La nouvelle ligne électrifiée de chemin de fer entre l’Éthiopie et Djibouti (Ethio-Djibouti Railways ou EDR), unique en son genre en Afrique, s’inscrit dans le cadre de la nouvelle route de la soie de la Chine. C’est un moyen de transport moderne, écologique et économique destiné à accroître les échanges et le commerce transnational. Cette infrastructure connectée aux ports de Djibouti est indispensable pour l’intégration commerciale permettant à l’Éthiopie d’être désenclavée et de répondre aux besoins de son marché domestique. Mais, depuis sa mise en service en 2018, son résultat est mitigé. Nous présentons ici la situation et les perspectives de ce chemin de fer.
Historique et caractéristiques
La compagnie a été créée en avril 2017 par un accord entre les deux pays. L‘Éthiopie en est actionnaire à hauteur de 75% [1] et Djibouti de 25%. La construction (près de 3.4 milliards de dollars) a été financée à 70% par China Exim Bank, les gouvernements éthiopien et djiboutien ont couvert les 30 % restants.
La ligne à deux voies, entièrement électrifiée, s’étend sur 756 km entre Djibouti et Addis-Abeba. Elle dispose actuellement de 32 locomotives électriques , 6 locomotives diesel, 30 wagons de passagers et 1100 wagons de fret. La ligne de technologie chinoise, avec un écartement standard (1,435m) et une alimentation électrique de 25 kV à 50 Hz, est prévue pour accueillir des trains roulant à 120 km/h. La ligne a une capacité théorique de transport de 4 millions de tonnes de fret et 2 millions de passagers.
La compagnie a commencé ses opérations le 1er janvier 2018. Depuis janvier 2024, elle est complètement gérée par des employés locaux pour ses activités opérationnelles et de maintenance. Le chemin de fer a transporté 2,1 millions de tonnes de marchandises en 2023, pour 885 000 tonnes en 2018.
Le marché ferroviaire : une dynamique positive
La ligne est un élément des différents corridors de la région. Après une phase décevante de démarrage, elle est en croissance et réalise des profits depuis 2023. En janvier 2025, la compagnie a décidé de diversifier ses services pour répondre aux besoins du marché éthiopien et devenir le premier fournisseur de transport en Afrique de l’Est.
Elle fonctionne à 38% de ses capacités, qui sont donc loin d’être saturées. Selon Abdi Zenebe, directeur général de la société, « Cette ligne est en train de devenir la route la plus privilégiée de l’Éthiopie pour ses importations et pour ses exportations. Plus de 15% du commerce global du pays en 2023 s’effectue via ce chemin de fer contre 8% en 2018. » Accroitre l’exploitation de son potentiel dépendra du rapport entre l’offre et la demande.
Offre
L’offre de service du train va dépendre essentiellement de trois facteurs : les infrastructures, le rapport qualité-prix et la conjoncture géopolitique. Concernant les infrastructures, il faut aller vers une meilleure intégration dans le réseau portuaire et du fret, mais aussi utiliser tous les wagons. Aujourd’hui, seulement 18 sur 32 sont opérationnels.
Concernant le rapport qualité-prix il s’agit de l’efficience et de l’efficacité [2], le tarif est compétitif par rapport aux autres mode de transport, mais la limitation de la vitesse à 38km/h et les pannes électriques entraînent une efficacité réduite. Enfin le facteur géopolitique est lié d’une part à l’insécurité [3], aux conflits dans les régions desservies en Éthiopie et à l’insécurité en mer Rouge.
Demande
La croissance économique [4] de Djibouti (6%) et de l’Éthiopie (6.6%) [5] se traduisent par une augmentation de la consommation domestique en raison de l’émergence de la classe moyenne qui compose essentiellement l’accroissement de cette demande. Pour la satisfaire, une bonne logistique et un bon réseau de transport sont nécessaires. Le chemin de fer transporte des engrais, des conteneurs, des automobiles et leurs pièces détachées, du bétail, des produits frigorifiques, entre autres. Près de 98% du café éthiopien, génère plus d’un milliard de revenus, est exporté par le train. Outre le transport des biens, le service passager et la promotion du tourisme structurent également cette demande.
Connectivité transnationale et régionale : coordination et continuité
Djibouti ambitionne de devenir un hub commercial et logistique et l’Éthiopie tient à rester liée au marché international avec un accès à la mer.
Cette connectivité place les deux pays en aval de la chaine logistique internationale et requiert plus que jamais une coopération économique et institutionnelle. Le chemin de fer doit coordonner ses activités avec celles des trois corridors reliant les deux pays, par Balho, Galafi et Guelileh. Aujourd’hui la compagnie travaille à intégrer le train dans ce réseau multimodal en assurant le transfert des marchandises dans les zones franches, parcs industriels, dépôts, dry port, en connexion avec le transport routier pour assurer la fluidité du trafic.
L’Éthiopie, est en train de construire de nouvelles voies ferrées raccordées à la ligne actuelle : à partir d’Awash vers Weldiya et Mekelle au Tigré, et entre Diré-Dawa et Berbera en Somalie. Ces extensions sont destinées à renforcer le corridor et à mieux satisfaire la demande intérieure éthiopienne. C’est d’autant plus indispensable que les corridors régionaux transnationaux souhaiteraient s’appuyer sur le rail pour la livraison au consommateur final. Le corridor appelé DESSO [6] ou DESSU en est un exemple. Djibouti, l’Éthiopie, le Sud Soudan et l’Ouganda ont signé un mémorandum d’entente pour la gestion de ce corridor. Au-delà de ces ambitions, le but premier du chemin de fer est de satisfaire les marchés djiboutiens et éthiopiens. Il est indispensable d’assurer une bonne gestion du corridor, la digitalisation des services ferroviaires et sa liaison au reste des activités du corridor.
Le poids du train dans le système de transport
Aujourd’hui 85% des échanges entre l’Éthiopie et Djibouti sont assurés par camions. Le train ne représente que 15% du marché, ce qui est peu même s’il progresse notablement. Selon Hassan Houmed, le ministre des infrastructures et des transports de Djibouti « depuis que le chemin de fer Addis-Abeba a commencé à fonctionner, le volume de transport dans les ports de Djibouti a augmenté de 20% » [7]. Dans le transport de conteneurs, le train aurait dépassé la route en février 2025.
Mois | Train | Camions | Total | Part du train |
---|---|---|---|---|
Novembre 2024 | 3154 | 11 313 | 14 467 | 21,8% |
Décembre 2024 | 3344 | 7124 | 10 468 | 31,94% |
Janvier 2025 | 3710 | 5706 | 9416 | 39,4% |
Février 2025 | 4970 | 4130 | 9100 | 54,62% |
Conteneurs transportés en multimodal (en TEU) [8]
Cette situation est due au fait que le chemin de fer est relié au terminal à conteneurs SGTD et au terminal de fret DMP, ce qui rend plus facile le transfert rapide des conteneurs, avec jusqu’à 4 à 5 trains par jour transitant du terminal vers l’Éthiopie.
Le réseau ferroviaire est peu dense, avec une seule ligne, mais conserve un avantage en terme de prix (à partir de 50 US dollars pour les passagers entre Djibouti et Addis Abeba) et de temps de trajet (10 à 15 heures). Le réseau routier, essentiellement des véhicules poid lourd, est plus dense mais plus couteux, risqué et long (2 ou 3 jours). En somme, l’EDR devrait gagner des parts de marché avec un fonctionnement à plein régime et faire passer le transport du fret de la route vers le train.
Les voies du développement du train
Les performances du train sont en deçà des attentes. Pour y remédier et développer ses activités un certain nombre des mesures sont nécessaires :
– Finaliser la liaison du chemin de fer avec le terminal pétrolier de Djibouti, le tronçon manquant, afin de permettre le transport rapide de ce produit. Les négociations sont déjà amorcées et la construction du dépôt pétrolier d’Awash en connexion avec ce terminal est en cours de réalisation.
– Capitaliser sur le transfert de savoir-faire acquis afin de résoudre ces contraintes techniques multiples pour passer à l’utilisation des tous les wagons et à la vitesse maximale de 120km/h
– Renforcer la stratégie de réalisation du profit adoptée par la nouvelle direction de la société de chemin de fer en la rendant davantage ambitieuse.
L’Éthiopie étudie en ce moment la possibilité de libéraliser le rail dans le but de mieux réguler, d’injecter des fonds et avoir une gestion purement commerciale du train. Cela dit la répercussion sur le tarif sera importante mais il y a lieu de réfléchir à un partenariat public-privé dans ce cas précis.
Conclusion
Le chemin de fer est un investissement rentable sur le long terme. Ses impacts sont importants, tant sur l’urbanisation et l’industrie que le tourisme. Il demande des investissements initiaux important, amortissables sur le temps long, qui devraient apporter profits et bénéfices. Il est certain qu’avec les temps les revenus vont dépasser les coûts et permettre de rembourser les emprunts.
Grace à lui, Éthiopiens et Djiboutiens circulent plus facilement entre les deux pays et découvrent ainsi d’autres cultures, permettant un rapprochement des peuples. Les échanges commerciaux et culturels permis par le train vont consolider la paix entre deux pays.
Dr Abdoulkader Houssein Mohamed, Institut d’études politiques et stratégiques (IEPS) du Centre d’études et de recherches de Djibouti (CERD)
[1] « Africanews ; Ligne de chemin de fer Djibouti-Addis-Abeba : fin des services d’exploitation chinois », La Nation, 14/5/2024.
[2] Daniel Tesfaw Mengistu, « Ephrem Gebremariam, Xingping Wang, Shengbo Zhao ; Trans-Regional railway corridor implications on urbanization », Journal of Infrastructure, Policy and Development, 2024, 8(7), p. 3456.
[3] « Éthiopie Addis-Abeba pose les bases de la libéralisation du rail », africanintelligence, 10/10/2024.
[4] Ethiopia-Djibouti Railway Share Company, Ethiopia Djibouti Standard Gauge Railway The 2024 annual plan (revised), 3/2024.
[5] « Global growth is expected to decline and downside risks to intensify as major policy shifts unfold », FMI, 23/4/2025.
[6] François de Labarre, « L’empire chinois sur les rails », Paris match , 8/3/2019.
[7] Tefa Dagnachew Advisor Berhanu Denu (Ph.D), « Factors affecting the sustainability of railway service in ethiopia : the case of ethio-djibouti rail way sh. co », Addis Ababa University, College of business and economics school of commerce, 9/2021.
[8] Source : Takele Uma Banti publication, mars 2025