Nous avions contacté le directeur général des Douanes, Gouled Ahmed Youssouf, à propos de difficultés rencontrées par des membres de l’Association des transitaires. Il ne s’est pas ému de notre demande et a immédiatement décroché son téléphone pour nous inviter à le rencontrer dans son bureau. L’entretien s’est déroulé en présence de son principal collaborateur, le directeur des opérations Khaire Abdillahi Daher.
Nous craignions d’être accueilli avec suspicion, méfiance, ce fut tout le contraire. L’entretien a duré un peu plus d’une heure, commençant par cette mise en bouche qui ne pouvait que nous ravir : « Nous avons une obligation de rendre des comptes à nos administrés, mais également d’informer la population sur le fonctionnement de la douane. Personnellement je considère les critiques comme une bonne chose. Lorsqu’elles sont motivées, notre administration n’a aucune difficulté à se remettre en cause et à revoir ses procédures pour améliorer le service rendu à la population. C’est la raison pour laquelle je suis très désireux d’écouter les plaintes dont vous vous faites le relai. »
Structuré et ne se départissant jamais de son sérieux, Gouled Ahmed nous explique le triptyque qui fonde la mission des femmes et des hommes qui appartiennent à ce corps qu’il qualifie d’élite : lutte contre la fraude, soutien de l’activité économique et perception de la fiscalité. « Il faut être clair il ne s’agit pas de chercher à mettre des entraves aux entrepreneurs, on doit pouvoir faire des affaires et en tirer des bénéfices, mais il faut en reverser une juste part à la collectivité. Elle sert à financer nos infrastructures, notre système éducatif, des salaires décents, la santé, nos forces de sécurité... La loi de finances 2020 prévoyait 40 milliards de recettes douanières, ce chiffre a été légèrement revue à la baisse dans la LFR votée récemment tenant compte de la contraction de l’activité économique liée à la crise du Covid. ».
Il donne l’impression de ne pas prendre sa fonction à la légère, au point, d’ailleurs, de déplorer le sous-effectif de son département où le recrutement du personnel ne suit pas le rythme effréné d’ouvertures de nouvelles zones franches et portuaires ou de corridors. Il dispose d’environ cinq cents agents, ce qu’il estime nettement insuffisant pour couvrir correctement l’étendue du territoire. Ces fonctionnaires dévoués ne comptent cependant pas leurs heures pour remplir convenablement leur tâche. « Je milite pour voir mes effectifs augmenter au moins d’un tiers ». Message transmis !
Nous passons ensuite à la raison de notre visite : le nouveau système informatique considéré comme une innovation performante. Mais de nombreux transitaires se plaignent de pénalités distribuées comme jamais auparavant. Ils évoquent des sommes allant jusqu’à 300 000 FDJ. La numérisation des documents douaniers doit fluidifier le transit de la marchandise et responsabiliser les transitaires qui prennent la main d’un bout à l’autre du processus, puisqu’ils éditent dorénavant les bons de sortie de la marchandise et la feuille de route (T1) du camion chargé de produits destinés à l’exportation.
Pour ce faire, les documents relatifs au dédouanement des marchandises sont scannés, téléchargés et signés électroniquement, puis transmis aux services douaniers via le système Synodia. Cette dématérialisation permet une réduction importante des délais de traitement des dossiers et plus de flexibilité, puisque le contrôle se fait dorénavant qu’à posteriori. Le système repose entièrement sur le principe de la confiance !
Pour Gouled Ahmed, la clé de compréhension de la situation actuelle est assez évidente : lorsque vous changez un paramètre en cours de route, certains mettent plus de temps que d’autres à s’y adapter. Ils peuvent donc faire des erreurs de bonne foi. Mais d’autres peuvent profiter de la digitalisation pour violer délibérément le système mis en place. Cela nécessite une vigilance de tous les instants de ses services, amenés à faire le tri entre le bon grain et l’ivraie.
« Nous avons rendu le travail plus fluide, avec la possibilité de pouvoir y accéder à toute heure. Mais pour ce faire, les utilisateurs doivent accepter les barrières mis en place pour éviter les abus, et le cas échéant qui permet de sanctionner les contrevenants. C’est la raison d’être du système de pénalités auquel vous faites allusion. »
Partant du postulat qu’il n’a rien à cacher, il propose - à notre grand étonnement - d’organiser un débat contradictoire entre utilisateurs et douaniers sur le sujet des pénalités en présence de notre rédaction. La douane serait représentée par les responsables concernés, Khaire Abdillahi Daher directeur des opérations, et Rahma Omar Bogoreh, directrice du département transit. L’objectif de cette discussion est d’échanger avec le groupement des transitaires de l’ATD sur l’organisation du système et leur permettre de faire entendre leurs doléances. Dans l’esprit de Gouled Ahmed, les douanes devront répondre à ces demandes si elles sont légitimes. « Tous les clients doivent pouvoir exprimer leurs préoccupations. Personnellement je n’hésiterais pas à sanctionner mon personnel s’il s’avère que l’erreur leur incombe », affirme-t-il.
Place aux arguments donc ! L’engagement a été tenu puisque ce débat contradictoire s’est déroulé lundi 7 septembre dans la salle dédiée d’ordinaire à la formation au sein des locaux de la direction des Douanes. Nous publierons le 8 octobre un compte rendu le plus transparent possible de cette réunion et de ses conclusions.
Enfin, durant la dernière partie de notre échange, Gouled Ahmed balaye, pour Human Village, les grands enjeux qu’il perçoit, ce qui l’amène à nous proposer de ne pas limiter notre enquête au service transit. Il nous propose une immersion dans tous les lieux où officient ses équipes. Il est disposé à nous ouvrir en grand, non seulement toutes les portes des douanes, mais aussi l’accès le plus large à ses agents et nous permettre de nous entretenir avec eux sur la réalité du métier de douanier et les difficultés qu’ils rencontrent. Il n’a formulé qu’une seule limite : « Je suis un lecteur régulier de vos publications, et j’apprécie la qualité et le sérieux de votre travail que l’on peut qualifier de citoyen. C’est la raison pour laquelle je n’en attends pas moins de cette enquête. Mettez à l’index les manquements qui mériteraient d’être corrigés, n’occultez rien, mais de la même manière j’attends que les points positifs soient soulignés. Je fais confiance à Human Village pour dire les choses telles que vous les percevrez ».
Nous avons pris au mot le directeur général des Douanes : notre rédaction a recueilli sur une quinzaine de jours, 11 heures 52 minutes et 37 secondes d’enregistrements, au cours d’échanges avec le personnel des douanes et des utilisateurs de leurs services. Notre rédaction reviendra sur ce vaste dossier dans une série d’articles programmés pour courant octobre/novembre 2020.
Mahdi A.