Depuis les années 2005, l’économie djiboutienne connaît une croissance soutenue. La Banque africaine de développement prévoit pour 2016 et 2017 un taux de croissance du produit intérieur brut (PIB) respectivement de 7.4% et 7.1% [1].
Cette croissance est essentiellement tirée par les investissements chinois à Djibouti, notamment dans les infrastructures portuaires et ferroviaires, l’installation de bases militaires étrangères à la suite des événements des dernières années (terrorisme et piraterie) et de quelques investissements directs étrangers (IDE) conséquents (l’hôtellerie avec le Kempinski, la cimenterie avec Nael Cement ou encore l’oxygène médical et la métallurgie avec le groupe Fabtech entre autres…).
À côté de ces investissements étrangers, publics ou privés, des investissements nationaux contribuent aussi aux chiffres de la croissance. Comme investissement public, nous pouvons citer la création de la cimenterie d’Ali Sabieh qui constitue, avec l’installation privée de Nael, les seuls fournisseurs de ciment du marché national. Quelques investissements privés sont notables dans la distribution (supermarché Casino) et l’industrie avec Twin Gulf pour les pâtes, Douda Tazwid pour le lait, tandis que des sociétés de production d’eau minérale, avec les marques Bio, Tadjourah ou encore récemment Vitall, sont apparues dans le paysage économique national.
Cependant, comme la plupart des observateurs locaux et étrangers s’accordent à le constater, cette croissance importante ne se traduit pas en création d’emploi pour les Djiboutiens, et en particulier pour les jeunes qui représentent une part très importante de la population active (70% de 15–34 ans). Le chômage des jeunes se situe entre 50 et 60% selon les estimations [2].
Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette absence de corrélation entre croissance et emploi, comme dans beaucoup de pays dits en développement particulièrement en Afrique. Si la prépondérance de l’exportation de matières premières non transformées (produits pétroliers et miniers) est souvent citée dans les pays africains, à Djibouti c’est plutôt que ces investissements ne soient majoritairement pas productifs (secteur tertiaire plutôt que primaire et secondaire) qui explique la faiblesse de la création d’emploi.
Les entreprises qui s’implantent dans le pays, à travers les IDE, ont souvent besoin d’une importante main d’œuvre étrangère, car les travailleurs locaux ne possèdent pas les compétences requises. Il faut ajouter qu’une véritable politique de formation, à l’intérieur de l’entreprise ou par d’autres institutions externes, n’est pas mise en place, ce qui fait que les travailleurs étrangers ne sont pas remplacés par des locaux même après une longue période durant laquelle il aurait été possible de préparer une relève [3].
Enfin, il faut signaler que la qualité des formations délivrées à l’université de Djibouti ne répondraient pas aux besoins du marché national en termes d’emploi. Les jeunes diplômés représentent en tout cas, comme dans beaucoup d’autre pays, une part importante des jeunes chômeurs.
L’emploi des jeunes est en conséquence devenu une priorité dans l’agenda socio-économique des gouvernements. En effet, le nombre de plus en plus élevé de jeunes chômeurs pourrait à terme menacer la stabilité et la paix sociale.
Face à un tel défi, une solution semble émerger, que tous les pays [4] sont invités à encourager : l’entreprenariat des jeunes et la promotion de la culture d’entreprise. Au lieu d’attendre de se faire offrir un travail, pourquoi ne pas en créer un pour soi-même et éventuellement pour d’autres ?
L’argument est pertinent et attire de plus en plus des jeunes diplômés. Les motivations sont évidentes. En plus de la liberté qui s’offre à vous, « être son propre patron » permet d’espérer réussir, prospérer, voire contribuer au développement du pays.
A Djibouti, cette voie attire les jeunes (diplômés ou non) qui montent des projets d’entreprises, et ce n’est pas la créativité qui manque. Le principal obstacle reste l’accès aux financements.
Beaucoup d’institutions publiques (Chambre de commerce, ANPI, ODEPIC, secrétariat à la Jeunesse ou secrétariat aux Affaires sociales) souhaitent accompagner ces jeunes, alors que le FDED (Fond de développement économique de Djibouti) et les banques de la place sont encouragés par l’État à soutenir financièrement ces projets [5]. Cette politique en faveur de l’entrepreneuriat est soutenue activement par les bailleurs de fonds que sont la Banque mondiale, l’Union européenne et l’USAID entre autres.
Cela a incité à la création du « Club des jeunes entrepreneurs djiboutiens » à l’initiative de quelques entrepreneurs pour promouvoir l’entrepreneuriat et contribuer au développement.
L’inauguration récente d’un guichet unique pour les investisseurs, étrangers ou locaux, qui facilitera la création d’entreprise en réduisant les procédures administratives s’inscrit aussi dans cette optique.
S’il est encore trop tôt pour évaluer de manière exhaustive les résultats de cette politique à Djibouti en matière de création d’emploi, nous pouvons d’ores et déjà nous faire une idée en observant les résultats obtenus dans d’autres pays d’Afrique, mais aussi en nous basant sur quelques considérations économiques.
L’Afrique du Sud représente, et de loin, la nation la plus industrialisée d’Afrique. Néanmoins, pour des raisons à la fois historiques et conjoncturelles elle partage avec les autres pays africains un taux élevé de chômage des jeunes et investit, comme les autres, dans l’entrepreneuriat.
Un rapport sur la survie des nouvelles petites entreprises indique que neuf sur dix ne survivent pas plus de deux ans, le taux d’échec reste de 70% après trois ans et la durée moyenne d’existence est de trois ans et demi [6]. Bien que ces entreprises bénéficient d’un nombre important d’incubateurs (espace de développement de nouvelles entreprises), le rapport montre que l’absence d’un soutien suffisant (business support) dans tous les domaines (technique, financier, juridique, commercial ou social) est fatal pour les jeunes structures et leurs promoteurs, qui manquent souvent d’expérience et non de créativité et d’énergie [7].
Ce constat d’échec est aussi observé dans d’autres pays avec des startup souvent inscrites dans le domaine du numérique [8].
Cependant, au delà du manque de soutien aux jeunes entrepreneurs qu’il faut combler (Djibouti n’a pas encore d’incubateur pour startup), la faiblesse de cette politique centrée sur l’initiative individuelle conduit à éparpiller l’énergie et affaiblit l’impact des mesures adoptées. Pour que l’entreprenariat ait un réel impact sur l’emploi, il faudrait que les projets soient conséquents et répondent à un besoin qui concerne aussi un marché important (économie d’échelle).
Les projets ne doivent pas seulement permettre à leurs promoteurs de survivre dans un marché dans lequel ils ne trouvent pas « d’emploi normal », mais leur permettre réellement de se projeter dans l’avenir, car cette perspective est à la fois plus stimulante et plus sécurisante, ou au moins aussi sécurisante, que l’employabilité.
Pour cela, il faudra repenser les projets de manière plus collégiale, avec des groupes comprenant à la fois les services publics, les entrepreneurs et les potentiels partenaires (banques, investisseurs, universitaires, grandes entreprises…).
D’un autre côté, avec une économie à plus de 80% orientée dans les services et un taux d’importation extrêmement élevé qui concerne tous les produits consommés ou presque, il nous faudra investir sur les secteurs primaire et secondaire en utilisant les progrès réalisés dans ces domaines qui réduisent les coûts et rendent les produits abordables et compétitifs. En d’autres termes, il faut nous industrialiser [9].
En réalisant que l’entrepreneuriat peut être aussi et surtout une aventure collective plutôt qu’individuelle, nous éviterons peut-être que l’énergie portée par tant de jeunes esprits ne se transforme en désillusion.
Waberi Omar Mohamed
[1] Banque africaine de développement, « Perspectives économiques au Djibouti », voir en ligne.
[2] www.africaneconomicoutlook.org, « Djibouti, 2012 », PDF en ligne.
[3] Une absence de motivation de la part des travailleurs djiboutiens pour des métiers souvent manuels est aussi évoquée par ces entreprises.
[4] Les pays d’Afrique souvent les moins industrialisés au monde mais aussi même les pays industrialisés d’Europe sont concernés à cause des délocalisations et la désindustrialisation soutenue des dernières décennies.
[5] Il faut noter la création du fond public de garantie pour partager les risques avec les banques de la place.
[6] The Small Enterprise Development Agency (Seda), The Small, Medium and Micro Enterprise Sector of South Africa, rapport n°1, 2016, voir en ligne.
[7] www.smesouthafrica.co.za, « The BIG reason why startups with business support do better than those without », voir en ligne.
[8] Jeune Afrique, « Pourquoi les start-up africaines ne décollent pas », voir en ligne.
[9] L’Afrique des idées, « L’illusion de l’entrepreneuriat en Afrique », voir en ligne.