douane au service portuaire. Personnellement je considère que c’est l’administration la plus performante du pays. Au-delà de l’accessibilité aux responsables pour des questions spécifiques ou des demandes particulières, nous sommes passés à la dématérialisation. Quelle administration dans le pays peut en prétendre autant ? La douane a péché selon moi par modestie et incapacité à communiquer sur ses performances et atouts ».
Bourhan Ali Mohamed porte un jugement comparable : « La douane a pris un élan considérable elle a été même plus rapide que le port pour la dématérialisation ». Les trois autres transitaires présents n’ont pas contesté cette affirmation, bien au contraire ils ont reconnu les améliorations opérées par la douane, et en ont profité pour saluer la qualité du partenariat avec la douane. Au sujet de la présence de quelques brebis galeuses parmi les transitaires, sans nier cette réalité, ils ont dit ne pas être là pour prendre leur défense, mais celle de ceux qui n’ont rien à se reprocher. Une question reste pendante : comment faire pour que les quelques éléments nuisibles ne pénalisent pas la majorité « de bonne foi » ?
Une plaidoirie solidement argumentée pour rebâtir la relation
Khaire Abdillahi Daher, directeur des opérations des douanes, explique l’évolution technologiques opérée. Pour être un succès, elle doit être accompagnée d’une plus grande conscientisation des transitaires concernant le respect des procédures. « Nous avons une obligation : éviter le blocage ou le ralentissement de la circulation sur le corridor. C’est un enjeu majeur. C’est une question de compétition régionale, et notre pays ambition d’être le hub de la sous-région. Pour y parvenir nous devons travailler main dans la main. Pas l’un contre l’autre, mais les uns avec les autres. Nous ne sommes pas là pour dresser des embuches, des entraves administratives, mais pour faciliter votre tâche au maximum ; C’est la raison d’être de la solution digitale. Le monde se digitalise de plus en plus et nous, en qualité d’administration douanière, nous sommes obligés de suivre cette évolution technologique. Certains de nos services sont déjà digitalisés, d’autres vont suivre. Nous avons commencé par le service transit, qui est un département très important, nous traitons autour de 1500 déclarations par jour. Cependant, un constant s’impose : vous, transitaires avez probablement sous-estimé l’attente forte qu’il peut y avoir vis-à-vis de vous. Cette dématérialisation des formalités douanières vise à remplacer toutes les procédures sur papier par des procédures électroniques. C’est un gain de temps et d’argent. C’est une très bonne chose et tout le monde semble en convenir autour de la table. Mais il y a un hic. La douane doit pouvoir suivre la marchandise jusqu’à sa destination finale et disposer des documents liés à la marchandise. Il est de votre responsabilité de nous les communiquer dûment complétés et surtout au complet ».
Il faut préciser que la douane, consciente du bouleversement dans les habitudes pour le personnel des entreprises de transit, a dispensé une formation à trois employés par transitaire pour les familiariser à l’utilisation de la solution informatique. Lors de l’évocation de cette formation, le président de l’ATD, objecte sarcastiquement : « A-t-il été délivré des diplômes ou une certification de réussite à nos employés ? Comment pouvons savoir qu’ils ont bien compris la méthodologie et le processus de dématérialisation ? » Même si l’argument est bien joué, Rahma Omar Bogoreh, directrice du département transit, ne se démonte pas et fait remarquer que son département a assuré durant deux mois – période de grâce sans aucune pénalité - un accompagnement permanent, sans oublier d’ajouter que l’ensemble du service informatique a été mobilisé pour fournir appui technique et conseils au cours de cette phase transitoire et d’adaptation. « La dématérialisation ne signifie pas que la douane a baissé le rideau. Pour preuve, lorsque se présentent des cas particuliers qui ne peuvent pas être traités par l’outil informatique, notre porte est toujours ouverte. Par contre si vous confiez les tâches à des personnes qui ne savent pas se servir de l’informatique, ou le font de manière nonchalante, vous ne pouvez vous en prendre qu’à vous. Mon département travaille avec 82 transitaires, moins de 10% sont concernés par les pénalités. Comment expliquez-vous que cela soit toujours les mêmes ? La simplification des démarches administratives ne peut pas rimer avec : “je fais comme je l’entends” ». Le but ultime des sanctions n’est pas de punir, mais d’entraîner un changement de comportement justifie Rahma Omar Bogoreh. Et elle ajoute « Personnellement je dois dire qu’un certain nombre de vos membres sont de mauvaises foi. En cas de mauvais envois, ou partiels, pour cause de coupure d’électricité par exemple, nous sommes flexibles. Nous avons accordé un délai de 24 heures pour compléter, amender un envoi. Durant la phase transitoire, un problème récurrent était imputable à un problème d’espace lors du scan du document. L’espace a été immédiatement augmenté, et pour les cinq pages de la documentation douanière éthiopienne, il a été autorisé de procéder à cinq envois pour ceux qui ne parvenaient pas à compresser les documents. Les efforts ne doivent pas être à sens unique. » Bourhan Ali Mohamed confirme les propos de la directrice du département transit « J’ai eu personnellement le même problème, on est venu voir la douane et on nous a expliqué que l’on était autorisé de scanner les cinq feuilles de la douane éthiopienne séparément et d’adresser cinq documents. En procédant ainsi on n’a plus le problème des documents envoyés illisibles. Pour revenir aux pénalités, comme quelques transitaires j’ai eu des pénalités dès le lendemain de la phase transitoire de deux mois. Vous savez ce que j’ai fait : j’ai instauré un modus operandi exigeant, avec la mise en place en bout de parcours d’une sorte de contrôleur. Dans mon entreprise, la mayonnaise a pris, le processus de dématérialisation se passe bien et je ne déplore plus de pénalités. Les règles sont celles-là, on ne peut pas les changer, alors plutôt que nous plaindre, je pense que nous devrions plutôt en prendre notre partie et tout faire pour suivre la procédure à la lettre ».
Sur la question-clé qui mobilise les transitaires, celle des pénalités, et le fait que la sanction ne porte pas uniquement sur la déclaration, mais aussi sur le nombre de conteneurs mentionnés sur le document, si des espoirs subsistaient, ils ont été douchés. Pour Rahma Omar Bogoreh c’est très simple : une pénalité ne peut pas exister si la loi ne l’a pas permise. Elle rappelle que ces pénalités sont régies par un décret de 2018 [1] qui stipule précisément dans la grille des tarifs, point 14, que la pénalité porte sur la feuille de route, à savoir le T1. La loi est la loi !
Le débat s’est élargi, mais le couple est prêt à franchir une étape
« Comment la douane peut-elle contribuer à améliorer le service au public ? Pour rendre la communication plus fluide et aplanir les difficultés dès qu’elles surviennent, ce que l’on vous propose c’est d’organiser une réunion mensuelle pour évoquer ensemble la relation, les améliorations souhaitables, voire les accros constatés afin que l’on puisse aller de l’avant. Enfin nous sommes disposés à vous exposer un récapitulatif des types d’infractions relevés durant le mois écoulé et les pénalités fixées pour chacune d’entre elles. On est prêt à jouer la transparence, vous verrez ainsi que c’est toujours les mêmes transitaires qui posent problème. Enfin sachez que le service informatique de la douane se tient à votre disposition à tout moment pour fournir toute l’assistance technique nécessaire. Surtout n’hésitez pas à les solliciter », explique Khaire Abdillahi Daher.
Est évoqué le cas d’une réexpédition par voie maritime en Ouganda de marchandises venant de Chine, où le transitaire n’a pu accepter la demande de son client chinois à cause du manque de souplesse des responsables de la douane. Ils sont pourtant consultés en amont, mais ne faciliteraient pas ce type de réexpédition après un passage en zone franche. La réaction de Khaire Abdillahi Daher ne s’est pas fait attendre. Selon lui « cette accusation est grotesque, injuste, puisque tous les jours de la marchandise est réexpédiée par voie maritime, que cela soit en direction de l’Europe, de l’Asie, des États-Unis, ainsi que dans la sous-région ». Même s’il déclare ne pas avoir connaissance de ce dossier particulier, il précise que le responsable incriminé par l’opérateur, Abdourahman Awad Izzi, a trente ans de carrière à la douane, et s’il a refusé cette opération de réexpédition depuis notre sol, c’est sans doute pour des craintes fondées. « Il est question de réputation portuaire, de respect de normes internationales. Sur ces questions on ne badine pas. J’estime que le transitaire dont vous faites mention n’est pas vraiment de bonne foi. Je l’ai moi-même reçu dans mon bureau récemment pour des réexpéditions de parfums et eaux parfumés venant du Swaziland, pour être réexpédiés sur les iles Midway. Encore plus récemment en septembre sur des produits de parfumerie aussi, le même opérateur a réexpédié de la marchandise venant des Émirats Arabes Unis, après un passage en zone franche à Djibouti, par voie maritime aux Pays Bas. En quoi la douane de Djibouti freine ses ambitions et le développement de ses affaires ? Pour notre part, nous avons l’obligation d’assister à l’ouverture du conteneur lors du dépotage en zone franche afin de s’assurer qu’il ne contienne pas de produits dangereux ou illicites. Tous les éléments que j’avance sont dans notre base de données je vais vous les montrer, vous jugerez ». Human Village a consulté ces deux déclarations douanières [1122 et 2711], qui corroborent les propos de Khaire Abdillahi Daher.
Enfin sur la question des sanctions secondaires, ou plus précisément la double perte financière lorsque le camion est bloqué avec la marchandise chargée, c’est une belle victoire pour les transitaires. La douane consent à laisser la marchandise se rendre à sa destination finale, et a accordé un délai de trois jours pour le cas où il y serait nécessaire de faire venir par courrier rapide des documents originaux ou manquants.
Que ressort-il de ces deux séances de confrontation ? Le bilan est positif. Les transitaires sont invités à prendre la parole, à donner leurs avis, à faire des propositions qui sont discutées de manière apaisée. Ce dialogue a permis aussi de comprendre les raisons qui ont poussé la douane à prendre des contre-mesures afin de faire avancer des difficultés de mise en œuvre. « Il ne s’agit pas de rester de notre côté de la table, cramponné sur nos positions pour imposer nos préférences. La douane a su se montrer disponible à nos inquiétudes. On avait besoin de communiquer. Nous sommes ravis de la nouvelle entente. Ce qu’il faut retenir après ce léger flottement, c’est que les deux partenaires veulent renforcer la collaboration et la circulation de l’information entre eux », confie à notre rédaction le président de l’ATD, Robleh Mohamed Barreh, jeudi 8 octobre, à l’issue de la réunion dorénavant mensuelle entre les transitaires et la douane. Robleh Mohamed Barreh parait apprécier le tournant pris par la relation. Le secrétaire général Robleh Abdillahi Abdi corrobore les propos du président de l’ATD « Le secteur du transit a connu ces derniers mois des bouleversements importants : la prise de fonction du nouveau comité de la corporation, ou la crise du Covid et les règles sanitaires qu’il a fallu adopter en un temps record. L’introduction de la dématérialisation de la documentation douanière, et les pénalités qui ont commencé à pleuvoir dans la foulée ont encore davantage tendu le climat… Bref, toutes ces raisons peuvent expliquer que notre profession ait été un peu sous pression. Nous-mêmes, les portes-voix des transitaires pénalisés, nous n’avons pas pris le temps de prendre en compte les appréhensions de la douane, et pourtant, on le voit bien, dès que nous avons pu exprimer nos doléances, nos réalités, dans un cadre serein de discussion, la confiance a immédiatement repris ses droits. La douane est notre principal partenaire, et concernant les transitaires qui commettraient des infractions et qui nuisent à la réputation de la corporation, nous avons décidé aussi en interne de les sanctionner, voire même d’aller vers l’exclusion de notre groupement des fraudeurs récidivistes. Il n’y a pas de raison que la majorité, soit pénalisée à cause de quelques transitaires qui enfreindraient en toute conscience les règles pour augmenter leurs profits ».
Courtoisie et bienveillance, et pas de polémique : impressionnant épisode démocratique. Cependant, se poseront d’autres questions à l’avenir : dans le dernier quart d’heure, le doyen des transitaires djiboutiens Hassan Ahmed Doualeh a proposé d’élargir le dialogue à la question de la zone franche. Il considère que le sujet est vaste et vital pour l’avenir de Djibouti, et que ces discussions nécessiteraient au minimum deux jours de débats… Pour rebondir sur le sujet, Human Village a rencontré de nombreux acteurs de premier plan concernés par cette question, et publiera dans les jours prochains une analyse de ce régime fiscal, en passant en revue ses atouts, les améliorations souhaitables, ou encore ses contraintes.
Mahdi A., photos Hani Kihiary
[1] Décret n° 2018-261/PR/MB du 23 août 2018 fixant les nouveaux tarifs des frais collectés par la direction de la Douane et des droits indirects pour service rendus et abrogeant le texte antérieur.